• La liberté d'aimer

    Ils étaient jeunes.

    Il s’appelait Δάφνις – ΔΑΦΝΙΣ. Daphnis, en français.

    Elle s’appelait Χλόη – ΧΛΟΗ. Chloé, en français.

    Ils vivaient sur l’île de Λέσβος – ΛΕΣΒΟΣ.

    Il était berger. Elle était aussi bergère.

    Leur jeunesse faisait que tout ce qui se produisait entre eux avait la saveur inoubliable de la première fois. L’innocence leur offrait toute liberté pour découvrir, s’étonner et s’extasier.

    Les sentiments entre le berger et la bergère sont illustrés par une sublime partition, écrite de la main de Maurice Ravel, qui est né à Ciboure, dans le Pays Basque, là où nous avons fait nos adieux à l’année 2019.

    Notre logement se trouvait dans la rue Rhin et Danube. Nous avions un appartement très bien conçu, situé au deuxième étage, ce qui nous procurait des panoramas magnifiques, aussi bien du côté des montagnes à l’intérieur des terres que du côté de la mer, derrière les quais.

    La maison où nous logions s’appelait Andurenia.

     

    La liberté d'aimer

     

    En sortant de notre maison basque, il suffisait de tourner à gauche et d’emprunter la rue Jules Pâquier puis la rue Agorette pour arriver sur la place qui donnait, à gauche, sur la Boulangerie de l’Océan, et, à droite, sur les quais. Sur cette place, côté quai, on pouvait voir cette pancarte qui honorait la mémoire du compositeur :

     

    La liberté d'aimer

     

    Quatre maisons plus loin, sur le même trottoir, en allant en direction du large, se trouvait la maison Estebania, là où le 7 mars 1875 Maurice Ravel a vu le jour.

    Nous sommes très contents d’avoir séjourné tout près du lieu où le compositeur avait passé sa plus tendre enfance.

    La composition orchestrale de Maurice Ravel, intitulée Daphnis et Chloé, est destinée à être dansée. Les premiers décors du ballet ont été réalisés par l’artiste russe Léon Bakst.

    L’histoire dansée du berger et de la bergère de l’île de Λέσβος – ΛΕΣΒΟΣ a commencé au milieu d’un cadre idyllique, paré d’une multitude de cyprès élancés. Tout au fond, sur une hauteur, apparaissait le profil d’un temple grec.

     La liberté d'aimer

     

    Les lieux baignaient dans une harmonie qui se voulait originelle et finale aussi.

    Ce tableau est conservé au Musée des Arts Décoratifs, à Paris.

    L’artiste russe a aussi peint les deux protagonistes principaux du ballet. Voici comment il les voyait :

     

    La liberté d'aimer

     

    Cette peinture est conservée au Metropolitan Museum of Art, à New York.

    On devine aisément la candeur des personnages.

    Ils ne subissent pas le handicap de l’expérience, qui les aurait privés de l’effet surprise.

    Pas d’idée préconçue, pas de formatage futile ou nuisible.

    Être libre de toute pression normative, qu’elle vienne du présent ou du passé.

    L’amour curieux est sans frontière : il se montre friand de territoires inconnus.

    Il joue, surprend, se surprend. Avec candeur, dans la pureté.

    Il s’enroule, se déroule. Sans complexe, sans fausse pudeur.

    Le berger et la bergère se découvrent en toute liberté.

    D’abord, découverte de soi, de son propre corps, de ses propres émois.

    Puis, découverte de l’autre, de la complémentarité.

    Ils s’aiment pas à pas, un pas après l’autre, à tâtons, en crescendo, irréversiblement.

     

    La liberté d'aimer

     

    L’amour naissant découvre les tensions, apprend les torsions.

     

    La liberté d'aimer

     

    Sublimation des forces centrifuges pour ne pas aller jusqu’à la rupture.

    Des agents extérieurs peuvent être à l’origine du processus de séparation, voire de dislocation. Il est possible qu’une présence enjôleuse s’accapare du berger.

     

    La liberté d'aimer

     

    La couleur rouge est censée attirer, enflammer et captiver.

    Il se peut aussi qu’une silhouette athlétique jette son dévolu sur la bergère.

     

    La liberté d'aimer

     

    Le séducteur, fort entreprenant, mise sur l’onde de choc véhiculée par la couleur ocre rouge de son vêtement.

    Il n’est pas toujours facile de résister à des avances répétées.

    L’amour ingénu se découvre avec gourmandise, ne se couvre pas toujours suffisamment.

    Premier face à face avec la jalousie.

    L’amour supporte mal les ingérences.

    Tout est nouveau : le tremblement, le frisson, l’éblouissement, même la jalousie.

    Il faut apprendre à se retrouver après s’être perdus de vue.

    L’amour novice se cherche, se trouve, s’égare, se retrouve.

    L’entente a besoin d’être très solide pour faire front commun contre le danger, qui menace de disperser et d’anéantir. Celui surgit en la présence du pirate Bryaxis, qui arrive de la mer.

     

    La liberté d'aimer

     

    La couleur noire de l’habit évoque les projets funestes et le spectre de la mort.

