Dans l’aire culturelle qui nous intéresse, le lion était synonyme de terreur, de férocité et de mort. Le face à face avec le félin était toujours un rapport de forces, où s’affrontaient des puissances musculaires et des armes acérées.
Le lion mobilisait sa terrifiante musculature et ses crocs impitoyables.
L’adversaire du fauve répondait à la charge de celui-ci par un geste ferme et précis : la lance devait s’enfoncer dans la gueule de l’animal rugissant avant que les griffes écartées ne lacèrent la monture.
La similitude des positions anatomiques n’indiquait pas un rapprochement pacifique, loin de là. Elle montrait plutôt que les mêmes stratégies étaient adoptées de part et d’autre pour acquérir la suprématie.
Les pattes antérieures du cheval épousaient la courbure du ventre du lion. De chaque côté, les pattes de derrière se dressaient vigoureusement pour soutenir un arc instable donc la clé de voûte était l’encolure du cheval. L’axe de la lance se confondait avec celui de la colonne vertébrale du fauve.
Malgré ce climat terrifiant qui était inéluctable chaque fois qu’un lion surgissait, une voix a déclaré :
וְעֵגֶל וּכְפִיר וּמְרִיא יַחְדָּו
יְשַׁעְיָהוּ יא : ו
Littéralement :
le veau, le lionceau, le buffle, ensemble,
un petit adolescent les conduira.
Isaïe. Chapitre 11. Verset 6
La parole était osée. Car elle décrivait une cohabitation pacifique. Sans méfiance, sans heurt et sans carnage, la famille des animaux domestiques, représentée par le veau et le buffle, côtoie celle des bêtes sauvages, incarnée par le lionceau.
L’énumération montre que le lionceau est précédé par le buffle et suivi par le veau. Le caractère sauvage est encadré par le statut de la domestication.
Le leadership de ce troupeau de la paix est confié à un humain. L’instinct se laisse conduire par la conscience.
L’homme qui parlait ainsi du futur s’appelait יְשַׁעְיָהוּ . Dans la langue maternelle, ce nom signifiait « Jéhovah sauve ». La transcription en français est : « Isaïe ».
L’Israélite s’exprimait au sujet de l’avenir : il prophétisait.
Isaïe avait vingt-sept ans quand il a commencé son œuvre de prophète.
Le peintre italien Michel-Ange a réalisé un portrait du prophète Isaïe. Voici ce portrait :
Cette fresque appartient au programme iconographique de la Chapelle Sixtine, au Vatican.
La vision d’Isaïe a inspiré un monument des temps modernes.
Pour célébrer l’indépendance qu’elle venait de conquérir, une nation du Nouveau Monde a fait ériger la sculpture suivante :
Un petit garçon conduit fièrement un lion doté d’une puissante musculature. La main gauche se lève pour indiquer la route. Quant à l’autre main, elle tient une grosse guirlande de laurier, qui s’enroule autour du fauve en passant sous le ventre puis sur la croupe.
À l’arrière-plan, apparaît l’inscription :
LA NACIÓN
Á LOS HÉROES
DE LA INDEPENDENCIA
En français :
LA NATION
AUX HÉROS
DE L’INDÉPENDANCE
Par ces mots, la nation mexicaine honore la mémoire de ceux qui sont tombés pour briser le joug espagnol. Voici une vue de l’ensemble du monument, appelé Monumento a la Independencia de México :
Au sommet, un ange déploie ses ailes :
C’est la silhouette de Νίκη – ΝΙΚΗ (en français : la Victoire personnifiée).
En effet, La Victoire ailée tient dans sa main droite une couronne de laurier, symbole du triomphe. Et qu’y a-t-il dans l’autre main ?
Une chaîne brisée, qui proclame la fin de la domination par l’Espagne de Carlos III.
Et au pied de la colonne commémorative, le lion de la prophétie d’Isaïe est conduit par un petit garçon.
Le fauve inoffensif et son jeune guide apparaissent entre deux statues. Celle de derrière brandit dans sa main droite un rameau fleuri :
C’est Εἰρήνη – ΕΙΡΗΝΗ, la déesse de la Paix.
