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Tout a commencé avec le grand tapage médiatique à propos de la baie que les agences de tourisme à Rhodes nomment « Baie d'Anthony Quinn ».

Il ne s'agit pas du Crétois Αλέξης Ζορμπάς (en français : Alexis Zorba), mais du Colonel Αντρέας Σταύρου (en français : Andréa Stavros), qui appartenait à l'armée grecque vaincue, et qui intègre maintenant un commando chargé de détruire la puissance de tir nazie installée à Navarone.

L'histoire de la « Baie d'Anthony Quinn » était liée au tournage du film « Les Canons de Navarone ». Mais quelle a été la nature de ces liens ?

Passons d'abord en revue les paysages rhodiens qui ont servi de décor pour les scènes d'extérieur.

Le début du film montre le débarquement du commando sur un rivage, avec en arrière-plan, la muraille d'une immense forteresse.

Voici le cadre réel :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On y voit les fortifications de Rhodes et la mer qui s'étend devant.

Le panorama est du côté du levant.

La mise en scène a choisi l'une des portions de muraille les plus pittoresques pour introduire le commando qui défendait les intérêts des Alliés. Voici comment la muraille rhodienne est apparue dans la séquence du débarquement préparatoire :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

De gauche à droite, c'est-à-dire du Sud au Nord, il y avait la grande percée appelée Η Πύλη Αρνάλδου (en français : la porte d'Arnaldo), puis la porte nommée Η Πύλη Ταρσανά (en français : la porte de l'arsenal), et la jetée appelée H προβλήτα του Ναιγιάκ (en français : la jetée de Naillac), qui s'avançait vers la mer à partir d'une arche.

La première ouverture, qui était la porte d'Arnaldo, donnait sur les avant-postes de la Cité des Chevaliers. Voici la Place des Croisés, qui rayonnait de majesté, de l'autre côté de l'arche :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le bâtiment à gauche de la photo, qui fournissait gracieusement aux visiteurs renseignements et conseils, nous avait jadis proposé en souvenirs emportables, des effigies de la statuaire antique.

Plus à gauche encore, en sortant du champ de la photo, se trouvait la Rue des Chevaliers, très pittoresque avec ses arches empilées par la perspective.

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le chemin était en pente parce qu'il montait de la Place des Croisés au Palais du Grand Maître de l'Ordre de Saint-Jean.

La demeure de ce seigneur tout-puissant se trouvait juste après l'ogive du fond, sur la droite de la photo.

Revenons à présent à la pellicule du film « Les Canons de Navarone » et intéressons-nous à la porte suivante, qui était la Porte de l'Arsenal.

En venant de la mer et après avoir traversé les remparts, voici que l'on pouvait tout de suite voir à gauche :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C'était le temple d'Aphrodite, si ravissant et si sensuel.

Les conservateurs ont mis en valeur les vestiges du passé en créant un jardin très éloquent. L'abondante chevelure du palmier rappelait que la déesse était née des flots de l'Orient. Et le désir dont elle était le symbole se voyait dans le magnifique éclat du bougainvillier.

Si tourne le regard vers la direction opposée, c'est-à-dire vers la mer, voici ce qu'on pouvait sous la voûte en arc de cercle :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce jour-là, il nous a plu de faire la route des remparts avec nos destriers argentés.

Nous arrivons maintenant au dernier repère topographique utilisé par la pellicule des « Canons de Navarone » : la jetée de Naillac.

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Cette jetée, qui portait le nom du trente-quatrième Grand Maître, Philibert de Naillac, présentait son profil flanqué d'une grande arche et d'une tourelle cylindrique qui avait un toit conique.

Voici ce qu'il y avait de l'autre côté de la jetée :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À travers les meurtrières, on avait accès au port touristique, appelé Μανδράκι – ΜΑΝΔΡΑΚΙ (en français : Mandraki), que nous retrouverons à la fin du film.

