Il était une fois un territoire gravement menacé par un fléau que le savoir des humains ne parvenait pas à endiguer. Comme aucun secours ne pouvait être espéré du côté des mortels, ceux qui s’étaient vus confier la charge d’administrateurs de la ville se sont tournés vers le registre supérieur afin d’implorer la miséricorde pour le sort de la population locale.
Voici la délégation conduite par le plus haut personnage public :
Le notable est assisté de quatre adjoints.
Tous les cinq sont à genoux, dans la position de suppliants.
À la périphérie, c’est-à-dire dans l’angle inférieur qui se trouve à gauche sur la photo, un malade, soutenu par un soignant qui possède des ailes, guette l’heure de la rémission.
Au pied de l’autorité implorée, prend place un lion qui regarde en direction de l’ambassade. Regard d’empathie et de compassion, certainement.
Le félin se sent concerné par la réponse miséricordieuse attendue par la délégation, parce qu’il évoque la ville de Lyon, qui se trouve cernée par la peste en 1642.
Les cinq dignitaires agenouillés représentent l’équipe administrative de la Capitale des Gaules.
Le lieu de la supplique se trouve sur une hauteur qui domine le Val de Saône, là où jadis un forum a été édifié en l’honneur de l’empereur Trajan. Le nom, en latin, de ce site antique est « Forum Vetus », qui s’est mué en « Fourvière ».
Le bas-relief qui décrit la supplication appartient donc au discours iconographique de la Basilique de Fourvière. La scène occupe la partie septentrionale du fronton qui regarde le soleil couchant.
Le chef de la municipalité, qui conduit le cortège des suppliants, a la charge de « prévôt des marchands ». Les quatre adjoints, qui le secondent, sont appelés « échevins ».
C’est pourquoi la scène de la supplication est appelée « le vœu des échevins ».
L’équipe municipale fait le vœu de monter chaque année, à la date anniversaire, sur la colline de Fourvière, pour offrir à l’archevêque sept livres de cire en cierges et flambeaux, et un écu d’or si leur souhait est exaucé.
Et leur souhait a été exaucé : Lyon a échappé à la peste de 1642.
Par la suite, l’élan de gratitude a même fait surgir de terre une magnifique basilique, dont l’entrée est gardée par le Roi des animaux, qui a pris le parti de s’exhiber avec le charme de l’Orient.
Le félin possède des ailes qui rappellent, par leur élégance, celles de la déesse égyptienne Isis.
La crinière est stylisée pour prendre l’apparence de la coiffe des souverains qui régnaient sur la Vallée du Nil.
Sous les oreilles, sont évoquées les rayures alternativement bleu et or du némès des pharaons.
Pourquoi le lion posté à l’entrée de l’édifice qui célèbre la protection contre la peste affiche t-il sa grande affinité avec l’Orient ?
La représentation choisie par le sculpteur suggère-t-elle que le principe de la guérison viendrait de l’Est ?
La décoration à l’extérieur fournit des indices.
Voici une sculpture sur la porte de bronze qui se trouve derrière le lion égyptien :
La tête du lion surgit au milieu d’un octogone étoilé, obtenu par la rotation d’un carré.
Il est difficile de ne pas faire le lien avec l’étoile de David, obtenue par la rotation d’un triangle équilatéral.
La parenté est manifeste. Le clin d’œil, astucieux.
Un autre indice est donné par la façade occidentale, devant laquelle se tient le lion égyptien. Celui-ci monte la garde entre deux tours, symétriques l’une de l’autre. La tour située au Sud-Ouest est consacrée à la Justice. La tour qui se trouve au Nord-Ouest est dédiée à la Force.
La Justice et la Force font partie des quatre vertus cardinales. Les deux autres vertus cardinales, que sont la Prudence et la Tempérance, sont illustrées par les deux tours qui s’élèvent du côté du chevet, face au soleil levant.
Mais revenons vers le portail qui regarde le soleil couchant, et examinons la tour qui fait l’éloge de la Force. La force qui y est exposée est celle de Samson terrassant le lion :
Voici le texte qui a inspiré cette sculpture :
וַיֵּרֶד שִׁמְשׁוֹן וְאָבִיו וְאִמּוֹ תִּמְנָתָה וַיָּבֹאוּ עַד־כַּרְמֵי תִמְנָתָה וְהִנֵּה כְּפִיר אֲרָיוֹת שֹׁאֵג לִקְרָאתֽוֹ׃
וַתִּצְלַח עָלָיו רוּחַ יְהוָה וַֽיְשַׁסְּעֵהוּ כְּשַׁסַּע הַגְּדִי וּמְאוּמָה אֵין בְּיָדוֹ
שׁוֹפְטִים יד : ה - ו
Samson descendit donc vers Timnah avec son père et sa mère. Lorsqu’il arriva jusqu’aux vignes de Timnah, eh bien, voici, un jeune lion à crinière qui rugit en le rencontrant.
Alors l’esprit de Jéhovah commença à agir sur lui, si bien qu’il le déchira en deux comme on déchire en deux un chevreau, et il n’y avait absolument rien dans sa main.
Juges. Chapitre 14. Versets 5, 6.
L’exploit musculaire de Samson est célébré par une splendide fontaine du palais de Peterhof, que le tsar Pierre le Grand a fait construire avec l’intention de dépasser le château de Versailles.
Voici comment l’artiste de la Mer Baltique voit Samson écarter les mâchoires du lion :
Le jet d’eau qui sort de la gueule du fauve atteint une hauteur de vingt mètres !
