On séduit volontairement ou malgré soi.

La séduction a-telle recours à des courbures ?

Si oui, possède-t-elle des courbures spécifiques ?

La courbure de la séduction diffère-t-elle selon que celle-ci est consciente ou volontaire ?

On peut séduire l’esprit, le cœur ou les sens.

Pour célébrer le cinq centième anniversaire de la découverte du Nouveau Monde par Cristoforo Colombo, Genova a voulu un lifting du Porto Antico. Le magicien des lieux était Renzo Piano. Sa mission était de surprendre et de séduire le monde de la culture. L’œuvre du prestidigitateur comporte, entre autres, la tensostruttura del Ponte Embriaco. Il s’agit d’un espace dont le toit est une toile blanche, tendue par traction.

 

 

Les arceaux délimitent des anneaux qui rappellent les segments de la carapace d’une crevette posée sur son ventre.

En été, le lieu est la Piazza delle Feste, qui abrite les événements musicaux. En hiver, il sert de patinoire.

Prouesse technique indéniable. Réussite esthétique confirmée. L’ouvrage séduit par l’originalité de ses courbures.

Quand le Zeph s’amarre à Genova, il est tout proche de la tensostruttura del Ponte Embriaco, qui le subjugue de jour comme de nuit.

Un peu plus au nord, après le Galion que Roman Polanski a fait construire pour tourner son film « Pirates », le Porto Antico exhibe la belle silhouette d’une énorme crevette, avec sa courbure appétissante, sans stylisation abstraite.

 

 

Séduction du coup d’œil, mais surtout des papilles. Car la courbure est chatoyante, voluptueuse, et même parfumée !

Les saveurs et les odeurs véritables de la courbure dorsale, le Zeph les offre généreusement à ses invités, qui sont de fins gourmets en matière de fruits de la mer.

 

 

On salive en voyant les couleurs de la courbure, on s’extasie avec les épices qui l’agrémentent, on oublie le temps avec le breuvage qui en caresse la chair.

Courbure de délices, pour célébrer l’amitié entre gens de la mer.

À Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ, sur l’île de Κεφαλονιά – ΚΕΦΑΛΟΝΙΑ, une statue séduit immanquablement par le raffinement de ses courbures. Il s’agit d’une silhouette féminine, qui se dresse devant le bâtiment du théâtre municipal.

 

 

Les cheveux de la jeune femme sont coiffés à l’antique. Le chignon met en valeur une nuque sensuelle.

 

 

La tête, légèrement inclinée sur l’épaule gauche, crée une courbure de la douceur.

 

 

Le visage est inscrit dans un ovale. Aucun trait anguleux en périphérie ou à l’intérieur. Douceur persuasive, car elle est porteuse d’un message.

La tunique épouse intelligemment la courbure des reins et vante la sveltesse du personnage. Sur le devant, un pan de l’étoffe tombe suivant une coupe oblique, qui descend de la hanche gauche vers le genou droit. Un tracé vertical aurait trop de raideur.

 

 

La source de l’inspiration est l’Antiquité. On retrouve la façon dont jadis, Héra, la femme de Zeus, était habillée sur l’île de Samos. Le Louvre montre plusieurs exemplaires de cette tenue vestimentaire.

 

 

La courbure induite par cette descente oblique cumule deux avantages : elle possède une douce progressivité et bénéficie de l’étirement en longueur, qui contribue beaucoup à l’élégance.

L’allongement dans le sens de la hauteur, qui donne à la silhouette un aspect élancé, s’inspire de la colonne ionique, qui représente le corps féminin tandis que la colonne dorique évoque le corps masculin.

Selon l’architecte romain Marcus Vitruvius Pollio, la colonne ionique a une hauteur qui fait jusqu’à neuf diamètres. La statue d’Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ applique sciemment ce critère.

Le pied droit vient de franchir une bordure végétale, qui cache l’autre pied.

 

 

Ce pas en avant crée une torsion sur la tunique, au niveau du genou droit.

 

 

Ainsi, tout le corps ondule, dans le sens de la hauteur, grâce à l’inclinaison de la tête, le resserrement de la tunique au niveau de la ceinture et la torsion vers le genou droit. C’est une suave douceur qui ruisselle tout le long du corps. Intentionnellement, l’artiste fait ruisseler tant de douceur sur ce corps féminin, car celui-ci a une mission.

En effet, le nom de la statue est ‘Αγαλμα Ειρήνης – ΑΓΑΛΜΑ ΕΙΡΗΝΗΣ, c’est-à-dire « Statue de la Paix ».

