• L’œil de l’autonomie

    Quand l’état de la santé se dégrade, la perte d’autonomie est un sujet d’inquiétude, qui peut interroger le courage, la résignation ou le désespoir.

    Face à l’accident, le Zeph a choisi de préserver courageusement son autonomie, physique et psychique.

    Tous les thérapeutes s’accordent pour recommander instamment l’activité, corporelle ou mentale, car celle-ci permet de remonter la pente et de s’affranchir de l’empreinte toxique de l’adversité.

    Le Zeph a tenu compte de cette sage recommandation. Il a donc réalisé des travaux manuels pour avoir une meilleure apparence et montrer qu’il prenait soin de lui-même.

    Le voici en train de redonner de l’éclat à son teint :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Il fallait se montrer méthodique, soigneux et patient.

    Voici le résultat obtenu :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Il s’agissait du winch à bâbord. Son corps lustré présentait un double miroir.

    Le miroir conique correspondait à l’épaule tandis que le miroir cylindrique correspondait à la base du cou.

    S’y reflétait la bouée rouge en U. À côté, était accrochée une défense blanche. La courbure du miroir conique a donné à celle-ci la forme d’une poire en albâtre.

    L’autonomie assurée grâce à la force et à l’habileté des mains du Capitaine était joliment récompensée, non sans une pointe d’humour de la part de la géométrie.

    Le Zeph s’est encore beaucoup investi, manuellement et mentalement, dans la remise en état de ses jointures.

    L’étanchéité des hublots au-dessus de la table du carré a donné au Capitaine beaucoup de fil à retordre.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Comme le travail était extrêmement salissant, il fallait une organisation très rigoureuse des tâches et une très grande précision du geste. Et beaucoup, beaucoup de sang froid !

    Le Capitaine accomplissait lui-même l’intégralité de la procédure, depuis la programmation des étapes jusqu’au dernier lissage avec l’index, en passant par l’achat des fournitures.

    En l’occurrence, l’autonomie était une épreuve. Et parce que c’était ainsi, l’autonomie se révélait gratifiante. En effet, elle procurait de l’expérience en même temps qu’une fierté légitime.

    Une personne affectée par la perte d’autonomie a besoin d’aide pour faire sa toilette, se déplacer ou s’alimenter. Le raisonnement inverse voudrait qu’en assurant soi-même son bien-être personnel, on prenne possession du bonheur de l’autonomie.

    Le Zeph lavait lui-même son linge et le faisait lui-même sécher.

    La sortie de l’hiver a entraîné le lavage des duvets.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Au lieu de se morfondre dans la morosité ou l’insatisfaction, le Zeph s’affairait à mettre de l’ordre dans ses textiles en leur donnant les parfums de la belle saison.

    La literie, dont l’agréable toucher s’obtenait en effaçant le souvenir des embruns, offrait au Zeph des nuits qui facilitaient la guérison par rapport au traumatisme.

    Le pouvoir guérisseur du repos nocturne ne fonctionnait qu’en l’absence d’insectes piqueurs qui aimeraient profiter de l’obscurité pour faire usage de leurs dards.

    Prévoyant, le Capitaine a installé des barrières qui protégeaient la paix de nos nuits :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    L’installation répondait à un devoir de vigilance. Celui-ci était souvent sollicité à cause du vent d’Est, qui venait de Ερέτρια – ΕPEΤΡΙΑ, c’est-à-dire de la droite de la photo, et et qui poussait le moustiquaire vers la gauche, quitte à libérer un passage entre le bord du moustiquaire et le contour du hublot !

    Surveiller par soi-même, réajuster par soi-même, et de nouveau monter la garde soi-même

    L’œil de l’autonomie mettait à profit la disponibilité de l’esprit et celle qui existait au bout des doigts.

    La satisfaction d’avoir œuvré de ses propres mains produisait l’agréable sensation d’avoir été utile.

    L’autonomie se traduit par la liberté de décider et d’agir, accompagnée de l’efficacité de l’intention, ce qui implique la disponibilité et la fiabilité des ressources.

    Liberté d’agir, liberté d’exister, à sa guise, sans les restrictions imposées par un handicap, sans les amputations provoquées par l’accident.

    Liberté d’agir, de bouger, de se mouvoir, aussi souvent qu’on veut, aussi loin qu’on veut, sans béquille, sans fauteuil roulant, sans civière, sans ambulance.

    Par ressources, nous entendons les ressources qui appartiennent au soma tout comme celles qui relèvent du psychisme.

    Le corps du Zeph porte encore les stigmates de l’accident. Mais l’autonomie, à laquelle le Zeph tient tant, n’est nullement atteinte, ni dans le principe, ni dans ses modalités d’expression.

