Plantons d'abord le décor.
Nous avons rencontré l'ami sur une terrasse qui donnait sur le port de Eρμούπολη – EPMOYΠΟΛH (en français : Ermoupoli), qui appartenait à l'île appelée Σύρος – ΣΥΡΟΣ :
En bas, sur la gauche de la photo, se dressait la clôture qui était du côté de la mer. On voit sur le sol la projection de l'ombre, qui était minimale. Car c'était au moment où l'astre solaire était encore très haut perché.
Voici l'ami :
Il s'est réfugié dans le peu d'ombre que fournissaient les chaises empilées d'une taverne qui n'était pas encore prête pour la nouvelle saison.
Le regard était fixe, très attentif. Il scrutait nos mouvements et sondait peut-être nos cœurs.
C'était l'ami qui était venu nous rejoindre sur cette partie ombragée de la terrasse.
Nous nous sommes installés là pour la pause méridienne.
Dans notre besace, il y avait du pain, du fromage et de la retsina, que nous avons commencé à sortir parce que notre estomac s'impatientait.
Le regard de l'ami s'est rapproché :
Le zoom obtenu par l'allongement du cou a été déclenché par les narines, qui venaient de capter les effluves onctueux du fromage.
Le regard de la curiosité initiale a perdu sa neutralité et devenait le regard du désir.
L'ami était diplomate. Son regard était aussi celui de la patience.
Nous avons offert à l'ami quelque chose qui avait de la saveur et qui apportait aussi un aspect ludique pour les crocs que la nature lui avait fournis :
La croûte du fromage, de couleur orange, plaisait beaucoup à l'ami.
Après la dégustation, les gestes de bonne volonté abondaient.
Le regard de l'ami valsait, s'étourdissait, chavirait.
Regard de la confiance, de l'insouciance, de la légèreté, de part et d'autre.
Progressivement, la satiété envahissait l'organisme, y compris le regard, qui commençait à changer de direction et de centre d'intérêt.
Le toilettage, indispensable rituel, était réalisé avec des yeux mi-clos.
Le regard de l'ami devenait réflexif. Ce n'était plus autrui mais soi-même qui se trouvait au centre des préoccupations.
Avec élégance, l'ami tirait sa révérence.
Son regard devenait évanescent.
Le moment de la salutation était terminé.
L'ami a élu domicile à Eρμούπολη, qui signifie, littéralement, « ville de Hermès ».
Du messager des dieux, l'ami avait le sens du contact. Le regard portait le message du rapprochement.
Du protecteur des voyageurs, l'ami avait la présence rassurante. Le regard transmettait des intentions pacifiques.
Mais Hermès était aussi le patron des commerçants et des voleurs. Cette fonction avait-elle quelque incidence sur le regard de l'ami ?
L'exemple décrit ici montre que l'ami avait le sens des affaires. Il savait, avec son regard, comment les commencer, comment les mener et comment les clore.
Ce regard polysémique était-il le fruit de l'expérience ou était-il un instinct ?
Une autre rencontre fournit des éléments de réponse.
Mais tout d'abord, situons cette deuxième rencontre dans l'espace et dans le temps.
Elle avait lieu sur l'île appelée Ίος – ΙΟΣ (en français : Ios), dans le village perché qui dominait le port.
Sur la photo, un bateau cherchait à prendre place parmi ceux qui étaient déjà garés sur son flanc droit. Au milieu de ceux-ci, il y avait le Zeph.
La perspective plaçait dans le prolongement du quai d'amarrage une église qui regardait vers l'Ouest. L'ami nous guettait sous le mur méridional de cet édifice religieux.
Voici ce mur du Sud, tout resplendissant de blancheur :
La fin de l'après-midi approchait. Les ombres ont commencé à s'allonger. L'envie de goûter à l'air libre démangeait toutes les créatures terrées dans les cachettes qui avaient pour fonction de les protéger de l'ardeur du soleil.
C'est ainsi que le mousse, qui venait de dévaler l'escalier situé à gauche de la photo, s'est retrouvé nez à nez avec l'ami qui tentait une escapade, par soif de rencontre.
Voici cet ami, aussitôt adulé par le Capitaine :
Il avait un regard d'ébène, impressionnant de fraîcheur et de vivacité.
C'était un regard d'aventurier.
Deux autres regards nous observaient en retrait.
C'était un triplé qui s'est ému de notre visite impromptue.
Le regard le plus éclaboussé de blancheur était le plus contemplatif.
Regard de la mobilité minimale.
L'air contemplatif exprimait sans doute une certaine timidité. Mais le regard débordait de douceur et d'empathie envers les visiteurs.
Le troisième élément de la fratrie avait le regard gris bleuté :
Regard d'Indiana Jones, qui cherchait à percer tous les mystères.
Regard de cascadeur aussi, qui trouvait les points de chute et les configurations favorables pour se tirer d'affaire.
Le regard gris bleuté n'avait pas peur de tournoyer dans tous les sens au cours des culbutes qui ne cessaient de s'enchaîner, comme pour éprouver la souplesse du corps et du mental.
Avec la situation présente, dans chacun des trois cas, l'ami était jeune, très jeune. Son regard a gardé l'innocence des premiers instants de l'existence. L'ouverture au monde n'était entachée par aucune laideur.
Ce regard de l'ami était un très beau cadeau que nous offraient les divinités.
Car la salutation adressée par l'innocence émeut jusqu'aux entrailles.
Mais ne nous y trompons pas.
Tout a une fin.
Même le regard de l'innocence.
Le regard de la contrariété ou de l'hostilité devenait effrayant.
À Eρμούπολη comme à Ίος, l'amitié était sincère, mais fugitive.
En définitive, le regard de l'ami est un défi. Il nous pose la question : saurions-nous nous contenter de l'éphémère ? Saurions-nous l'accueillir avec tout notre cœur et l'honorer pleinement ?