Le visage de la liberté était ragusain avant d’être français.
Raguse, qui s’appelle Dubrovnik depuis 1918, et qui a servi de muse à l’Aventy pour le tout récent envoi de photos, a aboli l’esclavage sur son territoire 371 ans avant la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme.
Le 27 janvier 1416, le Grand Conseil de Raguse a voté l'abolition de l’esclavage avec une majorité de 75 voix sur 78. La décision était valide le lendemain.
Le territoire de la République de Raguse ne comportait pas que la portion de terre ferme qui était sous son contrôle, mais également toute extension qui relevait de son autorité. Ainsi, les navires ragusains devaient se plier à l’interdiction totale de transporter des esclaves d’Afrique vers les colonies.
Visage de la dignité pour tous.
La liberté pour soi-même, bien sûr. Mais la liberté aussi, et surtout, pour autrui.
À Raguse, le visage de la liberté n’est ni celui de la volonté sans contrainte, ni celui de l’action sans obstacle. C’est avant tout celui de l’altruisme et de la sollicitude.
À Raguse, dans le Palais du Recteur, sur le linteau de la salle du Grand Conseil, est sculptée l’exhortation suivante :
« Obliti privatorum publica curate »
Oublions les intérêts privés, pensons au bien public.
Exhortation adressée aux gouverneurs de Raguse, qui rappelle que le bien commun doit être privilégié par rapport aux questions privées.
À l'entrée de la forteresse Lovrijenac, juste à l'extérieur des remparts, on peut encore lire la devise de la République de Raguse :
« Non bene pro toto libertas venditur auro »
La liberté ne se vend pas, même pour tout l'or du monde.
Pourquoi ce visage de liberté a-t-il choisi d’éclore sur le rivage croate, sans l’impulsion d’aucune philosophie des lumières ?
Les initiatives et les innovations en matière d’équipements hospitaliers témoignent qu’à Raguse, le visage de la liberté n’est pas un visage auto-suffisant ou égocentrique, mais un visage bienveillant et secourable.
En effet, la plus ancienne pharmacie d’Europe, qui, de surcroît, fonctionne en continu, est la pharmacie franciscaine fondée à Raguse en 1317.
Un hospice pour personnes âgées a été créé en 1347.
Conscience sociale propice, maturité collective d’une nation.
La République de Raguse a été l'un des premiers pays étrangers à reconnaître l'indépendance des États-Unis. Dès 1776, elle a félicité la jeune nation américaine d’avoir arraché sa liberté à la Couronne britannique.
Raguse a confié à son drapeau la mission de proclamer à la face du monde son attachement à la liberté.
Cet engagement n’est nullement passé inaperçu pour l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert.
Écrit en lettres pourpres ou en lettres d’or, « libertas » triomphe comme des lettres de noblesse pour la condition humaine.
« Libertas » est l’hymne d’une cité-état qui était très en avance sur son temps. Chaque été qui revient sur le rivage croate donne encore plus d’élan aux accents de liberté qui résonnent dans la liesse.
Pourquoi ce visage de liberté a-t-il attendu plus de trois siècles pour refaire surface, un peu plus à l’Ouest, cette fois ?