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L'ardeur de la fraternité cannoise
Leur domicile se trouvait sur le littoral cannois.
Ils ont donné à leur vénérable voilier un nom mythique : il s'appelait Hypérion.
En grec, c'est Υπερίων – YΠΕΡΙΩΝ.
Littéralement : celui qui est au-dessus.
Autrement dit, le terme désigne le Soleil dans la position azimutale.
Avec ce contexte de l'étymologie, l'ardeur ne pouvait qu'être omniprésente !
Aux commandes du Hypérion, se trouvaient deux éminents disciples d'Asclépios, qui étaient experts dans l'analyse du regard, au sens propre, c'est-à-dire au sens physiologique, comme au sens figuré, c'est-à-dire au sens psychologique.
La photo précédente a été prise à Ίος – IOΣ (en français : Ios).
Voici le Zeph à Ίος – IOΣ :
Le Zeph était reconnaissable à son éolienne tricolore.
Il se trouvait à bâbord du Hypérion, dont la signature apparaissait sur la face de la poupe, sur la passerelle, sur la sacoche arrière, et au sommet des pare-battages sphériques.
De ce côte-à-côte est née une fraternité éblouissante par son ardeur.
Le Hypérion s'est garé à cet endroit, seulement quelques heures avant l'arrivée du Zeph. Aucun autre bateau ne s'était rapproché du Hypérion, ni à droite, ni à gauche. Du coup, le Zeph a suivi l'instinct de la francophonie et a choisi d'avoir tout de suite à sa droite le Hypérion.
Apparemment, c'était le hasard de la topographie, qui dépendait d'un autre hasard, celui du calendrier. Hasards, seulement en apparence.
Le lendemain de l'arrivée à Ίος – IOΣ, l'équipage du Hypérion et celui du Zeph se sont croisés fortuitement en explorant le village perché qui dominait la baie.
Les civilités des premiers instants ont vite cédé la place à des confidences à la fois instructives et passionnantes.
À cet échange sincère, agréable et fécond, ont aussi participé les Toscans.
Tout à fait à droite de la photo, c'était l'Amirale du Hypérion. Lui posait la main sur l'épaule gauche, le barreur de ce voilier.
Bien qu'il soit occupé par des questions de cadrage et de lumière, le mousse a entendu les accents de vérité qui caractérisaient les propos du Hypérion.
Jadis, le Hypérion a connu l'Océan, avant de venir flâner en Mer Égée.
De la grande expérience du Hypérion, le mousse a entendu que la géographie au sens strict, n'est pas porteuse de sens. Que le divertissement ne guérit pas l'insatiabilité. Que la répétition de l'insatiabilité est encore de l'insatiabilité.
Au lieu de continuer dans la découverte de la vacuité, le Hypérion a vogué vers la terre des dieux pour interroger le miroir des Anciens.
Une telle probité fascinait le mousse, qui brûlait d'envie de sonder davantage les entrailles du Hypérion.
Ardeur secrète, pour l'instant.
Sauf que rien de chez les mortels n'est dissimulable aux yeux des divinités !
En effet, dès le lendemain matin, elles ont envoyé un signal favorable. Car au moment de partir pour explorer de nouveau l'île, le haut commandement du Hypérion nous a dit, de façon très audible : « À ce soir, pour l'apéro ! »
Ni le Capitaine, ni le mousse, personne sur le Zeph n'a compris cette phrase sybilline, qui, sans ambiguïté, nous était destinée.
Qui allait organiser cet apéro ? Et où ?
D'où le Hypérion a -t-il sorti cette idée de l'apéro ?
L'équipage du Zeph est remonté une deuxième fois vers le village perché, pour découvrir de nouveaux panoramas et de nouvelles perspectives, tout en tenant compte de l'heure qu'il convenait de prévoir pour l'hypothétique apéro.
Vers 18h00, nous sommes redescendus au bateau.
Ce n'était qu'à ce moment-là que nous avons compris que le Hypérion nous attendait pour l'apéro. Sa vive impatience de nous recevoir à son bord et sa grande joie une fois que nous y étions nous révélaient que l'ardeur couvait aussi de son côté.
Le Hypérion nous a reçus dans son très beau salon extérieur.
