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La flamme de la détresse
C'était la flamme qui apportait la désolation, révélait l'impuissance et répandait sur les lieux l'inconsolable.
Nous avons vu son spectre inquiétant s'élever au-dessus des restaurants à Ωρεoί – ΩΡΕOΙ (en français : Oréi), qui se trouvait au Nord de l'île d'Eubée.
Par rapport au port, la masse rougeâtre venait du Sud.
Le lendemain de cette vision, la flamme qui n'a pas du tout dormi, s'est dédoublée en enflant considérablement.
La nuée qu'elle soulevait avec arrogance se dédoublait aussi.
Le Zeph, qui était reconnaissable à son cordage rouge et à son linge en train de sécher, voyait dans cette évolution un très mauvais augure.
Nous redoutions que la flamme conquérante ne finisse par nous atteindre.
Et la chose redoutée a fini par arriver.
Au petit matin du jour suivant, la flamme nocive a annoncé sa venue en faisant pleuvoir sur tout le port des myriades de particules émanant de la combustion.
Voici les cendres qui étaient tombées sur le bimini du Zeph :
L'intérieur du bateau en était rempli, dans le moindre recoin.
L'atmosphère devenait irrespirable, au sens propre comme au sens figuré.
Malgré l'heure très matinale, le Capitaine a décidé de lever l'ancre pour trouver refuge dans le Golfe de Βόλος – ΒΟΛΟΣ (en français : Volos).
Sur la photo, étaient encore visibles les reflets des lampadaires allumés. Ces miroitements témoignaient de l'heure très matinale, à laquelle il a été décidé de fuir le lieu menacé.
Nous réalisions que quelque chose de très grave était en train de se dérouler, mais nous n'éprouvions pas encore l'angoisse de ceux qui se trouvaient en première ligne.
Nous devinions la nuisance, nous supposions son ampleur. Mais nous n'avons pris la pleine mesure de la catastrophe qu'une fois sur place.
À Λίμνη – ΛΙΜΝΗ (en français : Limni), où le Zeph passerait l'hiver, nous étions sur place, à plus d'un titre.
À proximité du chantier naval, nous avons découvert, avec stupeur, des scènes d'une violence extrême.
La flamme insatiable dévorait ce qui se trouvait sur l'arbre, mais encore, et surtout, ce qui se trouvait dans l'arbre.
Elle brillait d'une lueur assassine quand elle s'attaquait, avec voracité, aux entrailles.
Il en résultait des silhouettes éventrées, disloquées, défigurées.
La perforation par la combustion provoquait un déhanchement qui attristait terriblement. L'homme éprouvé par l'incendie claudiquait désormais.
Son œil se tordait de douleur quand il constatait les dégâts.
Que voyait sa pupille éplorée ? Un autre désastre, celui de son frère. D'un tronc d'olivier à un autre, s'installait une mise en abîme.
Au fait, avez-vous reconnu des oliviers ? Avez-vous vu les reflets argentés de leurs feuillages ?
Ne cherchez plus. Là où était passée la flamme dévastatrice, le reflet argenté a disparu. Chauffées à l'extrême, les feuilles ont pris la couleur ocre jaune.
L'étrangeté du spectacle était déroutante. La couleur habituellement réservée à l'opulence exprimait une calamité. La teinte qui célébrait l'immortalité témoignait à présent de l'agonie causée par la fournaise.
La flamme de l'horreur semblait invincible. Rien ne pouvait l'arrêter.
Ni le courage des humains.
Car l'énergie du désespoir ne triomphait pas de la rage du feu.
Ni la performance des engins volants.
Car elle s'arrêtait la nuit tandis que le feu continuait de nourrir sa traîtrise grâce à l'obscurité.
Un seul obstacle était efficace, celui que la Nature elle-même avait prévu, aux endroits qu'elle avait choisis. Seule la mer était infranchissable, et le feu ne pouvait pas aller plus loin que là où s'établissait le front des vagues.
Même au bord de l'eau, la fureur de la flamme dévastatrice était impressionnante.
À gauche sur la photo, on peut voir un ponton, qui s'avançait dans la mer, au milieu des reflets rougeâtres. C'est ce ponton qui apparaît dans la quatrième photo de l'article « La saison de la négociation », publié le 26 septembre 2021.
Nous étions donc à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ.
