• Il est né en Occident et rêvait d’Orient. Alors, dès qu’il en avait les moyens, il est parti du côté du soleil levant. Il a emmené sa bande de copains dans les terres de l’Est, espérant même parvenir jusqu’aux confins du monde.

    Sa folle aventure a donné naissance à des échanges vivifiants, féconds et durables entre l’Occident et l’Orient. C’est pourquoi l’Histoire lui a accordé un surnom qui rappelle la grandeur de son œuvre.

    Ses parents l’appelaient Alexandre.

     

    Le bonheur de l'échange

     

    Alexandre le Macédonien, surnommé encore Alexandre le Grand, a donc réalisé son rêve d’Orient en bâtissant un empire qui s’étendait de la Mer Égée jusqu’aux rives de l’Indus. L’Orient lui a donné une princesse, qu’il a épousée selon le rite oriental.

     

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    Échange culturel par le mariage.

    Échange culturel aussi par la fusion de deux esthétiques dans la représentation du sacré.

    En effet, les premières évocations de la présence du Bouddha excluaient l’usage d’une forme humaine. À l’origine, cette présence était seulement signifiée par des symboles tels que la roue.

     

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    Le Bouddha était identifié par sa doctrine, elle-même représentée par une roue appelée « Roue de la Loi » ( धमच en sanscrit, dharmachakra ). Le parcours circulaire originel a eu lieu au moment de l’Éveil, avec l’énonciation du mécanisme de l’attachement, du désir, de la souffrance et de la libération.

    C’est l’art grec, apporté par Alexandre le Grand, qui a permis l’émergence de silhouettes humaines dans la représentation du Bouddha.

     

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    En plus de l’enveloppe corporelle, l’esthétique grecque a donné à l’art bouddhiste les traits d’un visage harmonieux et les plis d’une tunique élégante.

    Il est impensable que l’art, qui est une forme de louange, puisse donner à voir des motifs décoratifs, sans que l’esprit et le cœur aient déjà accepté les principes et les idées qui ont généré ces formes du beau. La floraison de l’art de l’osmose ne peut avoir lieu que si au préalable l’osmose a déjà réuni les différentes sèves, mentalement et affectivement.

    L’art ne peut être superficiel. S’il montre une compréhension mutuelle, c’est que dans le tréfonds de l’être, l’entente cordiale existe réellement.

    Les échanges suscités par l’aventure d’Alexandre le Grand ont engendré une multitude de bienfaits.

    Le capitaine a tenu à ce que l’hommage rendu par le Zeph à la culture grecque tienne compte du périple en Orient du roi de Macédoine. Grâce à la complicité du Louvre, ce désir est exaucé.

     

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    Chaque jour, le giron du Zeph se pare du suave bonheur de l’art gréco-bouddhiste.

    Le Zeph lui-même contribue à des échanges qui le comblent de satisfaction.

    Échange de points de vue, au sens spatial comme temporel.

    Par rapport à l’espace, l’esprit du Zeph n’avait du quartier Confluence, à la jonction du Rhône et de la Saône, que des vues au ras de l’eau.

     

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    L’horizontalité avait son charme, et même son confort, car elle nous évitait certaines douleurs cervicales. La troisième dimension, celle qui rapprocherait de la transcendance, semblait appartenir au rêve, jusqu’au jour où l’Ouvé offrait au Zeph une magnifique vue plongeante vers le bassin du vaporetto lyonnais.

     

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    L’échange de perspectives crée le bonheur de la complémentarité.

    Par rapport au calendrier, l’Ouvé et le Zeph disaient l’un à l’autre ce qu’ils rêveraient d’accomplir dans le temps à venir : une circumnavigation pour tous les deux, mais celui-ci aurait les yeux fixés sur la Mer Intérieure tandis que celui-là lorgnerait le Grand Océan, qui se nommerait tantôt Atlantique, tantôt Pacifique. La comparaison était inévitable. Mais il n’en résultait aucune rivalité. Au contraire, chacun souhaitait de tout son cœur à l’autre le meilleur de la navigation désirée. L’échange offre l’ivresse de la stimulation mutuelle.

     

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    Échange entre artistes décorateurs aussi. L’antiquité pour l’un, le monde contemporain pour l’autre. Aucune opposition, aucun antagonisme. Au contraire, chacun découvre et apprécie la douceur de vivre dans l’univers qui d’habitude n’est pas le sien. L’échange offre le plaisir de la séduction réciproque.

