• La « Superba », c’était Genova, qui jouissait d’un règne sans partage sur les eaux de la Mer Tyrrhénienne. À l’instar de l’Alexandrie en Égypte, qui s’enorgueillissait de son phare, la « Superba » était fière de sa « lanterna », qui, dès la tombée de la nuit, faisait scintiller dans le firmament ligure la gloire de l’illustre et puissante cité portuaire.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    La « Superba » avait une sœur qui s’appelait la « Serenissima ». Bien que parlant toutes les deux la même langue maternelle, elles tournaient fréquemment le dos l’une à l’autre. Relations orageuses, contact crispé, promptitude à en venir aux mains, rancune coriace, désir de revanche obsessionnel.

    S’il arrivait que la « Superba » et la « Serenissima » se retrouvaient face à face, c’était toujours avec animosité et fracas. Face à face provoqués par des règlements de compte. L’un de ces face à face retentissants a eu lieu dans les eaux où se trouve actuellement l’Aventy. Pour son arrivée en Croatie, l’Aventy a envoyé au Zeph des photos de Korčula et Primošten. C’était à Korčula que la « Superba » est allée chercher la « Serenissima », sur le territoire même de cette dernière.

    Que venait faire la « Superba » dans l’Adriatique ? La Mer Tyrrhénienne ne lui suffisait donc plus ? L’enjeu était la route de l’Orient. La « Superba » ne voulait être inquiétée ni à l’aller, ni au retour. Elle voulait être protégée, et sur le flanc gauche à l’aller, et sur le flanc droit au retour. Alors elle a décidé d’aller faire la leçon à sa rivale, avec maestria : « Touche pas à mon négoce ! J’entends gérer, seule, mes affaires, sans concurrente, ni trouble-fête ! Et je n’ai pas l’intention de partager mes gains, avec personne ! »

    Querelle de famille. Dispute entre deux sœurs qui voulaient le même gâteau, l’Orient. Même convoitise de part et d’autre, même refus du partage, même revendication de l’exclusivité. Une fois de plus, le clash devenait inévitable. Et il a éclaté de façon terrifiante dans les eaux de Korčula, il y a sept siècles.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    La « Superba » avait 78 navires de guerre, la « Serenissima » en avait 95. Mais la « Superba » a compensé son infériorité numérique grâce à deux astuces stratégiques, inspirées par la Haute Antiquité : l’extrême mobilité des unités d’attaque et la constitution d’unités de réserve pour prendre l’ennemi en tenaille.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    En ce terrible jour de règlement de comptes, l’onde bleue de Korčula se noyait sous les flots écarlates qui jaillissaient des corps déchiquetés. Le vert des arbres s’évanouissait dans la fumée noire et grasse qui s’élevait des coques et des mâtures brisées. La roche prenait peur à cause du fracas des armes, parce que l’on transperçait, tranchait ou décapitait l’ennemi par le fil de l’épée plus qu’on l’assommait ou l’écrasait.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    La raclée qu’a reçue la « Serenissima » était effrayante. 65 de ses galères ont coulé. 18 autres ont été capturées. 7000 de ses hommes ont péri. Autant ont été faits prisonniers. Le fils même de son amiral a été capturé, et de peur d’être humilié dans le cortège triomphal de la « Superba », l’homme s’est suicidé en se brisant le crâne sur le banc où il était enchaîné !

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    Lamba Doria, l’amiral de la « Superba », lui, a été accueilli en héros émérite dans la cité ligure. Reconnaissante, celle-ci a offert à son talentueux stratège une demeure princière. Et pour la postérité, le portrait du vainqueur à Korčula se doit de figurer dans la fresque dynastique de l’amirauté de la « Superba ».

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    Tout de suite, après les éclats de Korčula, la « Superba » était en position pour acculer sa rivale dans des retranchements ultimes et la spolier complètement, jusqu’à la ruine totale. Mais la « Superba » n’est pas allée jusqu’au bout de sa férocité.

    La « Superba » n’a cessé de se quereller avec sa sœur et rivale au sujet de l’Orient que lorsque de nouvelles routes s’ouvraient à l’Ouest, avec la perspective troublante d’amasser des fortunes faramineuses dissimulées à l’horizon.

    Aussi paisibles que puissent paraître Korčula et Primošten de nos jours, ces îles n’ont pas échappé, par le passé, aux regards insistants et cupides des puissances impérialistes avoisinantes.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    L’histoire ne revêt pas le masque idyllique de la géographie. L’histoire révèle les déchirements des entrailles, fait entendre le cri des trauma, même de longue date.

    Question déjà soulevée à l’époque de l’incident avec le Cerbère : dans quelle mesure la topographie a-t-elle en mémoire des tragédies humaines dont elle a été témoin ?

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

    Le Zeph a des affinités électives, et avec la « Superba », et avec la « Serenissima ». Dans la bataille navale de Korčula, comme dans celle d’Actium entre Marc-Antoine et Octave, le Zeph a beaucoup de mal à choisir son camp.

     

    Le fil de l’épée de la « Superba »

     

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