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La promesse de la dextérité
Le thème de cet article avait été conçu il y a deux semaines, donc une dizaine de jours avant le malheur qui s’est abattu sur le Zeph.
Il va de soi que l’écriture de cet article prend en compte les événements récents, sans quoi son auteur donnera l’impression de pratiquer l’angélisme.
Cependant, cet article reste dans le sillage du précédent. Car le Zeph est profondément convaincu que le présent, même s’il est très éprouvant, n’a pas le droit d’effacer le bonheur survenu dans le passé.
Étymologiquement, le mot « dextérité » se réfère au savoir-faire de la main droite, et par extension, à l’agilité des deux mains.
L’un des domaines où cette agilité se révélait indispensable était l’installation des voiles sur les mâts.
Sur la photo, le Capitaine était en train d’installer la grand-voile.
Par moments, les deux mains ne suffisaient plus. Il fallait une dextérité mentale pour apporter le concours d’une troisième main. La bouche s’improvisait alors organe de préhension. Il fallait beaucoup de concentration pour ne pas lâcher ce qui était maintenu entre les lèvres, ni l’avaler.
Le ponçage de la coque demandait aussi de la dextérité parce qu’il fallait assurer une pression adéquate sur la ponceuse tout en épousant la courbure du fuselage.
Certes, les mains étaient en première ligne. Mais elles ne pouvaient être efficaces que grâce au support logistique d’autres parties du corps, qui se montraient solidaires de l’effort.
La dextérité attendue nécessitait une contribution active, intelligente et synchrone des bras et du cou.
Sur la photo, l’avant-bras gauche portait une attelle, souvenir de la douloureuse chute survenue le 17 août 2021 dans le Golfe de Bόλος – ΒΟΛΟΣ (en français : Volos).
Cet effroyable accident a laissé comme séquelle un poignet fragilisé. Mais le traumatisme aurait pu être mille fois plus grave, si la moelle épinière avait été touchée, par exemple dans le cas où le corps aurait été pris en tenaille entre la paroi du quai et la coque du bateau.
La clémence des divinités a permis au Capitaine de ne pas devenir un légume dépourvu de système nerveux. Cette même clémence relèvera le Zeph du choc survenu il y a cinq jours.
Un tel espoir est-il raisonnable ?
Souvenons-nous de l’Éphésien qui voulait brancher sa cafetière électrique sur la prise multiple du mousse. La rencontre avec l’Éphésien sur le ferry qui traversait l’Adriatique d’Ouest en Est est contée dans l’article « La promesse de l’accessibilité », publié le 25 avril 2023.
Au lieu d’évoquer la gloire d’Éphèse grâce à l’architecture antique, l’Éphésien a préféré mettre en avant la figure mariale, qui symbolisait la miséricorde.
Ce choix de l’Éphésien était un signe précurseur de l’accessibilité de la clémence qui viendrait d’en haut.
Comme il a été dit dans le préambule, il existait une joie sincère et réelle pendant les préparatifs de la mise à l’eau, et nous ne voulons surtout pas laisser le chagrin de ces derniers jours engloutir la joie sincère et réelle qu’a fait naître la grande dextérité du Capitaine.
Après les travaux de ponçage, il y a eu des travaux de peinture.
La photo montre le Capitaine en train de repeindre la quille.
Pour que la main « dextre », qui tenait le rouleau de peinture, soit performante, il fallait que les épaules restent souples, et pendant longtemps. La dextérité avait besoin d’une alliée, qui était la persévérance.
Observez bien la position du bras gauche, celui qui était handicapé.
Était-il inactif ? À première vue.
IL semblait même se mettre en retrait pour être à l’abri au cas où un nouvel accident surviendrait.
Mais en vérité, il servait de balancier pour soutenir l’équilibre de la colonne vertébrale.
Ces travaux de peinture ont eu lieu à l’occasion de la journée que la liturgie orthodoxe appelait « To Mεγάλο Σάββατο » (littéralement : le Grand Samedi). Il s’agissait du lendemain du Vendredi Saint qui était défini par le calendrier byzantin.
Contemplez le bonheur procuré par la promesse de la dextérité :
La satisfaction du travail accompli était légitime.
La confiance en soi s’épanouissait.
Inspiré, le Capitaine a mis en œuvre, le jour suivant, sa dextérité mentale pour améliorer l’éclairage de l’espace convivial du carré. Il s’agissait de fabriquer un support pour protéger de la gîte une nouvelle lampe rouge.
Il y avait des arrondis à respecter minutieusement par la scie.
La dextérité manuelle était au service de la créativité.
Le Capitaine avait de la dextérité au bout des doigts, mais aussi au bout des neurones. Car il fallait assurer la fiabilité du support de la lampe, même par temps de tempête.
