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Le lion regarde la mer.

 

Le lion de la filiation

 

Il observe la baie, qui a accueilli des marins en provenance du Sud.

 

Le lion de la filiation

 

Ceux-ci ont remarqué un promontoire qui s’avançait vers le large en formant un coude avec le rivage. Sans hésiter, ils ont élu domicile dans le port naturel qu’ils venaient de découvrir.

Ils étaient originaires de Συράκουσαι – ΣΥΡΑΚΟΥΣΑΙ (en français : Syracuse). Ils fuyaient la mère-patrie à cause du despotisme de celui qui la gouvernait.

Dans leur langue, « coude » se disait Ἀγκών – ἈΓΚΩΝ. Plus tard, ce nom donnera naissance à l’appellation Ancona (en français : Ancône).

Ancona, sur l’Adriatique, est donc fondée par des colons grecs de Syracuse.

Dès les premières heures, Ancona a bénéficié du savoir grec. En effet, les migrants ont fait du sommet rocheux qui dominait le port naturel une Acropole. Et sur cette nouvelle Acropole, ils ont érigé un temple dédié à Aφροδίτη – ΑΦΡΟΔΙΤΗ (en français : Aphrodite).

 

Le lion de la filiation

 

L’édifice était de style dorique. Six colonnes décoraient la façade avec leur pureté. Sur chaque flanc, dix autres colonnes assuraient la continuité de cette élégance.

Le lion qui regarde la mer est posté sur le site du temple d’Aphrodite.

De nos jours, les colonnes doriques du péristyle ont disparu. Mais l’empreinte grecque a survécu, à travers le plan du nouveau sanctuaire, consacré au monothéisme venu de la Judée.

En effet, le nouvel espace sacré est organisé d’après le schéma d’une croix grecque, qui se compose de deux branches d’égale longueur, contrairement à la croix latine.

Voici la configuration de la croix grecque, qui couronne actuellement l’Acopole d’Ancona :

 

Le lion de la filiation

 

Le dôme au premier plan marque la croisée du transept. La nef transversale est visible presque entièrement. Quant à la nef longitudinale, elle dirige sa base vers le port. L’extrémité de la nef longitudinale est marquée par un fronton triangulaire, au-dessous duquel est posté le lion de la filiation.

Voici le fronton triangulaire, vu à partir du port cette fois-ci :

 

Le lion de la filiation

 

Le lion de la filiation a un compagnon, qui monte la garde avec lui.

Le sanctuaire qui se dresse sur les fondations du temple d’Aphrodite est le Duomo di San Ciriaco (en français : la cathédrale de Saint Cyriaque).

L’architecture n’est pas le seul domaine qui honore la filiation entre Syracuse et Ancona.

L’héritage grec est aussi sanctifié par l’usage administratif du XXIè siècle, comme le montre le blason officiel :

 

Le lion de la filiation

 

L’écu, qui contient un cavalier en pleine course, est bordé par deux brindilles. L’une vient de l’olivier. L’autre, du chêne. Au-dessus du croisement des deux branches, se déroule un ruban qui porte l’inscription latine : ANCON DORICA CIVITAS FIDEI.

Littéralement : ANCÔNE LA DORIQUE CITÉ DE LA FOI

La cité portuaire est très fière de l’adjectif DORICA (en français : DORIQUE) qui accompagne son nom.

La fierté de jouir d’un héritage grec est affichée à chaque opportunité. Voici comment le Règlement municipal commence la description de la bannière des festivités :

È di rosso alla croce scorciata (ovvero greca) d'oro, con soprastante scritta “COMUNE DI ANCONA”

Littéralement : Est rouge, à la croix d’or raccourcie (c'est-à-dire grecque), avec l'inscription “COMMUNE D’ANCÔNE” au-dessus.

En accolant les deux adjectifs “scorciata” (en français : raccourcie) et “greca” (en français : grecque), le texte officiel s’empresse de préciser que l’égalisation délibérée des deux branches correspond à la volonté d’honorer l’héritage grec.

