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La lumière du matin à Rhodes
Nous nous intéresserons au laps de temps qui s'installe après le départ de « l'Aurore aux doigts de rose » et qui va jusqu'au soleil zénithal.
La lumière du matin était impatiente de répandre son éclat. Il y avait bien un apport thermique, mais la métamorphose chromatique monopolisait l'attention.
Voici l'arrivée en force de la lumière du matin au Vieux-Port, appelé Μανδράκη – ΜΑΝΔΡΑΚΗ par les Rhodiens :
L'ouvrage de ferronnerie appartenait au système défensif dont la pièce maîtresse était l'imposant phare cylindrique à l'entrée.
Le sel du temps a rongé le métal.
Mais la lumière du matin réussissait à donner de l'attrait aux choses qui n'ont pas gardé leur toute première jeunesse.
Le jeu de l'éblouissement se produisait encore, à quelques pas de là, au même moment et avec le même faste, sur la corniche annexée par un établissement qui proposait la détente, l'évasion et la lévitation :
Le décor était le fruit d'une double inspiration.
La première source inspiratrice était le désert, composante inéluctable de l'Orient. L'architecte-décorateur a repris l'idée de l'habitat nomade.
Mais la tente, en plus d'être translucide et non opaque, s'était débarrassée de tout ce qui était anguleux. D'où la forme arrondie du toit, qui n'était pas sans rappeler la plus célèbre de toutes les coupoles : celle de Sainte- Sophie.
Offrons-nous une vision complète grâce à une rotation de cent-quatre-vingt degrés sur nous-mêmes. Voici le spectacle dans la direction opposée :
Nous sommes encore en Orient. Les arabesques qui sculptent la porte d'entrée de l'établissement qui vante et vend les charmes de l'Orient ne laissent aucun doute à ce sujet.
Un détail mérite d'être souligné dans cette perspective où l'Est regarde en direction de l'Ouest : c'est le minaret de la mosquée مراد ريس (en français : Mourat Rais), qui est visible en bas de la photo, tout à fait à droite.
Cette perspective avait été créée pour établir une filiation culturelle. Dans ce contexte, le trajet de la lumière du matin était une sorte de remontée aux sources.
Autre révélation opérée par la lumière du matin : le discours iconographique des bâtiments officiels.
Parmi les premiers édifices à bénéficier de l'effusion de pourpre, figurait celui de la Poste centrale. Voici sa façade, quand elle était entièrement éclairée par le soleil naissant :
Une série de cinq médaillons ornait le haut de la façade.
Le médaillon central était consacré à Hélios, le dieu du Soleil. L'effigie montrait une énergie vitale en pleine expansion.
Le seul moment où ce médaillon était entièrement éclairé par la lumière naturelle était le début du matin. En effet l'ombre de la corniche sommitale ne tarderait pas envahir la sculpture au fur et à mesure que le disque solaire s'élèverait haut dans le ciel.
Jadis, Hélios était honoré à Rhodes, à travers une statue monumentale, que les Anciens nommaient « ὁ ἐν Ῥόδῳ κολοσσός » (en français : le Colosse de Rhodes).
Le Colosse faisait partie des Sept Merveilles de l'Antiquité.
De nos jours, l'emplacement du pied droit est marqué par une colonne surmontée d'une biche tandis que l'emplacement du pied gauche est indiqué par une colonne surmontée d'un cerf.
Voici un souvenir de là où le Colosse avait posé son pied droit :
Situé le plus à l'Est, le pied droit était éclairé en premier par le soleil naissant.
La Poste centrale de Rhodes était prompte à tourner sa façade vers la lumière du matin pour signifier son engagement de bonne heure, son éveil sans répit à toutes sortes de préoccupation du peuple, la diligence avec laquelle elle accomplissait le service public qui lui était confié.
Un autre bâtiment rhodien montrait avec intelligence et persuasion les faveurs naturelles et spontanées de la lumière du matin. C'était le Palais de justice. Voici sa façade, truffée de symboles :
D'abord, le seuil. Ou plus exactement, ce qui précède même le seuil. C'est-à-dire le trottoir, qui était orné, à cet en endroit, d'une grande et belle mosaïque, où la figure centrale était, non pas une balance, mais l'équilibre de celle-ci.