À l’avant, la statue dresse sur son genou gauche un recueil de lois.
C’est Εὐνομία – ΕΥΝΟΜΙΑ, la divinité de la Loi.
Étymologiquement, le préfixe Εὐ – ΕΥ met l’accent sur le bien qu’apporte la loi. Il s’agit donc d’une législation qui procure les bienfaits d’une harmonie.
Le sculpteur montre que le lion de la prophétie va de la statue de la Paix à la statue de la Loi. Ce sens du déplacement signifie que la paix est antérieure à la loi. Il faut au préalable installer des conditions de paix pour produire un code législatif de qualité.
La Paix regarde le Sud-Est. La Loi veille sur le Nord-Est.
Pour des raisons de symétrie, les deux autres sommets du carré de la base sont confiés à deux autres divinités. Voici celle qui contrôle le Sud-Ouest :
La main droite tient une longue épée et la cuirasse arbore le tête de la Gorgone.
La déesse est Ἀθηνᾶ – ἈΘΗΝΑ (en français : Athéna), redoutable par son art militaire.
Pour finir, l’angle Nord-Ouest est sous la responsabilité d’une divinité qui a dans la main droite un glaive court et dans l’autre main un blason avec ce texte en latin :
JVS
SVVM
CVIQVE
TRIBV
ERE
Horizontalement, on obtient:
JVS SVVM CVIQVE TRIBVERE
En français :
LA LOI ATTRIBUE À CHACUN SON DÛ.
C’est le principe de la justice distributive, où chaque être est responsable de lui-même, responsable seulement de lui-même et entièrement responsable de lui-même.
Le nom de la déesse qui monte la garde à l’angle Nord-Est est Nέμεσις – ΝΕΜΕΣΙΣ (en français : la Justice distributive personnifiée).
Vingt-six siècles avant que la nation mexicaine ne proclame son ardent désir de voir la justice distributive à l’œuvre, la prophétie qui décrit le lion de la paix dit déjà ceci :
וּבָנוּ בָתִּים וְיָשָׁבוּ וְנָטְעוּ כְרָמִים וְאָכְלוּ פִּרְיָֽם׃
לֹא יִבְנוּ וְאַחֵר יֵשֵׁב לֹא יִטְּעוּ וְאַחֵר יֹאכֵל כִּֽי־כִימֵי הָעֵץ יְמֵי עַמִּי וּמַעֲשֵׂה יְדֵיהֶם יְבַלּוּ בְחִירָֽי׃
יְשַׁעְיָהוּ סה : כא כב
Ils bâtiront des maisons et seront sûrs d'y habiter ; ils planteront des vignes et seront sûrs d'en profiter.
Ils ne bâtiront plus pour qu'un autre en jouisse, ils ne planteront plus pour qu'un autre en profite. Dans mon peuple on vivra aussi vieux que les arbres, et mes bien-aimés jouiront du travail qu'ils auront fait.
Isaïe. Chapitre 65. Versets 21, 22
Ce que la nation mexicaine recherche pour son avenir, le texte hébreu le propose à l’humanité entière. Ce que le Mexique des temps modernes attend du futur malgré l’absence de la garantie de la durabilité, la prophétie qui promeut le Lion de la Paix l’accomplira, parce qu’il s’agit d’un serment sacré.
Plus personne ne souffrira de la domination, de l’abus, de l’exploitation, de la corruption. La douceur de vivre sera garantie par l’équité.
Nous sommes impatients de goûter cette douceur de vivre qui caractérise le Monde Nouveau. Dans l’attente d’y être, nous savourons l’instant présent.
L’ornement qui nous ravit est emprunté à l’aire culturelle qui a produit les bas-reliefs évoqués au début de l’article.
Mais cette fois-ci, il n’y a pas de chasse au fauve.
Ni de chasse à l’homme.
Le vol gracieux du papillon mène vers le Monde Nouveau, où un petit garçon conduit ensemble le veau, le lionceau et le buffle.