    Échange entre hédonistes accomplis. L’Ouvé aime ce qui est pur : pureté dans toutes les perspectives de son habitat, mais aussi à table, dans la composition de l’alimentation.

     

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    Le Zeph aime ce qui est en volute : profusion de courbures pour l’organisation de l’espace intérieur, et aussi dans les assiettes de la convivialité. L’échange apporte des découvertes, suscite l’étonnement et engendre des satisfactions durables.

    La gratitude n’est pas attachée à la chose qui a circulé et qui est inerte et impassible, mais à la sensibilité et à la conscience de l’être humain qui reçoit, sensibilité et conscience qui existent dans toutes les sociétés, si primitives soient-elles. En raison du libre arbitre, le retour, qui constitue la deuxième composante de l’échange, n’est jamais automatique. Le « contre-don » théorisé par l’anthropologue Marcel Mauss comme contrainte systématique en réponse au don, est une négation de la spontanéité, donc du libre arbitre de celui qui reçoit. De plus, ce « contre-don » automatisé est même une incitation à l’hypocrisie de celui qui donne.

    Un échange ne peut être que libre. Dans ce cas, le geste du retour n’est pas lié à l’objet qui a transité, mais au sujet receveur, qui montre son appréciation par rapport au don et qui témoigne de son désir de fortifier et d’enrichir le lien social ainsi tissé.

    Quand l’Ouvé a offert son hospitalité, il n’attendait aucun contre-don de la part du Zeph. L’Ouvé a ouvert les portes de sa demeure aérienne seulement parce qu’il avait de l’affection pour le Zeph. Introduire l’idée du « contre-don » professée par Marcel Mauss, c’est faire une très grave offense au geste amical et désintéressé de l’Ouvé.

    Au printemps dernier, pendant qu’il était en route pour les châteaux cathares, l’esprit du Zeph a voulu faire une visite surprise à l’Ouvé. Nous nous sommes donc arrêtés à Gruissan. Le capitaine de l’Ouvé n’était pas là. Dommage ! Nous avons quand même pris le temps de contempler l’Ouvé, quand quelque chose a attiré l’attention du capitaine du Zeph. La filière à tribord était endommagée, vers la poupe. Sans tarder, le capitaine du Zeph est monté sur le pont pour sécuriser les défenses à l’endroit du dégât.

     

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    L’intervention du capitaine du Zeph attendait-elle une contrepartie ? Aucunement ! Imposée ou suggérée, aucune contrepartie n’était attendue.

    Serait-ce un geste solitaire, qui n’était impliqué dans aucun échange ? Nullement ! Le capitaine du Zeph est intervenu en souvenir de l’amitié de l’Ouvé. Il y a bien eu un échange, qui se nommait solidarité et qui ne se concevait pas en termes de profit ou de perte.

    Le geste du capitaine était donc la deuxième phase, et non la première, de l’échange qui se produisait à Gruissan.

    Contrairement à l’analyse de Marcel Mauss, le geste du capitaine n’était programmé par aucune contrainte physique ou sociale. Il n’était même pas prévu que l’on s’arrête à Gruissan ce jour-là, et l’on n’en savait rien de la casse de la filière de l’Ouvé.

    La réactivité du capitaine du Zeph ne relevait d’aucun automatisme. Elle n’était le « contre-don » d’aucun don précis et concret fait antérieurement par l’Ouvé.

    Marcel Mauss a entièrement faux avec l’Ouvé, et aussi avec l’Aventy !

    L’Aventy n’aime pas se retrouver débiteur, parce que l’Aventy prend soin de ne pas faire porter le fardeau aux autres. L’Aventy n’aime pas paraître créancier, parce que l’Aventy déteste le déséquilibre, même si celui-ci est en sa faveur. Alors pour honorer tout le monde et égayer la situation, l’Aventy dit qu’il y a eu échange.

    « Échange » est l’un des mots favoris de l’Aventy. Pour dire que personne n’est resté dans son coin, que tout le monde a participé, de gaîté de cœur même. Ce qui était vrai, car l’Aventy a toujours su créé les conditions pour que cette joyeuse mutualisation ait lieu. Chacun apportait ce qu’il voulait, donnait aux autres ce qu’il voulait. Cette belle liberté et cette sublime franchise faisaient que l’échange, spontané et chaleureux, était une fête de la générosité, qui devenait la signature de l’Aventy.