Son ouzo était excellent. Car le Hypérion le versait directement sur les glaçons.
Ses amuse-bouches étaient absolument délicieux, car ils avaient les saveurs du terroir.
Mais ce qui rendait mémorables ces instants de partage, ce n'était pas la qualité de la nourriture et de la boisson, mais la fabuleuse lumière intérieure de nos hôtes. Ils n'exagéraient rien, ne falsifiaient rien, ne jouaient pas de rôle, n'utilisaient pas de fard. C'étaient des êtres extrêmement attachants, par leur simplicité et leur véracité.
Parmi toutes les confidences, le Zeph en a retenu une, qui lui semblait capitale : cette saison devait voir la célébration du quarantième anniversaire de mariage de nos hôtes.
Cette information était comme un tison ardent, qui attendait le moment favorable pour réveiller le feu de la réciprocité.
Le geste réciproque, que le Zeph rêvait d'accomplir, a eu lieu à Αστυπάλαια – AΣΤΥΠΑΛΑΙΑ (en français : Astypalaia).
Il était dans le bon vouloir des divinités que cette île figure dans le programme du Hypérion tout comme dans celui du Zeph, et que les deux voiliers comptent s'y arrêter à peu près à la même époque.
Pour le Zeph, c'était un tremplin vers d'autres horizons du Dodécanèse. Pour le Hypérion, c'était un point de rebroussement, avant de revenir vers l'Ouest.
Peu importe la signification que chacun donne à ce lieu, l'essentiel c'est qu'ils s'y retrouvent pour vivre pleinement leur fraternité.
Le Zeph est arrivé à Αστυπάλαια – AΣΤΥΠΑΛΑΙΑ trois jours avant le Hypérion.
Voici le Capitaine du Zeph en train d'aider le Hypérion à s'installer dans le port :
Dès que nous avons su que le Hypérion allait arriver, nous lui avons dit que nous l'attendions à notre bord pour la célébration du quarantième anniversaire de mariage.
Il était alors convenu que la fête tant attendue aurait lieu le lendemain de leur arrivée, à l'heure du coucher de soleil.
Le lendemain donc, dans la matinée, « coup de théâtre ». Ou plutôt, « surprise ». Et quelle agréable surprise !
Le hasard – encore lui ! – a fait que les chemins des deux équipages se sont croisés au cours de leurs explorations de la ville haute, pourtant commencées indépendamment l'une de l'autre.
Tout de suite, le Hypérion a saisi l'occasion pour remercier par avance le Zeph au sujet des agapes qui auraient lieu dans la soirée.
Ainsi, le Hypérion nous a offert une délicieuse pause fraîcheur, où le Capitaine s'est délecté avec un Mojito et le mousse, avec une bière bien fraîche.
Dire sa gratitude, c'est manifester de l'ardeur.
Être impatient de dire sa gratitude, c'est avoir de l'ardeur à l'égard de l'ardeur. Autrement dit, c'est posséder l'ardeur au second degré.
L'ardeur de la fraternité cannoise se hissait toujours au second degré.
Puis le soir béni est arrivé. Non sans ses surprises, qui étaient fort agréables et stimulantes.
L'épisode de la pause fraîcheur a révélé au Zeph la vive ardeur du Hypérion dans la façon de devancer le temps
À l'heure du crépuscule, le Hypérion a de nouveau exhibé avec enthousiasme son art du prélude. Pour introduire le dîner concocté par le Zeph, le Hypérion a préparé un breuvage des îles avec le rhum qu'il avait ramené de l'Océan.
En la circonstance, l'ardeur de la fraternité cannoise se voyait dans le degré d'alcool, qui refusait toute dilution, mais aussi dans le respect très scrupuleux du protocole canonique concernant le contenu et le contenant.
L'ardeur du Hypérion apportait beaucoup de sensations qui étaient belles, euphoriques, créatrices.
Pour accompagner ce breuvage original, le mousse a improvisé au wok un sauté de légumes al dente. L'ardeur des deux équipages à fêter cette délicieuse fraternité rendait l'instant extrêmement ludique.