Promesse d'équité, adressée à la plaignante (ou au plaignant), avant que celle-ci (ou celui-ci) n'atteigne le seuil de l'institution judiciaire.
L'ombre des arbres avoisinants montrait que les rayons du soleil venaient de la droite de la photo.
Ce n'était qu'en tout début de la journée que la mosaïque de l'équité baignait dans la lumière solaire. Autrement dit, pour que le jugement équitable puisse arriver à terme, il faut lui donner le temps de s'y acheminer.
À Rhodes, l'on s'y prenait de bonne heure pour réclamer justice.
Et la justice rhodienne faisait la promesse solennelle de s'atteler à son travail tôt chaque jour.
Nous arrivons maintenant au seuil proprement dit, composé de cinq marches de marbre blanc. Cette blancheur contrastait avec l'ocre jaune des piliers voisins.
La blancheur pour rappeler que la protection de l'innocence était un impératif.
L'apparence spatiale de chaque marche provenait d'une forme géométrique extrêmement simple : la parallélépipède rectangle.
Le choix de la simplicité des formes signifiait que la procédure judiciaire devait être simple, c'est-à-dire facile à comprendre, même pour les moins nantis de la société.
Dans le même temps, cette simplicité se déployait dans un univers qui faisait la part belle à l'orthogonalité, laquelle était censée évoquer la rigueur des analyses et des décisions.
Diligence, puis simplicité et rigueur. Le Palais de justice argumentait pour obtenir la confiance de chaque résident de l'île.
La silhouette massive des piliers indiquait que la justice qui était rendue à Rhodes reposait sur la stabilité des principes universels. Le profil imposant de cette enceinte était de nature à enlever tout doute au sujet l'irréprochabilité du jugement promulgué.
Il est instructif de remarquer que cet édifice contemporain était contigu à un autre, qui avait fonctionné plusieurs siècles auparavant. L'ancien bâtiment avait la même mission et présentait aussi sa façade au soleil levant.
Voici l'ancêtre de l'actuel Palais de justice :
Au-dessus de la porte derrière laquelle siégeait le tribunal, une épée d'argent matérialisait l'axe vertical de la balance, tandis que les deux plateaux, formés par deux coupelles dorées, devaient rester toujours en équilibre.
Sur la photo, la lumière du matin venait de la gauche et projetait l'ombre de la première enceinte sur le mur intérieur.
Étaient visibles les arcs de plein cintre, entre lesquels se dressaient des lances acérées, qui produisaient de temps à autre des roses en fer forgé.
L'éclosion des roses au sommet des pointes effilées faisait allusion au fait que le nom de la cité portuaire (Ῥόδος) et celui de la rose (ῥόδον) avaient le même radical dans l'Antiquité.
Malgré la présence de l'ornement floral, le spectacle des armes qui blessaient demeurait terrifiant. Cette ancienne façade, qui datait du temps des Chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean, disait que la justice était un art.
Rhodes, au vingt-et-unième siècle, a préféré proclamer que la justice était une nécessité, et même une garantie.
La lumière du matin, qui éclairait généreusement les deux façades, l'une à côté de l'autre, exhibait le changement dans le décor architectural et la mutation dans l'exigence sociale.
À Rhodes, le discours politique exhibait la fraîcheur de son éloquence dès le début du matin.
L'une des places les plus convoitées se trouvait entre la Poste centrale et l'emplacement du pied gauche du célèbre Colosse. La voici :
Les Rhodiens l'appelaient « H πλατεία Ελευθερίας » (en français : la place de la Liberté ».
Le Royaume d'Italie, qui a succédé à l'Empire ottoman dans l'administration de l'île, de 1912 à 1943, a laissé une forte empreinte.
L'édifice religieux, connu par les Rhodiens du XXIè siècle sous le nom de « Ιερός Ναός Ευαγγελισμού της Θεοτόκου » (en français : Église de l'Annonciation à Marie » était flanqué d'un clocher qui avait la silhouette d'un campanile vénitien.
Sous l'horloge, le Royaume d'Italie a apposé la signature de la Sérénissime, en exhibant le Lion de Saint Marc.
Ce lion de la maîtrise des mers était à mettre en perspective avec les quatre têtes de lion situées au départ des quatre branches de la croix grecque qui définissait le plan horizontal de la fontaine située devant l'église.
