• Après avoir attiré notre attention sur l’ingéniosité avec laquelle Venise s’emparait du temps, l’Aventy nous invite à contempler le raffinement avec lequel la Sérénissime mettait en valeur son espace.

     

    Le vent de la Fortune

     

    Le chef-d’œuvre se tient à l’extrémité de la pointe de terre qui s’avance vers le bassin Saint-Marc, entre le Grand Canal, au Nord, et le Canal de la Giudecca, au sud. Il couronne un édifice consacré à la perception des taxes douanières.

     

    Le vent de la Fortune

     

    Dans la langue vernaculaire du pays, la statue qui domine tout le complexe architectural est appelée « Occasio ». Le rapprochement est facile avec le vocabulaire utilisé de ce côté des Alpes. Quand une voix cisalpine s’exclame : « C’est l’occasion ! », elle sous-entend immanquablement deux aspects : d’abord, que l’occasion est favorable, et ensuite, que celle-ci est fugitive. D’où la nécessité de vite en profiter.

     

    Le vent de la Fortune

     

    D’ordinaire, l’Atlas porte seul, sur ses épaules, le globe terrestre. Il n’a nul besoin d’un double pour alléger sa tâche. Dans ce cas, pourquoi Venise donne-t-elle à voir un globe terrestre porté par deux Atlas ? Plus que l’image de la complémentarité des deux porteurs, c’est celle de la stabilité du globe terrestre que voudrait montrer la Sérénissime. Stabilité physique qui évoque la stabilité d’un empire qui s’étend du Levant au Couchant. Les deux Atlas représentent les moyens déployés par la Sérénissime pour assurer cette stabilité. Évocation de la puissance, de l’efficacité, et du la réussite, bien sûr ! Mais, surtout, évocation du luxe. En effet, qui d’autre que la Sérénissime aurait pu s’offrir la prestation de deux Atlas ?

     

    Le vent de la Fortune

     

    Ceux qui sont friands de mythologie seront ravis d’apprendre que la statue sommitale s’appelle aussi « Fortuna ». Ainsi, Venise a installé comme figure de proue de la nef qui s’avance entre le Grand Canal et le Canal de la Giudecca, une divinité qui annonce le temps favorable, le moment propice, la venue du succès, l’avènement de la prospérité. La silhouette de la Fortuna tient un drapeau triangulaire qui indique la direction du vent. La Sérénissime a le vent en poupe ! Pour combien de temps ? Car le vent peut tourner !

     

    Le vent de la Fortune

     

    Le vent n’est ni permanent, ni docile. Son interprétation et son utilisation sont susceptibles de générer des erreurs.

    C’était le cas du vent qui a ramené Thésée à Athènes. Le héros, qui venait de tuer le Minotaure et délivrer Athènes du tribut de sang imposé par Minos le Crétois, bénéficiait du vent de la Fortune.

     

    Le vent de la Fortune

     

    Ce vent du triomphe devait pousser une voile blanche. Hélas, le héros a oublié de changer la voile qu’il avait depuis le début de son expédition. Voyant son fils revenir avec la voile noire initiale, Égée a conclu à un échec et s’est jeté dans la mer, qui, depuis, porte son nom.

     

    Le vent de la Fortune

     

    C’est ainsi que pour Thésée, le vent de la Fortune s’est transformé en vent de l’Infortune : au lieu de porter l’éclat, il a transmis la noirceur !

    L’inverse aussi peut se produire. Transportons-nous dans le Golfe Ambracique, que le Zeph connaît si bien ! Il s’y déroulait la bataille d’Actium, où s’affrontaient les forces de l’Orient hellénistique et celles de l’Occident romain.

    Quand la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz, sublimement incarnée par Elizabeth Taylor, apprend que le vaisseau de Marc-Antoine vient de tomber dans le piège tendu par Octave, elle lève légèrement son visage vers les cieux, comme pour les sonder.

     

    Le vent de la Fortune

     

    À cet instant, l’Égypte est en plein dans le vent de l’Infortune.

     

    Le vent de la Fortune

     

    La Reine demande à son amiral : « Comment est le vent pour Alexandrie ? » Et le marin répond à sa souveraine : «  Favorable, Majesté ! » Sans tarder, la Reine d’Égypte donne l’ordre de cingler vers Alexandrie.

    Un vent de la Fortune a émergé au milieu du vent de l’Infortune. Vite, la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz s’est agrippée au souffle de la délivrance. Le vent de l’Infortune avait la couleur rouge du carnage. Celui de la Fortune avait la couleur de l’or des palais d’Alexandrie.

     

    Le vent de la Fortune

     

    Pour Thésée rentrant sur Athènes, le vent a viré du blanc au noir. Pour la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz, le vent est passé de la couleur du sang à celle de l’or.

    Et toi, Zeph, quel vent as-tu ? Le vent de l’Infortune, en mars dernier. Mais Hermès et Asclépios, qui ont eu pitié de toi, t’ont fait parvenir un vent de la Fortune, ténu mais persistant, pour que tu te relèves. Comme pour la Cléopâtre de Joseph Mankiewicz, ton vent est passé de la couleur rouge à la couleur de l’or. Couleur rouge, en raison de l’embolie. Couleur de l’or, pour la sécurité retrouvée.

     

    Le vent de la Fortune

     

    Sur les photos de l’Aventy, la silhouette de la Fortune est toute minuscule. L’exhortation à la vigilance n’en est que mieux illustrée : il faut guetter l’apparition du vent de la Fortune et en tirer parti dès ses premiers frémissements.

     

    Le vent de la Fortune

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