Non à la loi du plus fort, même s’il est réputé invincible. Non à la puissance montante en Italie, qui vient de donner une cuisante leçon à la fière Carthage au Sud-Est.
Non à l’ordre établi.
Non à la phallocratie. Non au sexe dit « fort ».
C’est donc un visage avec les traits de la féminité.
Une féminité noble et raffinée, car c’est le visage d’une reine
Une féminité fière et redoutable, parce que c’est le visage d’une femme pirate.
Visage de la séduction pour convaincre, ordonner et se faire obéir.
Visage de l’engagement pour donner l’exemple et conduire ses troupes au combat.
Un visage qui dit non à l’hégémonie de l’Italie, en envoyant ses pirates attaquer les vaisseaux commerciaux des alliés de Rome.
Un visage qui fait fi des plaintes qui émanent des marchands pillés dans l’Adriatique et qui affluent au Sénat romain.
Un visage qui a la résistance et l’efficacité du bronze dont est faite la sica, l’épée recourbée, bien connue des tribus des Balkans.
Un visage qui ne craint ni la corrosion du sel de la mer, ni la violence des rafales, qui jubile avec le scintillement de l’or et des pierres précieuses, qui est familier de l’odeur du feu et du sang, qui ne tremble pas à cause des hurlements du vent ou de l’ennemi.
Un visage incisif, au verbe tranchant.
Un visage qui ne tolère pas la réplique. Encore moins, de la grossièreté à son égard. C’est ainsi qu’il a tenu à punir sévèrement l’arrogance de l’un des deux ambassadeurs qui étaient venus parler au nom de Rome. Pendant que ceux-ci s’en retournaient en Italie à la voile, la reine pirate s’est arrangée pour que l’émissaire insolent soit assassiné en mer.
Un visage qui n’a pas froid aux yeux malgré les menaces de représailles de l’ennemi.
Un visage qui dit non à l’essor de la République romaine en s’emparant de Corfou, l’île qui verrouille les routes maritimes entre la péninsule italienne et l’Orient. L’inestimable trophée de guerre, tant convoité des deux côtés de l’Adriatique, a été gagné à l’issue d’une bataille navale mémorable qui s’est déroulée au large de Paxos.
La flotte de la reine pirate a employé un stratagème pour anéantir l’ennemi : les navires pirates, attachés quatre par quatre, sont lancés dans la mêlée pour servir d’appât, et les vaisseaux ennemis qui viennent les éperonner s’engluent en transformant le lieu en bataille terrestre, à l’avantage des pirates.
Légèreté et rapidité de l’esquif des pirates. Visage de la célérité de la part de leur reine.
Visage du καιρός – ΚΑΙΡΟΣ : s’emparer à tout prix de l’occasion favorable, surtout ne pas la laisser s’enfuir.
Visage du courage, pour affronter les deux armées consulaires que Rome met en marche en guise de mesure punitive. Le consul Fulvius accourt avec ses 200 navires. En même temps, le consul Postumius débarque avec une armée de terre, composée de 20 000 fantassins et 2 000 cavaliers. Jonction des deux armées pour contraindre la reine pirate à la reddition.
Le visage de la reine pirate excelle à déjouer les subterfuges de l’ennemi. Mais ce visage sait-il percer les machinations de son propre camp ?
Trahie par son propre général, qui est extrêmement opportuniste, la reine pirate cède à Rome tous les territoires, sauf un.
Savoir dire non à l’ennemi qui vient de l’extérieur : visage de l’efficacité. Ne pas pouvoir le faire quant à l’ennemi qui surgit de l’intérieur : visage de l’impuissance, tant pour la prévention que pour la répression !
Visage de la reddition, mais pas de l’abandon. Capitulation sur le plan militaire, mais pas de reniement de soi par rapport à l’être.
Visage de la transfiguration, qui voit dans la chute délibérée l’ultime issue, et qui fait du saut dans le précipice la préservation de la liberté inaliénable.
C’est ainsi que la plus ancienne femme pirate de la Méditerranée, qui était aussi une reine de l’Illyrie antique, s’est jetée du haut des murailles de Risan, dans la baie de Kotor.
L’Aventy vient d’envoyer au Zeph de magnifiques photos de ce cadre grandiose.
L’Histoire a fait de cet environnement majestueux la sépulture d’un visage royal qui a toujours dit non à l’oppression.
Et le site murmure que l’absence de tradition maritime, qui distingue Risan de tous les autres lieux du golfe, est liée au grand saut de la souveraine illyrienne.
L’histoire a imposé à la géographie le silence pour préserver la quiétude du visage de l’absolu.
Teuta était le nom de l’indomptable reine pirate. Jusqu’à l’ultime instant, elle a dit non à l’Imperium Romanum.
Le visage de Teuta a-t-il dit oui à l’amour ? A-t-il souvent été un visage aimant et aimé ?