    Les fonctions sensorielles, qui constituaient le socle de confiance de l’autonomie, étaient inaltérées, comme le montre la scène suivante :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    La voltige aérienne de l’île d’Eubée passait au-dessus de la tête du Zeph.

    L’acuité auditive de celui-ci a décelé l’approche des aéronefs.

    L’acuité visuelle, elle, lui a permis de continuer à contempler le ballet jusque dans la mer.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    L’œil de l’autonomie incitait encore le Zeph à cultiver le plaisir gustatif et olfactif en continuant à faire pleinement usage des compétences personnelles.

    Voici le Capitaine qui s’improvisait Cordon bleu en œuvrant de ses propres mains :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    L’une des devises du Zeph est : « La meilleure taverne est à domicile ».

    Le brocoli frais qui attendait sur la table venait du marché fermier de Ωρωπός – ΩΡΩΠΟΣ ( transcription : Ôrôpos).

    Nous aimions nous y rendre pour rencontrer des êtres qui n’avaient pas un porte-monnaie arrogant.

    Les personnes qui cherchaient leur inspiration auprès des étals où s’exhibaient les richesses de la terre nourricière étaient férues d’autonomie, car c’était elles-mêmes qui concevaient la recette et la réalisaient.

    Le marché fermier de Ωρωπός – ΩΡΩΠΟΣ était donc une fête de l’autonomie.

    L’esprit du Zeph s’y promenait avec délectation, au milieu de gourmets créatifs et valeureux.

    Voici un stand qui venait de fraterniser avec l’autonomie du Zeph :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    La fraternité était dans l’accueil réservé au visiteur.

    Quant à l’autonomie, elle était tenue en très haute estime par le Grec qui n’a pas voulu pousser le mousse à la consommation.

    Par contre, le mousse s’est bien imprégné des effluves des brochettes pour les recréer avec une autre version, personnalisée, signée « Zeph » :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    La viande de porc était dorée au wok pour ne pas être desséchée. Elle était parfumée avec l’origan fleuri et le laurier cueillis pendant les randonnées.

    Les brochettes grecques sont souvent servies avec des frites.

    Là encore, la grande autonomie dont jouissait le Zeph l’a incité à réinterpréter la recette en proposant deux sortes de frites : l’une avec des carottes taillées en biseau et l’autre avec des pommes de terre, taillées aussi en biais.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Lors de notre premier séjour sur l’île de Corfou, nous avions demandé au loueur de mob de nous faire des frites pendant l’attente du ferry. Les frites préparées à l’improviste par le Grec avaient une allure très rustique. Mais elles étaient si délicieuses ! Depuis, nous avons donné à nos frites la forme rustique découverte à Corfou.

    L’autonomie offrait l’agréable liberté de composer l’assiette avec des souvenirs personnels.

    D’ordinaire, la saveur piquante de l’assaisonnement est fournie par le poivre. Mais l’esprit du Zeph, inspiré par la présence du continent indien au marché fermier de Ωρωπός – ΩΡΩΠΟΣ, a remplacé le poivre noir par du piment rouge.

    L’autonomie stimule l’imagination créatrice.

    L’introduction de la nouveauté aiguise l’appétit.

    Le concombre qui entrait dans la composition de la salade grecque n’apparaissait plus sous forme de cercles mais d’ellipses.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Les tranches ellipsoïdales s’obtenaient en coupant, non pas transversalement mais longitudinalement, des petits concombres qui étaient naturellement recourbés.

    L’œil de l’autonomie autorise l’audace qui crée.

    Le fenouil, qui d’ordinaire était utilisé pour parfumer le poisson, a été sollicité cette fois-ci pour accompagner l’aubergine confite :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    L’œil de l’autonomie propulsait l’initiative, orchestrait l’étonnement, décidait lui-même du cap pour le voyage gastronomique.

    Les œillades lancées en direction de l’Orient-Extrême résultaient toujours de l’exercice du libre arbitre. La fête gustative qui embaumait le giron du Zeph en ces jours heureux commençait par le plaisir du toucher.

    Le fait de toucher la galette de riz, de la mouiller, de la plier et de la rouler avec ses propres doigts constituait un protocole qui ouvrait l’appétit à tous, protagoniste et spectateurs.

    Puis quand c’était le moment de se saisir des rouleaux qui venaient tout juste d’être frits, le toucher avec le craquant produisait un plaisir divinement exquis.

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Dans son récent malheur, le Zeph a la chance que ses cinq sens ne soient pas détériorés par le traumatisme.

    L’œil de l’autonomie est l’œil de la gratitude.

    Le comportement autonome du Zeph est un hymne à la vie.

    En entonnant cet hymne, le Zeph remercie les divinités d’avoir empêché que le heurt avec le rocher de l’ensorcellement ne touche les fonctions vitales.