    Contrairement à ce que dit Marcel Mauss, l’anthropologue, il n’y a pas don et contre-don dans le giron de l’Aventy. Chez l’Aventy, il y a don, puis don, et encore don, sans aucune corrélation, sans aucune dépendance, pourvu que le tout fasse un joli feu d’artifice, dont tout le monde profite, sans aucun calcul préalable, et sans aucune arrière-pensée. La dignité, la liberté et la sollicitude nourrissent l’échange que l’Aventy offre à ses hôtes.

     

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    Dernièrement, au moment des adieux, l’Aventy a donné au Zeph, entre autres, un jeu de cartes sicilien, « la Scopa », et du gingembre acheté en personne sur l’île de la Réunion.

    Le jeu de cartes « la Scopa », c’était en souvenir de la Sicile qui, chaque hiver, offrait à l’Aventy un havre de paix à Licata.

     

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    La série de cartes était toute neuve. Les illustrations étaient fort belles. La règle du jeu a beaucoup plu au capitaine, qui comptait s’en servir souvent à bord du Zeph.

    L’Aventy donnait toujours au Zeph quelque chose à emporter. Avant cette fois-ci, il y a eu, par exemple, le chocolat de Modica. Et l’Aventy, tout heureux, disait qu’il s’agissait, non pas d’un cadeau, c’est-à-dire un don, mais d’un échange. Et à entendre le ton de l’Aventy, cet échange n’aurait rien d’extraordinaire. Ne point s’élever, de peur d’écraser l’autre : quelle noblesse d’âme, qui transparaît malgré les mots de l’humilité ! Quant au Zeph, il se devait de témoigner de sa propre lucidité. Alors il a dit à l’Aventy : « Dans l’échange, c’est toujours toi qui a fait le premier pas ». Il y a bien une dette, celle qui est contractée par rapport à l’antériorité de l’autre.

    La conception de l’Aventy est aux antipodes de la définition de Marcel Mauss.

    L’Aventy a beaucoup insisté pour que le Zeph fasse la connaissance de l’Épisode. Le jour où l’Épisode est venu prendre l’apéro à bord du Zeph, il y avait aussi les anges du Languedoc. En cette fin d’après-midi, nous étions donc six. Six à échanger nos points de vue sur l’utilité de la navigation et l’exploration du monde.

     

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    Les avis étaient contrastés, mais l’humeur demeurait joyeuse.

    Quelques jours plus tard, pour dire au revoir, l’Épisode a déposé, avec beaucoup de discrétion, sur le pont du Zeph, deux ouvrages sur les Baléares, avec une belle et émouvante dédicace manuscrite.

    Les deux livres sur les Baléares, offerts en retour par l’Épisode, avaient une « valeur d’usage », puisqu’ils avaient plu et ont été utiles à nos invités. Mais quelle « valeur d’échange » pouvaient-ils avoir par rapport à l’apéro dégusté ensemble, à bord du Zeph ? Aucune, parce qu’il n’y avait aucune correspondance matérielle et financière avec ce qui a été mis sur la table de la convivialité. Il y a bien eu échange, non pas au sens défini par les économistes, mais au sens défini par l’Aventy, c’est-à-dire librement de part et d’autre, et pas nécessairement dans le même domaine.

     

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    La dédicace rédigée sur les deux livres offerts témoignait que le geste du retour était dû à la conscience et non à quelque contrainte tyrannique imposée par l’invitation à prendre l’apéro. Marcel Mauss, qui a élaboré la théorie du « contre-don » prescrit et codifié socialement, a tout faux au sujet de la réciprocité entre le Zeph et l’Épisode.

     

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    Et contrairement à ce qu’a écrit Karl Marx, il y a eu circulation d’un objet de valeur, constitué en l’occurrence par les deux livres sur les Baléares, sans que cet objet de valeur ait une « nature bifide » liée à la dualité valeur d’usage/valeur d’échange.

    Avec l’Aventy, l’Ouvé, l’Épisode et tous ses autres amis, le Zeph a des échanges qui s’affranchissent de toute nécessité de quantification, donc de toute intervention de l’unité de mesure qui est la monnaie.

    Il est là le bonheur de l’échange : dans le refus de tout calcul.

    L’échange qui fleurit la route du Zeph n’est jamais une transaction préméditée, car il honore le libre arbitre et célèbre le désintéressement.

    L’échange qui embellit l’histoire du Zeph saison après saison est une circulation dans les deux sens, pas nécessairement avec la même quantité de part et d’autre, ni même dans le même domaine. Seule compte la sincérité, qui fait l’authenticité et la fécondité de l’échange.

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