Unité de langage, unité de pensée, unité de représentation.

Les textes officiels et l’architecture au sommet de l’Acropole convergent pour proclamer que la cité portuaire chérit sa filiation avec le cosmos grec.

La première occasion pour exhiber cette filiation était le culte d’Aphrodite.

Il existe un autre culte qui nourrit la mémoire de cette filiation : c’est le culte voué à Διομήδης – ΔΙΟΜΗΔΗΣ (en français : Diomède), l’un des Grecs qui avait participé à la Guerre de Troie, aux côtés d’Ulysse.

Diomède était dans le ventre du cheval de bois.

Le matin de notre embarquement sur le ferry qui devait nous mener jusqu’à la rive orientale de l’Adriatique, nous avons découvert une silhouette qui nous a rappelé le récit homérique. La voici :

 

Le lion de la filiation

 

Derrière la muraille pentagonale du Lazzaretto, se dressait un énorme cheval rouge.

L’impulsion artistique venait du sculpteur italien Domenico Paladino.

Mais le clin d’œil au poète grec était indéniable.

L’évocation de la figure héroïque de Diomède est encore plus manifeste à la lumière du texte suivant qui décrit la route du retour, après la chute de Troie :

τέτρατον ἦμαρ ἔην, ὅτ᾽ ἐν Ἄργεϊ νῆας ἐίσας

Τυδεΐδεω ἕταροι Διομήδεος ἱπποδάμοιο

ἵστασαν : αὐτάρ ἐγώ γε Πύλονδ᾽ ἔχον, οὐδέ ποτ᾽ ἔσβη

οὖρος, ἐπεὶ δὴ πρῶτα θεὸς προέηκεν ἀῆναι.

ὣς ἦλθον, φίλε τέκνον, ἀπευθής, οὐδέ τι οἶδα

κείνων, οἵ τ᾽ ἐσάωθεν Ἀχαιῶν οἵ τ᾽ ἀπόλοντο.

Ὁμήρου Ὀδύσσεια. Ραψωδία γ’. Στίχοι ρπ’ – ρπε’

 

C’était le quatrième jour quand, dans Argos, les nefs égales

et les compagnons de Diomède, fils de Tydée et dompteur de chevaux,

s’arrêtèrent. Mais je continuai ma route vers Pylos,

et le vent ne cessa pas depuis qu'un Dieu lui avait permis de souffler.

C'est ainsi que je suis arrivé, cher fils, ne sachant point

quels sont ceux d'entre les Achéens qui se sont sauvés ou qui ont péri.

Odyssée d’Homère. Chant III. Vers 180-185

 

Ces mots étaient prononcés par Nestor, roi de Pylos, en réponse à Télémaque qui lui demandait des nouvelles d’Ulysse.

En disant que Diomède était bien arrivé à Argos, sa ville natale, le récit n’omet pas de préciser que le héros grec était un ἱππόδαμος – ἹΠΠΟΔΑΜΟΣ (en français : dompteur de chevaux).

Ainsi les activités de Diomède étaient souvent en lien avec le cheval, et pas seulement au moment du célèbre stratagème mis en place par Ulysse.

Ancona a aussi pensé à la permanence du lien entre Diomède et le cheval. Un monument montre que le souvenir de Diomède, le « dompteur de chevaux », est à l’honneur dans la cité portuaire : c’est la Fontana dei Cavalli (en français : la Fontaine des Chevaux). La voici :

 

Le lion de la filiation

 

La dévotion à l’égard du héros grec a été si forte qu’un temple lui a été dédié. Ce temple est évoqué dans le registre de campagne de l’empereur Trajan. Voici la scène qui est décrite au feuillet 58 :

 

Le lion de la filiation

 

Dans la partie ascendante, qui se trouve à droite de la photo, trois galères romaines manœuvrent dans le port. Vers la poupe du navire qui apparaît au premier plan, se dresse un arc : c’est l’Arco Traiano di Ancona (en français : l’Arc de Trajan à Ancône).