Est-ce l’énergie vitale du lion qui s’échappe avec tant de violence ?
Pendant que la puissance du jet d’eau fait allusion à l’issue spectaculaire, les deux silhouettes engagées dans le combat donneraient l’impression d’exécuter un pas de deux :
Rien de tel avec l’artiste du Val de Saône. Pas de ballet avec des repères verticaux. Mais un corps-à-corps, autour d’un axe horizontal. L’Israélite plonge en direction du fauve. Le corps humain se vrille à cause de la torsion créée par l’étreinte.
La sculpture à Fourvière va jusqu’à montrer que l’homme est sur le point de basculer par-dessus la bête.
Certes, cette victoire acquise à mains nues est impressionnante. Mais c’est dans la suite que se trouve la partie la plus édifiante de l’histoire.
En effet, voici comment le texte hébreu relate ce que Samson a découvert quand il est repassé par cet endroit quelque temps plus tard :
וְהִנֵּה עֲדַת דְּבוֹרִים בִּגְוִיַּת הָאַרְיֵה וּדְבָֽשׁ
שׁוֹפְטִים יד : ח
Et voici qu’il y avait dans le corps du lion un essaim d’abeilles et du miel.
Juges. Chapitre 14. Verset 8.
Le miel est connu pour ses propriétés thérapeutiques.
Avec la transformation, le corps du lion abrite désormais des principes actifs qui favorisent la guérison.
Dans les entrailles de Rome, une fresque montre le changement d’état, qui amène un changement de fonction :
C’est le même lion qui est représenté. D’abord quand il bondit sur sa proie, puis quand il sert d’abri à des abeilles.
La fresque se trouve dans la catacomba di Aproniano, près de la Via Latina.
Le texte hébreu prend la peine de préciser que le miel qui se développe dans la carcasse du lion est fabriqué par des abeilles.
Le terme hébreu pour « abeille » est דְּבוֹרָה .
Ce terme vient de la racine trilitère דָּבַר , qui désigne la parole.
Le miel, quant à lui, est toujours apprécié pour sa douceur.
Par conséquent, l’abeille qui produit le miel, c’est la parole qui apporte la douceur d’une guérison. Cette douceur qui guérit a un nom : elle s’appelle miséricorde.
Le lion est intimement lié à cette manifestation inattendue de la douceur.
Ainsi, la tour située à l’angle Nord-Ouest glorifie la force de la douceur, c’est-à-dire la puissance de la miséricorde.
La décoration de l’intérieur de la Basilique contient d’autres indices concernant le lien privilégié avec l’Orient.
Effectivement, de l’autre côté du portail de bronze, tout de suite à droite, une superbe mosaïque relate l’arrivée de Pothin à Lyon.
Voici l’homme, qui se présente à bord d’un bateau :
Devant la voile, un membre de l’équipage brandit un rameau d’olivier, reconnaissable à son reflet argenté. C’est le rameau qui accompagne la parole de paix enseignée jadis sur la terre de Judée, par le Nazaréen.
Pothin débarque à Lyon pour faire connaître cette parole.
Sur la rive gauche de la Saône, un groupe de personnes vient à la rencontre de la nef :
Le personnage qui s’incline le plus sur la terre ferme est celui qui est le plus proche du bateau. Le message de la délivrance a une résonance toute particulière auprès des êtres de condition humble.
Effectivement, l’homme qui se prosterne porte sur son avant-bras gauche la marque de sa condition sociale : l’anneau d’esclavage, assombri par la sueur, la poussière, l’oxydation et des lendemains sans issue.
Au premier rang aussi, se tiennent des enfants, qui sont accompagnés par une silhouette féminine. Leur candeur embellit leur curiosité et leur empressement.
Un autre homme s’incline aussi en direction du bateau, en raison du grand âge qui rend son dos voûté. Il arrive après les autres, à cause de la faiblesse de ses forces. Mais il accourt, muni de son bâton de vieillesse. Car il s’intéresse au message apporté par le lion de la guérison.
Au ciel, les anges agitent des palmes pour souhaiter le succès au débarquement.
Parmi les mains célestes qui ne brandissent pas le feuillage du palmier, nombreuses sont celles qui montrent les chaînes brisées, qui n’effraient plus personne, et les fers désœuvrés, qui n’emprisonnent plus aucune chair.
L’attitude des anges annonce la mission du bateau qui s’apprête à accoster.
Il s’agit d’aider l’humanité à se libérer du joug de la maladie et de la mort.
La Bonne Nouvelle dit :
καὶ γνώσεσθε τὴν ἀλήθειαν καὶ ἡ ἀλήθεια ἐλευθερώσει ὑμᾶς
ΤΟ ΚΑΤΑ ΙΩΑΝΝΗΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. η’. Στίχος λβ’
Et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous libérera.
Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 8. Verset 32
La nef proclame que la guérison s’offre à tous.
Le lion de la guérison orne la proue qui exhibe un rostre formé par trois épées parallèles.
Le chiffre 3 correspond aux trois principes qui œuvrent ensemble à la libération de l’humanité : le Très-Haut, sa Force agissante et le Messager qu’il a envoyé sur la Terre.
Le Roi des animaux incarne aussi la justice. Son effigie en tant que figure de proue de la nef de la Bonne Nouvelle a une valeur prophétique : viendra un règne de justice, qui guérira le genre humain de tous les maux.