La Paix n’est pas statique. Elle est en marche.

La chaussure visible présente un rebord, qui est courbé vers l’avant, au niveau de la cheville. C’est un clin d’œil aux sandales ailées d’Hermès, le messager des dieux, et un hommage au talent de la diplomatie.

L’œuvre est d’un réalisme troublant.

Pas d’exubérance sotte. Pas d’arrogance vaine.

Mais une douceur millénaire.

Sur le côté extérieur de la chaussure visible, apparaît le nom de l’artiste. Il s’appelle Μεμάς Καλογηράτος – ΜΕΜΑΣ ΚΑΛΟΓΗΡΑΤΟΣ.

 

 

Il est né sur l’île, en 1940. Il a fréquenté l’École des Beaux-Arts à Athènes, puis est revenu dans son île natale.

À six ans, il a vu la maison paternelle brûler au cours des troubles de l’après-guerre. Traumatisé par la violence, il porte aussi les stigmates de la pauvreté dont il a souffert jadis.

Le souvenir des atrocités causées par la violence des armes a donné le ruissellement de tant de douceur sur la Statue de la Paix. Celui de la pauvreté endurée a fait pousser des épis de blé, que caresse le bas de la tunique. Évocation du froment de la prospérité pour conjurer les restrictions alimentaires et la crise économique.

La Statue de la Paix se dresse devant le bâtiment du théâtre municipal. En haut de la façade, on peut lire l’appellation exacte de celui-ci :

ΔΗΜΟΤΙΚΟ ΘΕΑΤΡΟ ΑΡΓΟΣΤΟΛΙΟΥ « Ο ΚΕΦΑΛΟΣ »

Δημοτικό Θέατρο Αργοστολίου « Ο Κέφαλος »

 

 

L’adjectif Δημοτικό – ΔΗΜΟΤΙΚΟ vient de la racine Δήμος – ΔΗΜΟΣ, qui désigne le peuple.

C’est donc un théâtre « populaire », au sens donné par Jean Vilar quand il a créé le Théâtre National Populaire (TNP) à Villeurbanne.

La Statue de la Paix est l’ornement d’un projet culturel au service du peuple, des couches populaires, qui sont toujours les premières à souffrir au moment des guerres et des crises économiques.

La Statue de la Paix regarde vers l’Est, en direction des flots de la baie. Dans l’axe du regard, se trouve le Zeph, qui est amarré sur l’autre rive de la baie.

À chaque lever de soleil sur Αργοστόλι – ΑΡΓΟΣΤΟΛΙ, comme nous étions heureux de bénéficier de ce regard de la Paix, regard qui était soutenu par tant de courbures sublimes inspirées par l’Antiquité.

Et lui, qui cherche-t-il à séduire avec sa jambe droite relevée, sa tête inclinée, ses reins cambrés et sa main gauche qui fait balancier avec des doigts arqués ?

 

 

S’essaie-t-il au twist ou au jerk ?

À moins qu’il n’exécute une pirouette de danseur étoile.

Mais à quelle compagnie appartient-il ?

Il fait partie du corps de ballet de Scario, qui se produit dans le Golfo di Policastro. La scène se trouve à proximité de l’église qui domine le port.

Deux concavités se font écho : le creux de la paume de la main gauche et le creux des reins.

 

 

Les deux concavités sont tournées dans deux directions opposées. Comme pour sauver un équilibre qui menace d’être instable.

Quel sentiment est ainsi chorégraphié ?

Il ne s’agit ni de la joie, ni de la tristesse.

La sérénité alors ? Pas du tout !

Au contraire, la main gauche qui se redresse et s’incurve évoque un sursaut. En effet, un incident, assez fâcheux, vient d’avoir lieu. Quelle en est la cause ? Il suffit de regarder là où était le pied droit avant qu’il ne soit soulevé.

 

 

Il y a eu blessure à cause d’un crabe.

Et le corps du jeune homme a improvisé plusieurs courbures pour exprimer la douleur soudaine.

Les courbures sont involontaires, mais très expressives et pleines de grâce.

La blessure peut-elle être à l’origine de tant de beauté dans l’expression corporelle ? C’est possible avec le jeune homme de Scario, qui a un instinct de danseur. Cet instinct de danseur, nous l’avons tous. Il s’appelle encore instinct du beau. C’est lui qui chorégraphie les courbures de la séduction, pour se séduire soi-même avant de séduire autrui.