L’Acropole de la cité portuaire est représentée dans le registre supérieur, avec le Temple d’Aphrodite. Plus bas, à hauteur de la mer, et près de l’Arc de Trajan, un autre temple montre sa silhouette : c’est le Temple de Diomède !

Le coup d’œil du sculpteur qui a satisfait la commande impériale est confirmé par la configuration de nos jours. Voici cette dernière :

 

Le lion de la filiation

 

L’Arc triomphal se dresse au niveau des quais. Sur les hauteurs, c’est toujours l’Acropole, avec le Duomo di San Ciriaco qui remplace le Temple d’Aphrodite.

Qu’est-ce qui a fait que la cité portuaire se soit tant attachée au héros grec ? C’était parce que celui-ci avait fait preuve de générosité dans sa mission éducative. Quel enseignement Diomède a-t-il laissé ?

Celui que le Poète qualifiait de « dompteur de chevaux » sur la terre ferme apprenait à qui voulait, l’art de dompter les flots. Diomède s’est engagé dans cette mission pour se faire pardonner par Aphrodite qu’il avait offensée. La meilleure façon pour obtenir le pardon était d’œuvrer en conformité avec le renom de la déesse, qui était vénérée parce qu’elle était εύπλοια – ΕΥΠΛΟΙΑ (en français : qui accorde une heureuse navigation).

Le Louvre possède une effigie du héros grec. La voici :

 

Le lion de la filiation

 

Pour la divinité qui s’occupe du sentiment le plus fort entre les mortels, la navigation n’est pas un jeu, mais un art.

Diomède, le « dompteur de chevaux », s’est employé, avec dévouement, à diffuser cet art dans toute l’Adriatique.

Sur l’Acropole de la cité portuaire, les lions veillent à la préservation des trésors légués par la civilisation grecque.

La filiation assumée est une marque de gratitude.

Ancona Dorica est fille de Syracuse. Syracuse est fille de Corinthe.

Voici Corinthe :

 

Le lion de la filiation

 

Au pied de l’Acrocorinthe, le temple d’Apollon exhibe les lignes épurées de ses colonnes doriques.

Bientôt, les voiles du Zeph vont se gonfler, en conformité avec l’art enseigné par Diomède. Avec bonheur, elles se déploieront de nouveau au-dessus des flots qui baignent la mère-patrie de la mère-patrie de l’Ancona Dorica, dans le mythique Κόλπος Κόρινθου (en français : Golfe de Corinthe).

La rédaction de cet article a mené tout droit à une mise en bouche, qui permet de patienter jusqu’à l’embarquement sur le ferry.

La préparation culinaire revisite le poisson « all'anconetana » (en français : à la manière d’Ancône ». Le marquage au gril donne à la chair du poisson le délicieux goût de fumé.

 

Le lion de la filiation

 

Des gousses d’ail entières sont utiles pour parfumer la cuisson.

À défaut de fenouil marin, c’est le gingembre qui apporte la note de fraîcheur.

La garniture de courgettes doit absolument être al dente.

La recette recommande un vin qui exhale « l’aria del mare » (en français : l’air de la mer). Nous avons trouvé l’accord parfait grâce au Château Lacaussade Saint-Martin, sorti en 2009 des fûts de Jacques Chardat.

 

Le lion de la filiation

 

Le passage de ce Grand Vin de Bordeaux dans le gosier nous offrait tout de suite la vision du ferry qui voguait vers le Péloponnèse, avec la bénédiction du lion de la filiation.

 

Le lion de la filiation

 

Cette vision deviendra réalité le 17 juin prochain, si les divinités y consentent. Le nom du ferry sera Ολύμπικ Τσάμπιον (en caractères latins : Olympic Champion). Ce jour-là, nous aurons le grand privilège de contempler son sillage en train de s’étirer lascivement en direction du couchant.

Tag(s) : #Ancona, #Arc Traiano, #Aφροδίτη, #Colonna Traiana, #Domenico Paladino, #Odyssée III:180-185, #Syracuse, #Ἀγκών, #Διομήδης, #εύπλοια
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