La dextérité n’atteignait son but qu’en s’associant à la prévoyance et au pragmatisme.
Enfin la nouvelle lampe rouge a pris place dans son logement dédié.
Regardez le bras gauche qui s’est mis en retrait pour éviter une nouvelle mésaventure.
Mais il ne freinait pas du tout l’élan artistique qui animait les mains, l’esprit et le cœur du Capitaine.
Belle coïncidence des calendriers : le jour de l’ajout de la lumière pourpre dans le giron du Zeph était aussi le jour où le Nazaréen a été relevé de son sépulcre.
La dextérité du Capitaine a bénéficié de l’ambiance des bénédictions comme si celle-ci lui était spécialement dédiée.
Comme des Byzantins, nous avons vécu intensément l’instant béni.
Ce jour-là, il y avait sur la table du Zeph un Pessac Léognan.
Avec sa dextérité coutumière, le Capitaine a libéré les effluves exquis du millésime 2015.
Le mousse, lui, a aussi convoqué sa dextérité pour maintenir les flammes à la hauteur minimale sans que celles-ci s’éteignent accidentellement.
L’aubergine, taillée en biais, et l’oignon rouge, pelé sans égratignure, devaient mijoter à très petit feu avec des fleurs d’origan et des feuilles de laurier.
L’agneau pascal avait droit aussi au même soin, prodigué avec dextérité.
La cuisson lente était une affaire de précision et de patience.
L’agneau de lait nous savait gré de le bichonner ainsi. Alors, il nous a offert en retour une exquise tendreté.
La jouissance d’un tel instant exceptionnel était perçue comme une juste récompense de la dextérité qui participait à l’art de la navigation.
La dextérité du Capitaine alternait les tâches essentielles, relatives à la sécurité, et les tâches facultatives, dédiées à l’agrément.
L’entretien du pont en teck ne faisait pas partie des priorités. Mais la dextérité du Capitaine s’y est penchée et a investi son bon vouloir en faveur de l’esthétique.
Regardez bien la photo. Avec quelle main le Capitaine frottait-il le plancher ? Avec la main du bras handicapé !
La scène était inimaginable vingt mois auparavant !
Physiquement et moralement, le Zeph s’est relevé de la chute dans le Golfe de Volos.
Physiquement et moralement, le Zeph se relèvera aussi du choc dans le Golfe d’Eubée.
La dextérité ne concernait pas seulement une aisance gestuelle accordée par l’anatomie, mais aussi un état d’esprit, pétri de rigueur et de patience.
Le souci du travail effectué avec soin et de manière complète a procuré au Capitaine la dextérité de parole pour négocier une surélévation supplémentaire de la quille, qui permettrait la réfection de la face inférieure.
Une fois de plus, la dextérité au bout des doigts n’atteignait son objectif que grâce à la souplesse et à l’endurance de tout le reste du corps.
Le Capitaine ponçait, allongé au sol. Puis il peignait en rampant.
Regardez comment l’inconfort de la position n’a pas empêché la réalisation d’un travail minutieux : c’était le bras handicapé qui servait de pilier grâce à sa nouvelle vigueur pour que la dextérité atteigne son but.
Quelle vision réconfortante !
Ce qui avait été affaibli par l’accident est devenu un soutien physique et valeureux.
La même transmutation attend le Zeph au cours des prochaines semaines.
Le présent articule entremêle sciemment le sens propre et le sens figuré du mot « dextérité ».
C’était ce second sens qui a présidé à l’au revoir adressé au chantier naval au moment de la mise à l’eau.
D’ordinaire, le bateau, poussé par le traîneau de la mise à l’eau, entre dans la mer avec tout l’équipage à bord.
Mais pour ce moment hautement symbolique dans l’existence du Zeph, le Capitaine a demandé au mousse de rester à terre pour filmer le retour dans l’onde azurée.
Cette idée géniale du Capitaine témoignait de la magnificence de sa dextérité mentale.
Tout ce que la dextérité du Capitaine a construit ne peut sombrer à cause un choc contre un rocher.
Un ange nous a été envoyé pour nous porter assistance, matériellement et juridiquement.
Voici l’ange en train de s’informer auprès du Capitaine des circonstances du terrible accident :
L’ange de la paix et de la consolation avait des traits féminins, conformément à l’augure donné par l’Éphésien du ferry.
Regardez comment la dextérité des doigts de part et d’autre était en train de tisser un climat de confiance, où toutes les contributions convergeaient vers une prompte guérison.
Le bonheur reste le bonheur, quand bien même il ne ferait plus partie du présent.
Le bonheur apporté par la promesse de la dextérité obéit à cette loi.
Tags : promesse, dextérité, Volos, Eubée, To Mεγάλο Σάββατο, bonheur
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