Jusque là, c'est exagéré, pour ne pas dire « mensonger », de proclamer que le tournage mettait en valeur la richesse patrimoniale des lieux. L'extrême sobriété de l'évocation et la lumière voilée n'avantageaient pas le site réel. Ce n'était pas un film de contemplation, mais d'action.

Le deuxième site naturel qui était intervenu dans la mise en scène correspondait au chargement du bateau qui devait présenter les hommes du commando comme de véritables pêcheurs locaux.

Voici un plan de l'épisode du travestissement :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le bateau qui était en contact avec le Haut Commandement des Alliés se trouvait à gauche de la photo. Tout était luisant à bord.

L'autre bateau paraissait plus vieux, plus pauvre et mal entretenu. C'était le bateau de la dissimulation.

Au centre de la photo, deux hommes s'apprêtaient à passer du premier bateau au second.

L'homme qui portait une tenue gris beige, une casquette grise et une serviette noire était le major Roy Franklin, auteur du plan d'infiltration et chef en titre de l'expédition sur place. L'auteur Anthony Quayle lui prêtait ses traits.

Derrière la tête pensante de l'expédition, se tenait un homme qui portait un costume aux teintes claires et une cravate verdâtre. C'était le capitaine Keith Mallory, recruté pour ses performances d'alpiniste. Le rôle était joué par Gregory Peck.

Soixante-et-un ans plus tard, le Zeph a pris place dans le même site naturel, presque au même endroit que le bateau lustré :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le promontoire qui se trouvait derrière l'éolienne était celui le long duquel s'était adossé, dans la pellicule, le rafiot de la ruse en marche.

La baie dont on voyait accessoirement les eaux était située à une quinzaine de kilomètres au Sud-Est de la Cité du Palais Du Grand Maître.

Avant le tournage du film, la baie s'appelait Βάγιες – ΒΑΓΙΕΣ (en français : Vayiès).

La voici, avec son visage naturel :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On reconnaît aisément la configuration du goulet enserré entre deux promontoires, l'un au Nord et l'autre au Sud.

Sur la pellicule du film, à aucun moment la caméra du metteur en scène ne s'est élevée au-dessus du sommet du promontoire méridional, qui se trouvait à droite de la photo.

Affranchissons-nous de cette restriction et offrons-nous le panorama de la liberté. Voici ce panorama :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Quelqu'un a vu ce panorama avant nous et en est tombé raide amoureux. Cet être talentueux et chanceux, était Anthony Quinn. Il est tombé amoureux de ce que la pellicule du film n'a PAS montré, n'a PAS voulu montrer, ou n'a PAS su montrer.

Après avoir abordé Navarone non sans difficultés, le commando a poursuivi son infiltration en escaladant les falaises que dominaient les canons nazis.

Les scènes d'escalade ont été tournées à Λάρδος – ΛΑΡΔΟΣ (en français : Lardos).

Voici le Zeph sur le site de l'escalade :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Ce qui frappe sur la photo, c'est la couleur de la mer.

Le Capitaine dit que c'est une eau seychelloise. Et il a raison !

Seulement, la mise en scène n'avait pas à montrer l'attrait de cette lumière, car la narration, qui d'une part, décrivait une clandestinité et qui d'autre part, se focalisait sur la création du suspens, ne pouvait que privilégier la pénombre, l'ombre et même l'obscurité.

Nous étions tout à fait conscients des exigences du scénario, mais en toute honnêteté, nous ne pouvions pas dire que celui-ci a fait connaître la splendeur du lieu.

Chronologiquement, le quatrième décor naturel à intervenir était la citadelle de Λίνδος – ΛΙΝΔΟΣ (en français : Lindos).

La mise en scène a choisi ce lieu pour situer la jonction entre le commando envoyé par les Alliés et les forces de résistance locale.

Ce site de tournage était à une quarantaine de kilomètres du premier.