     

    La liberté d'aimer

     

    L’amour n’existe que dans le libre arbitre. L’amour contraint n’est plus de l’amour.

    Or Bryaxis, le pirate, ordonne, impose, contraint.

    Être libre d’aimer ou de ne pas aimer.

    Ne pas avoir à donner son amour ni sous la contrainte, ni par nécessité, ni par indigence.

    Le libre arbitre comme condition première de l’épanouissement de ce qu’il y a de plus beau dans l’existence : l’amour.

    Il appartient au berger et à la bergère de tenir bon, malgré la tornade de violence, d’oppression et d’humiliation.

    Des Nymphes appellent au secours le dieu Pan, qui sauve la bergère et le berger.

    Affranchis de toute menace, les deux amoureux peuvent à présent donner libre cours à leurs épanchements.

    Retour à la joie, à l’allégresse, à l’enthousiasme.

    L’amour donne des ailes, au sens figuré comme au sens propre.

     

    La liberté d'aimer

     

    Il insuffle de la légèreté dans l’existence et prend des libertés avec la pesanteur.

    L’heureux dénouement est dû au dieu Pan, protecteur des bergers et des troupeaux.

    Ce fait important est rappelé dans le tableau que le Montpelliérain Pierre Cabanel a peint. Derrière la bergère qui joue de la flûte et le berger qui admire la soliste, le dieu Pan assiste aussi au concert.

     

    La liberté d'aimer

     

    L’être divin incline légèrement la tête en direction de la fosse d’orchestre. L’arcade sourcilière visible et le profil des lèvres expriment la satisfaction, la fierté et la bienveillance. La tenue de soirée est de rigueur, car le lierre qui pare le buste fait penser au costume que l’on porte à l’occasion des grandes cérémonies.

    Notre récent voyage dans la péninsule ibérique nous a amenés, dès le début, vers la liberté d’aimer, si subtilement chantée à travers les notes inventées par Maurice Ravel.

    Cette balade au bord de l’Océan a eu le privilège de se terminer avec une évocation inattendue de la liberté d’aimer.

    Voici ce que nous avons découvert sur notre chemin quand nous nous préparions à dire au revoir à la ville de Porto et à rentrer en France :

     

    La liberté d'aimer

     

    Vamos abraçar os amigos

    Allons embrasser les amis

     

    C’était l’une des nombreuses suggestions qui fleurissaient un peu partout sur les rives du Douro pour saluer l’arrivée de l’an neuf.

    Suggestions, recommandations, invitations.

    L'affection portée par la spontanéité et la générosité, dont on fait bénéficier les amis, est de l’amour. On choisit ses amis, librement.

    Le lien de l’amitié a une genèse différente de celle du lien familial. Le premier résulte d’un libre choix tandis que le second est imposé dès la naissance. Faire des bisous aux amis, c’est célébrer la liberté qui a présidé à la naissance de ces liens affectifs en dehors de l’arbre généalogique.

    Autre déclaration de tendresse portugaise, sur la place publique :

     

    La liberté d'aimer

     

    Vamos abraçar o planeta

    Allons embrasser la planète

     

    La planète, c’est-à-dire les cinq continents et les sept mers.

    On fait des bisous à la planète, on la chouchoute.

    On prend bien soin d’elle.

    On est mû par notre propre conscience. C’est encore l’expression de notre libre arbitre.

    Une fois de ce côté-ci des Pyrénées, nous avons lu une déclaration similaire. Mais la similitude n’était que superficielle. En effet, le texte français, aperçu dans un abribus, disait ceci : « Il faut agir pour la planète ». Même objectif et même préoccupation de part et d’autre des Pyrénées, apparemment. Mais en réalité, la forme n’était pas la même. Le ton, non plus. Au Portugal, on lançait une invitation, sur un ton amical et enjoué, qui prenait en compte le libre arbitre. En France, on proclamait un ordre, sur un ton militaire et stressant, qui ne laissait aucune place au libre arbitre. Le verbe portugais parlait de bisous, d’accolades, d’étreintes affectueuses. Quant au verbe français, il mentionnait une action dont on ne savait rien, sauf qu’elle était dépourvue de sentiment. Sur la terre du fado, tout le monde s’impliquait à travers un « nous » engagé et plein d’entrain. Au pays du « Discours de la méthode », on se retranchait derrière la forme impersonnelle, qui avait le désespoir de l’abstraction et la morosité de la vacuité.

    Il va de soi que si l’on fait plein de mamours à la planète, on ne va pas lui faire plein de misères après. Philosophiquement et stratégiquement, l’attitude portugaise est mille fois plus intelligente et plus féconde que l’attitude française.

    À Porto, une troisième déclaration illustrant la liberté d’aimer a retenu notre attention. La voici :

     

    La liberté d'aimer

     

    Vamos abraçar o futuro

    Allons embrasser le futur

     

    L’élan spontané est un signe de liberté.

    La finalité du geste d’affection est un futur légitimement câliné, débordant de douceur et coopératif à souhait.

    L’amour et la liberté engendrent la confiance et l’optimisme.

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