    Malgré l’infirmité qui frappe son appareil locomoteur, l’esprit du Zeph poursuit ses échappées belles.

    Nous voici au cours d’une récente balade au pied de l’Acropole d’Athènes :

     

    L’œil de l’autonomie

     

    Nous nous trouvions dans la plus ancienne rue d’Athènes, qui remontait à l’époque de la victoire de Marathon. Les archéologues appellent cette artère H αρχαία οδός τριπόδων (littéralement : l’antique rue des trépieds). Elle reliait l’agora, qui était le cœur battant de la vie politique, au théâtre de Dionysos, où les Athéniens sondaient l’âme humaine.

    Derrière nous, s’élevait un monument circulaire qui commémorait le premier prix remporté par Λυσικράτης – ΛΥΣΙΚΡΑΤΗΣ (transcription : Lysikratès) dans un concours de chant au théâtre de Dionysos.

    Sur le toit du monument, trônait le trépied de bronze gagné par le vainqueur du concours.

    Le nom de la rue antique fait allusion à l’exhibition de ces trépieds commémoratifs.

    Sur la photo, tout à fait à gauche, se dressait un pilier qui avait une base carrée et dont le toit pyramidal arrivait à mi hauteur du socle du monument principal. Ce pilier présentait sur la face parallèle à la clôture métallique cette inscription :

    CE MONVMENT

    ACQVIS PAR LA FRANCE

    EN 1669 A ETE RESTAVRE

    PAR SES SOINS EN 1845 ET

    1892

     

    Le texte, entièrement écrit en français, témoigne de la très grande place que la diplomatie française a occupée sur la scène internationale au cours du dix-neuvième siècle.

    L’ancien français, qui affectionnait la solennité du latin, a continué d’utiliser la graphie du « V » pour exprimer la sonorité du « U », comme dans MONVMENT à la première ligne, ACQVIS à la ligne suivante et RESTAVRE à la troisième ligne.

    L’inscription rappelait fièrement qu’en 1669, la France, par l’intermédiaire des Franciscains, avait acheté le terrain où se trouvait le monument, alors en très mauvais état.

    Nous avons fait le tour de la colline sacrée en partant du Κεραμεικός – KEPAMEIKOΣ (transcription : Kéramikos), qui était le premier cimetière public de la ville antique. Ce site se trouvait au Nord-Ouest de l’Acropole.

    Ensuite nous avons tourné dans le sens des aiguilles d’une montre. Nous sommes passés devant le Temple de Thésée pour rejoindre l’Agora grecque. Puis nous avons continué à contourner l’Acropole par le Nord, jusqu’à la Cathédrale de l’Annonciation. Là nous avons tourné à droite pour nous diriger vers le Sud, où se trouvait le nouveau Musée. C’est pendant ce trajet que nous avons emprunté la « Rue des Trépieds », qu’ornait le monument circulaire de Λυσικράτης – ΛΥΣΙΚΡΑΤΗΣ.

    Nous sommes passés devant l’Odéon d’Hérode Atticus, qui proposait l’opéra « Madama Butterfly » du maestro Giacomo Puccini.

    De là, nous avons pris la direction du Nord-Ouest pour boucler la boucle.

    La promenade était très agréable. Elle s’imposait après les récentes explorations à Marathon et Ερέτρια – ΕΡΕΤΡΙΑ (transcription : Érétria).

    Le sol que le Grand Roi des Perses aurait voulu piétiner, nous l’avons parcouru en amis remplis d’admiration.

    L’œil de l’autonomie n’improvisait pas des déplacements tous azimuts, sans lien logique entre eux. La pensée autonome a l’obligation de la cohérence.

    L’accident ne nous a pas contraints à l’immobilité.

    Au contraire, nous continuons à nous mouvoir, à notre gré, et à nous émouvoir, grâce à l’intérêt culturel de chacune de nos escapades.

    L’autonomie n’est pas la maîtrise de l’espace, mais du temps. À Marathon, à Ερέτρια, à l’Acropole d’Athènes, nous étions absolument maîtres du temps que nous voulions consacrer à chaque site, sans que quelque chose ou quelqu’un ne vienne exercer la moindre pression et troubler ainsi cette belle jouissance in situ.

    Certes, le Zeph est accidenté, gravement même. Mais il n’est pas tombé dans la dépendance. Il y a beaucoup de choses qu’il fait encore tout seul, dans la joie et la dignité, comme du temps où il disposait de l’intégralité de ses moyens.

    Le geste autonome est un motif de fierté et une source d’édification.

    Faire les choses soi-même procure la stimulante sensation de prendre son destin en main.

    L’autonomie est un état, une volonté, une thérapeutique.

    L’œil de l’autonomie conjure le mauvais sort, chasse l’abattement et accélère la guérison.

     


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