Le compte-rendu en images de l’Aventy commence cette semaine par des vues ensoleillées de Pula, un site croate lié au souvenir de deux amants en fuite.
Des amants en fuite, mais pas l’amour en fuite. Car il vit ses plus beaux instants, s’exhibe même avec la magnifique Toison d’or dérobée au père de la fugitive.
Il faut du soleil pour faire luire les reflets d’or de la laine et miroiter l’accès à la royauté et à l’immortalité.
Il s’agit de l’histoire d’un coup de foudre entre un marin explorateur et une princesse de la Mer Noire.
C’était la princesse qui avait le coup de foudre pour le marin. Et pour conquérir le cœur et le corps du marin, elle était prête à tout, même à spolier son propre père. Elle a ainsi aidé l’étranger à dérober le trésor royal, qui était la fameuse Toison d’or !
Jason était le nom du marin, Médée était celui de la princesse qui était éperdument amoureuse.
À quel moment de l’année les fugitifs, qui étaient partis de la Mer Noire, sont-ils arrivés dans l’Adriatique ? Est-ce en automne, comme pour l’Aventy ? Peu importe la saison, qu’elle soit sujette au mauvais temps ou pas. Avec les vociférations de la horde des poursuivants et le fracas de leurs armes menaçantes, la terre ne pouvait que trembler, l’air ne pouvait que se remplir d’orage et la mer ne pouvait que se lever en tempête !
Le temps exécrable qui revient à la charge et qui désespère l’Aventy est le décor de scène de la traque des fugitifs.
Pour ralentir la progression des poursuivants, Médée tue son frère cadet Absyrtos, le dépèce, en sème les morceaux derrière elle. Pour offrir à l’héritier du trône une sépulture digne, les poursuivants se voient dans l’obligation de s’arrêter à chaque fois pour récupérer les morceaux trouvés.
Sous quels cieux s’est fait le découpage du corps du prince Absyrtos ?
Sous quels cieux s’est fait le ramassage des morceaux du corps du défunt ?
Même si l’air était pur, et le soleil radieux, les poursuivants ne pouvaient éviter l’impression que tout autour d’eux, le cosmos s’assombrissait et s’ébranlait.
Il a été donné à l’Aventy de connaître le mur de scène d’une tragédie antique sur l’amour absolu, celui que Médée avait porté à Jason.
Par la même occasion, il a été donné à l’Aventy de traverser le miroir de Médée pour ressentir, non sans violence, le lien indissoluble entre l’Amour et la Mort, entre Éros et Thanatos.
« Aimer à perdre la raison... », fredonnait un chantre de l’Ardèche. Plusieurs millénaires auparavant, une princesse de la Mer Noire avait mis en acte cette mélodie, qui n’est en rien inoffensive.
Dans son compte-rendu hebdomadaire, l’Aventy déplore l’extrême « instabilité » des conditions météo puis dresse une liste impressionnante des revirements provoqués par des jugements instables. Point besoin de transition entre les deux paragraphes. La similitude suffit pour faire le lien. Une fois de plus, ce qui advient en navigation est une illustration de ce qui se produit avec la nature humaine.
Cette instabilité si affligeante concerne-t-elle aussi le couple Médée-Jason ?
Indubitablement !
C’est Jason qui fait prospérer le germe de l’instabilité. Médée réplique en brisant ce qu’elle a construit jusque là avec Jason.
Quels cieux ne s’effondrent pas quand une mère tue ses propres enfants ? Quel océan ne se soulève pas d’horreur quand une femme immole le fruit de ses entrailles ?
Thanatos est là quand Éros n’est plus. Plus exactement, Éros appelle Thanatos à son secours.
Le 5 avril dernier, la chronique du Zeph s’est faite l’écho de l’interrogation du Crétois Λουδοβίκος των Ανωγείων :
Ποιο το χρώμα της αγάπης
« De quelle couleur est l'amour ? »
Médée lui répond : « L’amour a la couleur du feu, des flammes, des braises, des cendres ».
Jusqu’au bout, le miroir de Médée est le miroir de l’absolu, du tout ou rien.