Mais normalement, nous aurions dû être à Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ (en français : Khalkoutsi), où dès le mois de juin, nous avions réservé une place pour que le Zeph y passe son prochain hiver.
C'était la chute à Αμαλιάπολη – ΑΜΑΛΙΑΠΟΛΗ (en français : Amaliapoli) qui a occasionné le changement de programme. L'urgence de l'époque consistait à sécuriser au plus vite le Zeph, c'est-à-dire dans un site pas trop loin du lieu de l'accident.
Or, le chantier le plus proche du lieu de l'accident se trouvait à Ωρεoί – ΩΡΕOΙ, dont il était question au début de cet article.
Rationnellement, c'était sur Ωρεoί – ΩΡΕOΙ, que nous aurions dû nous rabattre.
Mais en sortant de la salle des premiers soins, le Capitaine a choisi Λίμνη – ΛΙΜΝΗ, qui était 20 miles nautiques plus loin qu'Ωρεoί – ΩΡΕOΙ. Λίμνη – ΛΙΜΝΗ dont nous ne savions rien, mais absolument rien, à ce moment-là.
Qui a inspiré au Capitaine ce choix qui, à première vue, semblait illogique et hasardeux ?
Si c'étaient les divinités qui nous avaient poussés à aller à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ, qu'avaient-elles derrière la tête ?
Le dessein des Olympiens s'est dévoilé progressivement, au fur et à mesure que nous faisions plus ample connaissance avec l'actuel chantier.
Voici l'effroyable épreuve qu'avait endurée celui-ci, deux semaines avant notre arrivée :
Vers le bas de la photo, du côté gauche, se dressaient les mâts des bateaux qui s'effrayaient sur leurs bers. Un peu à droite, un bâtiment blanc, qui servait de logement aux personnels administratif et technique, redoutait de partir en fumée, d'un instant à l'autre.
Au-dessus des mâts, un avion chargé d'eau tentait de conjurer l'irréparable. La marée de feu a déjà submergé tout l'arrière-pays. Finirait-elle par engloutir aussi le chantier naval ?
Approchons-nous un peu plus du rivage.
La flamme triomphante répandait son horreur jusque sur la plage.
Le chantier naval allait-il échapper à la destruction par la combustion ?
Par bonheur, le miracle de la survie a eu lieu.
Voici le Zeph, fraîchement sorti de l'eau.
Il était facilement reconnaissable à son basilic tout fringant.
Sur la photo, le bateau situé derrière la maison blanche indiquait la limite septentrionale du chantier naval, celle que la marée de feu s'était apprêtée à franchir.
Et derrière ce bateau, voici ce qu'il y avait :
On avait battu la flamme pour l'étouffer. Et on avait battu, battu, battu, sans se préoccuper du nuage de cendres, qui montait, montait,...
Pour étouffer la flamme dévastatrice, les défenseurs du dernier bastion se sont étouffés de poussières fumantes et de vapeurs âcres.
Puis l'énergie du désespoir a fini par faire naître l'espoir.
En définitive, le chantier naval faisait partie des rescapés.
Un rescapé comprend mieux la souffrance qu'une personne bien portante.
Voilà la première raison qui faisait que les divinités nous ont envoyés à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ.
Tous les Grecs pratiquent l'hospitalité, mais à des degrés divers.
Λίμνη – ΛΙΜΝΗ, la miraculée, a été choisie par les divinités pour accueillir le Zeph meurtri.
Il existait une autre raison qui a fait que les divinités nous ont envoyés à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ. La voici :
Pour échapper à l'encerclement par le feu endiablé, Λίμνη – ΛΙΜΝΗ a organisé une évacuation par la mer.
Le sauvetage entrepris a permis de soulager la détresse causée par la flamme enragée.
Le geste salvateur de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ portait la promesse d'une guérison.
Il était logique que les divinités nous aient orientés vers le giron le plus apte à nous procurer un prompt rétablissement.
La flamme avait semé la détresse. Λίμνη – ΛΙΜΝΗ a affronté cette terrible épreuve avec succès. L'heureuse issue a motivé le choix des divinités en faveur de ce lieu.
Effectivement, le Zeph est très heureux à Λίμνη – ΛΙΜΝΗ. Quant au bras gauche, il guérit vite, grâce à l'air de Λίμνη – ΛΙΜΝΗ.
Tags : flamme, incendie, feu de forêt, Ωρεoί, Βόλος, Λίμνη
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