Comme le climat culturel de l'Indochine s'était invité à la fête, le jeu des baguettes n'était plus un défi, mais une source d'émerveillement. Émerveillement pour la personne qui s'y essayait pour la première fois, comme c'était le cas de l'Amirale du Hypérion.
Émerveillement aussi pour le spectateur privilégié qu'était le mousse. Celui-ci était très admiratif des ressources innombrables du Hypérion.
Puis est venu le moment de déguster ce que le Zeph avait préparé pour la célébration des quarante ans de mariage. Pour cette grande occasion, le mousse a pensé aux rouleaux de printemps.
Voici la table dressée en conséquence :
La présence d'une salade fraîche et croustillante était impérative.
Les bols servaient à contenir la saumure parfumée à l'ail.
Les textures et les saveurs ont énormément plu au Hypérion.
C'était un bel au revoir. Car le lendemain, le Hypérion devrait commencer à retourner vers l'Ouest pour atteindre finalement la Marina Aktio, dans le Golfe Ambracique.
Nous avons assisté au largage des amarres du Hypérion :
Mais de quelles amarres parle-t-on ?
Des amarres faites de chanvre et de lin ou des amarres tressées avec les fibres du cœur ?
Certes, les amarres physiques ont été larguées ce jour-là, dans le port de Αστυπάλαια – AΣΤΥΠΑΛΑΙΑ. Mais celles de la fraternité ne l'ont pas été, et ne le seront probablement jamais.
En effet, les deux équipages se sont retrouvés le jour suivant, à Ανάληψη – ANAΛΗΨΗ, une autre baie de l'île. Le Hypérion y était au mouillage. L'équipage du Zeph l'y a rejoint, grâce à une voiture louée.
Ardeur de part et d'autre pour provoquer des retrouvailles.
Ardeur encore au second degré, avant que les horizons, seulement physiques, ne divergent.
Il y avait le choix du lieu pour ces agapes de l'ultime au revoir : une taverne sur la terre ferme, où se trouvait l'équipage motorisé du Zeph, ou le giron affectueux du Hypérion, qui dansait, non pas à cause du vent qui s'est mis à forcir, mais à cause de la joie fraternelle qui allait crescendo.
C'était l'Amirale du Hypérion qui prenait la décision pour tout le monde : elle recevrait ses nouveaux frères « chez elle ». Un « chez elle » absolument séduisant, en raison de la beauté de l'aménagement intérieur et de l'élégance du savoir-vivre qui y régnait.
Maintenant que l'idée des agapes à domicile a été émise, il fallait passer à la concrétisation de sa faisabilité. Et avec quelle maestria le Hypérion s'y est pris !
Cheveux au vent, l'Amirale et le barreur sont venus nous chercher avec l'annexe du Hypérion. Quel romantisme ! On dirait Michèle Morgan et Gérard Philippe dans la baie de Cannes.
L'ardeur de la fraternité était exaltée par le rouge vif de leur tenue de cérémonie et par la fougue de leur destrier.
Nous étions très fiers de bénéficier d'une telle escorte pour retourner à bord du Hypérion.
À notre arrivée, le vent faisait rage et la mer était démontée.
Pendant ce temps, le giron du Hypérion était un cocon douillet, charmeur et réconfortant.
Le confort, à tous points de vue, était là. Le bien-être, de soi et d'autrui, était assuré.
Mais le génie du Hypérion n'émanait des choses matérielles. Il était dans l'art de surprendre par des qualités morales insoupçonnées.
L'Amirale, qui possédait une multitude de tableaux d'honneur à son actif et qui a managé maintes équipes chevronnées, a dit devant la noble assemblée : « Minh va m'apprendre à faire des légumes al dente ! »
Aucun tremblement de la voix car il s'agissait d'une volonté sereine.
Aucune facétie dans l'intonation, car il n'y avait pas de sincérité plus pure.
L'humilité de l'Amirale avait l'éclat du diamant.
Avec volupté, nous nous sommes imprégnés du doux bonheur qui emplissait le giron du Hypérion.
Pour évoquer l'ardeur de la fraternité cannoise, le Capitaine du Zeph emploie le mot « miracle ».
Seule la mer a le pouvoir de produire de tels « miracles ».
Tags : ardeur, fraternité, Hypérion, Ίος, Αστυπάλαια, Ανάληψη
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