Le jardin est la clé de l'univers du Capitaine du Zeph.
Clé comme clé de voûte, c'est-à-dire comme sceau ultime et couronnement. Mais aussi comme moyen d'accès.
Comme finalité et modalité.
Comme finalité, le rêve de jardin s’est épanoui et s’est accompli à l’occasion de la recherche du deuxième logement crétois, à Παλαιλώνι – ΠΑΛΑΙΛΩΝΙ (en français : Palélôni).
Lors de la visite préliminaire, voici le spectacle qui s’offrait à nous :
La photo a été prise depuis le balcon du premier étage. Le regard était tourné vers l’Ouest. La prospérité des espèces ornementales a tout de suite séduit le Capitaine.
Spontanément, mais intelligemment, une branche s’est hissée jusqu’à nos pieds pour nous caresser les chevilles, à la manière des chats crétois qui exprimaient ainsi leur affection toute nouvelle.
Le jardin a senti le coup de foudre du Capitaine. À l’éblouissement visuel de l’Homme, la Nature répondait en souhaitant de manière tactile la bienvenue. Le pari du jardin était engagé. Le pari de la découverte était gagné. Restait celui de la durabilité, qui attendait son dénouement.
Voici la chambre du Capitaine :
Derrière le rideau, il y avait la splendeur du jardin. C’était une façon très judicieuse de rappeler la disponibilité de celui-ci à tout moment, aux premières heures du matin comme au clair de lune.
La broderie exhibait des fleurs et des fruits. Vision de la fécondité et de la prospérité, grâce au talent de la dentellière. Pas seulement. Car il y avait aussi le savoir-faire de la Nature, qui encourageait le flirt entre la zoologie et la botanique. L’insecte volage menait la danse.
La fleur toujours consentante ouvrait grand son réceptacle.
L’art de butiner battait son plein aux premières heures du matin, quand l’astre solaire avait encore les yeux mi-clos.
Le miel de Παλαιλώνι est l’un des meilleurs miels crétois. Et les miels crétois sont les plus prisés en Grèce.
Les roses faisaient la fierté du jardin. Elles étaient fort gracieuses, étonnamment prolifiques et extrêmement odorantes.
Le langage olfactif était aussi important que le langage visuel, sinon plus. On pouvait humer le parfum capiteux, même en fermant les yeux et sans s’approcher de la fleur.
À la tombée de la nuit, quand les contours s’estompaient, l’attrait olfactif demeurait, et se renforçait même.
L’allée parfumée devenait alors une montée au ciel, exquise, envoûtante, divinement régénératrice.
Le jardin jouait délicieusement avec le contraste.
Contraste de couleurs, entre deux teintes qui disent toutes les deux le pouvoir : le pourpre comme couleur de la suprématie dans le monde des humains, et l’or, comme couleur de la victoire sur le temps.
Il arrivait que le jardin réunissait les deux teintes sur le même corps, en confiant à l'une le soin de mettre en valeur l'autre. C'était le cas avec la robe de l'iris tigré :
La diversité ne créait pas une discordance, mais une complémentarité.
Contraste aussi des formes, entre deux profils qui expriment tous les deux le désir : la forme hérissée pour évoquer l’impulsion, joyeuse et multidirectionnelle, et la forme arrondie pour signifier la douceur, la tendresse, l’affection.
Le jardin avait beaucoup de savoir-vivre. Pour nous dire au revoir quand nous partions en randonnée, il agitait son bras fleuri. Et pour que nous continuions à voir son geste, même de loin, il se penchait par-dessus le portail.
C’est notre carrosse que l’on voit sur la photo.
Le jardin restait aux aguets jusqu’à notre retour. La joie des retrouvailles était intense à chaque fois.
Vers la fin du séjour à Παλαιλώνι, la générosité crétoise nous a offert une double extension du jardin.
La première extension nous a menés vers les produits de la terre, que nous pouvions récolter en toute confiance et en toute tranquillité. Car ils étaient exempts de tout traitement chimique.
Nous avons jeté notre dévolu sur les aubergines blanches :
Quel plaisir de les cueillir directement, sur la branche nourricière !
Quel plaisir de les cuisiner, en respectant leur texture et en contemplant leur chair nacrée !
Le délice gustatif montait de l'assiette pendant que le délice visuel se répandait à travers les rideaux brodés du nouvel espace cuisine.
De notre position, c'était une évasion vers le jardin de la bienveillance.
En inversant la perspective, c'était le jardin qui était aux avant-postes pour contempler notre plaisir de gourmet et notre appétit de vivre. Regard d'ami, fier et heureux.
La deuxième extension du jardin agrandissait notre domaine olfactif et redoublait notre jouissance.
Devant le nouvel espace cuisine, se dressait un très beau basilic, qui était fort impatient de parfumer nos préparations culinaires. L'occasion s'est présentée avec des spaghettis, toujours al dente, qui accompagnaient des poivrons rissolés.
Pour garder la plénitude de la saveur originelle, le basilic du jardin était servi cru, bien craquant.
Le plaisir de la vue et celui des papilles participent du même hédonisme.
Le jardin existe pour le plaisir visuel, mais aussi pour le ravissement du goût, de l’odorat, du toucher et de l’ouïe.
L'arôme donnait l'envol au jardin, au sens figuré comme au sens propre. C'est ainsi que le jasmin grimpait sur toute la hauteur du mur septentrional, du sol jusqu'à la toiture.
C'était là où nous faisions sécher notre linge, pour que la bonne odeur du jardin embaume tout notre épiderme.
D’où vient le fait que le jardin apaise, réjouit et vivifie ?
Le jardin répond à une aspiration millénaire chez l'être humain.
Le pari du jardin a été gagné de manière somptueuse.
Parier sur le jardin, c'était parier sur la générosité des divinités. C'était un pari sensé. Mais il était loin d'être gagné à l'avance. Nous avons gagné le pari parce que nous avons cultivé, comme les Anciens, la piété.