Voici le Zeph dans les eaux qui baignaient le rocher de Λίνδος – ΛΙΝΔΟΣ :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les colonnes du temple d'Athéna, qui ont servi de décor à la cachette des résistants grecs, se trouvaient, sur la photo, à gauche de la muraille crénelée.

Deux hommes du commando ont pu pénétrer dans la salle des canons : c'était le Capitaine Keith Mallory, joué par Gregory Peck, et le caporal John Anthony Miller, joué par David Niven.

Une fois les explosifs posés aux bons endroits, il leur fallait vite quitter les lieux avant la venue de l'impitoyable ennemi.

Une seule solution s'offrait à eux : le plongeon du haut de la falaise.

À ce moment-là, une embarcation est venue à leur rescousse. Elle était pilotée par Mαρία Παπαδήμου (en français : Maria Papadimos), une résistante grecque, jouée par Ειρήνη Παπά (en français : Irène Papas).

L'embarcation providentielle avait été obtenue par la ruse et par la force à Μανδράκι – ΜΑΝΔΡΑΚΙ, le port de plaisance dont nous avons parlé plus haut, et qui constituait à présent le dernier décor naturel du film.

La lutte pour neutraliser et éliminer le propriétaire du bateau convoité faisait défiler derrière les vitres les emblèmes de la jetée externe, qui était la plus à l'Est : les moulins, le phare, la colonne de la biche.

Soubresauts répétés, mouvement chaotique. Car le combat était rude, incertain.

Puis finalement, le sort a souri aux Alliés.

L'embarcation réquisitionnée quitte Μανδράκι – ΜΑΝΔΡΑΚΙ en passant devant le phare et la colonne de la biche.

Voici le visage naturel du lieu :

 

Le regard du cinéphile

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La pellicule du film l'a restitué, mais en ternissant les couleurs pour les adapter aux dernières minutes de suspens.

Le spectateur du film ne verra pas une seule parcelle de la splendeur de la réalité patrimoniale.

Dans le cas présent, la connaissance des lieux de tournage a-t-elle un impact sur l'appréciation du film ? Cet impact est comme négligeable. En effet, pour les besoins de l'intrigue, nombre de scènes se déroulent dans l'ombre, ce qui efface tout l'attrait donné au paysage par la lumière naturelle du soleil.

De plus, les particularités topographiques ou architecturales n'ont pas été hissées au statut de protagonistes à part entière par la mise en scène. Il en résulte que les spécificités de Λίνδος et de Ρόδος sont toujours demeurées à l'arrière-plan, dans tous les sens du terme. Le déroulement de l'action et le jeu des acteurs n'auraient pas changé sur une autre île de la Mer Égée.

Prenons maintenant le problème dans l'autre sens : quel(s) bénéfice(s) la Grèce du XXIè siècle peut-elle retirer du fait que « Les Canons de Navarone » ont utilisé le décor rhodien ?

L'Hellade peut être fière d'avoir contribué à la réalisation d'une œuvre du septième art.

Mais l'amoureux de la Grèce n'a pas besoin de la notoriété d'un film pour découvrir le pays d'Homère.

La splendeur de l'Hellade se suffit à elle-même.

L'amoureux de la Grèce sait capter la douceur égéenne à l'aube, l'éclat de l'Égée en plein soleil et le romantisme du crépuscule égéen sans avoir recours aux filtres utilisés par le directeur de la photographie dans l'équipe de tournage.

Anthony Quinn était cet amoureux de la Grèce.

C'était sa sensibilité d'esthète et non le tournage des « Canons de Navarone » qui l'a poussé à acheter un pied-à-terre dans la baie de Βάγιες – ΒΑΓΙΕΣ.

L'enchantement grec n'est pas une création de la modernité.

Il opère depuis des millénaires, avant même la naissance du septième art !

 

Tag(s) : #2022 CYCLADES & DODECANESE
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