Discours de gloire et de prestige, qui profitait pleinement de la solennité lumineuse procurée par le jour naissant.
Il n'y avait pas que les affaires sérieuses qui courtisaient, à Rhodes, la lumière du matin.
Le monde de l'insouciance réclamait aussi sa part dans les bienfaits procurés par le début du jour.
Parmi les facteurs qui apportaient à l'existence l'agréable sensation de légèreté, il y avait l'azur ambiant. Contemplez l'œuvre fantastique de la lumière du matin sur l'onde :
Sur la gauche de la photo, se profilait la muraille fortifiée des Chevaliers de l'Ordre de Saint-Jean. L'anse parée de son bleu féerique se déployait entre la porte de la Vierge, devant laquelle stationnait l'énorme paquebot de croisière, et le quai des ferries pour le peuple, qui se trouvait tout à fait à droite, sur la photo.
Dans la magnificence du bleu rhodien, naissaient en même temps le désir de pureté et le désir de renouveau.
Il n'est pas utile de noter que ce magnifique spectacle de l'azur divinement habité par la lumière du matin était totalement δημοτικό (littéralement : accessible à toutes les composantes du peuple). En participant généreusement à cette disponibilité, la lumière du matin à Rhodes accordait à chacun de nous le même privilège, celui de savourer le renouveau et de bâtir un jour meilleur.
La terre ferme n'était pas en reste pour donner à voir la magie opérée par la lumière du matin. La terre ferme, c'est-à-dire tout ce qui s'épanouissait grâce à la sève. En voici un exemple éclatant sur les murs fortifiés de la cité médiévale :
Des bougainvilliers prospères répandaient leur allégresse par-dessus les remparts. Sur la droite de la photo, la perspective permettait d'estimer la hauteur des murs fortifiés. La silhouette du paquebot de croisière situé à l'arrière-plan évoquait le ballet de la mer, qui commençait dès les premières lueurs du jour.
La photo a été prise au niveau de la Porte appelée H Πύλη Ακαντιάς. C'était la Porte qui ouvrait en direction du Sud-Est la ville fortifiée.
La lumière du matin accompagnait avec plaisir le pas leste du visiteur qui s'en allait dénicher les trésors de la Vieille Ville.
Voici un coin extrêmement charmant, dorloté par les premiers rayons du soleil :
Ce jardin de délices appartenait au temple jadis consacré à la déesse de l'amour.
La fraîcheur des coloris et la sensualité des effluves étaient les atouts octroyés par le tout début de la matinée.
Le soleil rhodien révélait l'omniprésence du plaisir.
L'artisanat local abondait en astuces pour capter la lumière du nouveau jour :
Plus le soleil s'approchait de son zénith, plus ces sandales de lumière s'apparentaient à celles portées par Hermès, le messager de l'Olympe.
L'approche de la position zénithale encourageait les rayons du soleil à dire bonjour, avec insistance, aux fourneaux du Zeph.
Cette visite amicale stimulait l'imagination créatrice du mousse, qui se plaisait à faire de l'art culinaire un art pictural. Voici un exemple, avec des médaillons de morue, mijotés avec des pêches :
Le soleil zénithal rendait la robe des fruits plus séduisante et désirable.
La lumière du matin à Rhodes était un vif encouragement à profiter pleinement du jour nouveau. Elle incitait à toujours aller de l'avant.
Pour le Zeph, elle avait un message extrêmement important. Voici ce message, tel qu'il est apparu sur un ex-voto :
La photo montre cinq pancartes horizontales fixées sur un même poteau vertical.
De haut en bas, on pouvait lire :
Ζέφυρος
Rhodes
2022
Χρόνια
Πολλά ! ! !
Littéralement :
Zéphyros
Rhodes
2022
Années
Nombreuses ! ! !
Il s'agissait d'un vœu de longévité.
C'était une sorte de bénédiction que nous avons reçue au moment où le sable de la plage commençait à rosir sous l'effet du soleil naissant.
Quel splendide augure pour demeurer confiant en l'avenir !
La lumière du matin est une source de bienfaits, non seulement à Rhodes, mais partout ailleurs.
Tags : lumière, matin, Rhodes, Hélios, Colosse, biche, Μανδράκη, Ῥόδος, ῥόδον, δημοτικό, مراد ريس
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