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Elle ne pouvait pas se passer de lui pour vivre.

Elle était prête à subir les pires diffamations pour le garder auprès d’elle. Elle s’accommodait du surnom « regina meretrix », c’est-à-dire « reine putain », pourvu que personne ne la sépare de son amoureux.

 

Le courage de l'attente

 

Elle lui offrait sa beauté, sa gloire, les greniers d’un pays fertile, la force de frappe d’une puissance militaire redoutable.

Elle voulait s’unir à lui dans un immense et fabuleux rêve d’empire.

 

Le courage de l'attente

 

Ils avaient un ennemi en commun, très fort en propagande et très futé dans l’art de la guerre.

L’ennemi a réussi à les piéger au fond d’un golfe. Ils ont dû forcer le blocus.

 

Le courage de l'attente

 

Elle a vu son amoureux perdre pied au milieu du feu, de la suie et du sang.

Vite, elle a quitté les lieux de l’affrontement, pour se mettre en sécurité, chez elle, à Alexandrie, en Égypte.

Pourquoi n’a-t-elle pas fait intervenir la soixantaine de galères qu’elle avait amenées avec elle pour épauler la flotte de son amoureux ?

Avant le choc des armes, elle a vanté la puissance de frappe de ses soixante galères. En effet, grâce à Shakespeare, l’on a la conversation suivante :

ENOBARBUS, ami et conseiller d’Antoine :

Most worthy sir, you therein throw away

The absolute soldiership you have by land ;

Distract your army, which doth most consist

Of war-mark'd footmen; leave unexecuted

Your own renowned knowledge; quite forego

The way which promises assurance; and

Give up yourself merely to chance and hazard,

From firm security.

Mon général, par là, vous rendez vain votre mérite, et jetez la confusion dans votre armée, qui vaut surtout par son infanterie. Vous jetez par-dessus bord votre propre expérience et votre renommée. Vous quittez la route qui vous mènerait droit au succès pour vous lancer dans les hasards et dans les risques.

 

ANTOINE

I'll fight at sea.

Je combattrai sur mer.

 

CLÉOPÂTRE

I have sixty sails, Caesar none better.

J'ai soixante navires à voiles. César n'en a pas de meilleurs.

 

Puisque leur ennemi commun, c’est-à-dire Octave, qu’elle appelait encore « César », devrait s’incliner devant les soixante galères amenées par elle, pourquoi ne les a-t-elle pas utilisées pour imposer le vent de la victoire ?

 

Le courage de l'attente

 

Pourquoi n’a-telle pas attendu que la bataille se renverse en faveur du général de son cœur ?

Juste avant le moment où elle a pris la fuite, le cours des événements était loin d’être irréversible. En effet, l’historien romain Plutarque décrivait ainsi le contexte précédant la fuite :

ἀκρίτου δὲ καὶ κοινῆς ἔτι τῆς ναυμαχίας συνεστώσης, αἰφνίδιον αἱ Κλεοπάτρας ἑξήκοντα νῆες ὤφθησαν αἰρόμεναι πρὸς ἀπόπλουν τὰ ἱστία καὶ διὰ μέσου φεύγουσαι τῶν μαχομένων· ἦσαν γὰρ ὀπίσω τεταγμέναι τῶν μεγάλων καὶ διεκπίπτουσαι ταραχὴν ἐποίουν. Οἱ δ' ἐναντίοι θαυμάζοντες ἐθεῶντο, τῷ πνεύματι χρωμένας ὁρῶντες ἐπεχούσας πρὸς τὴν Πελοπόννησον.

Βίος Ἀντωνίου

 

Cependant le combat était encore douteux et la victoire incertaine, quand on vit tout à coup les soixante navires de Cléopâtre déployer les voiles pour faire leur retraite : ils prirent la fuite à travers ceux qui combattaient ; et, comme ils avaient été placés derrière les gros vaisseaux d’Antoine, en passant ainsi au milieu des lignes ils les mirent en désordre. Les ennemis les suivaient des yeux avec étonnement, les voyant, poussés par un bon vent, cingler vers le Péloponnèse.

Vie d’Antoine, livre IV, chapitre 66

 

L’historien danois Carsten Hjort Lange va jusqu’à penser que si elle avait engagé ses soixante galères disposées en renfort, elle aurait mis la victoire à portée de main de son amoureux.

Et même si la cause semblait perdue sur ce champ de bataille, pourquoi n’a-t-elle pas attendu que son amoureux la rejoigne, et qu’ainsi tous les deux pourraient regagner ensemble leur nid d’amour ?

 

Le courage de l'attente

 

Le Zeph a visité de nouveau le site de l’affrontement naval : le Κόλπος Αμβρακικός – ΚOΛΠΟΣ ΑΜΒΡΑΚΙΚΟΣ, le Golfe Ambracique, où s’étaient entrechoquées plusieurs centaines de galères, et où plusieurs milliers de soldats avaient péri.

Lieu de l’attente impossible, théâtre de la désertion.

Le hasard de l’amarrage a fait qu’en arrivant dans le Golfe Ambracique, le Zeph s’est garé sur le quai public, situé sur la rive septentrionale.

 

Le courage de l'attente

 

C’était sur cette rive que l’ennemi commun, qui arrivait de Brindisi, avait établi son quartier général.

Le lendemain, pour plus de sécurité et de tranquillité, le Zeph s’est réfugié dans la Marina de Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, blottie au fond du Golfe.

 

Le courage de l'attente

 

À la fin du séjour, le capitaine a voulu confier le Zeph à la Marina Aktio pour le prochain hiver.

 

Le courage de l'attente

 

Pour faire les papiers de l’hivernage, nous avons dû traverser l’entrée du golfe avec l’annexe. C’est ainsi que nous avons rejoint le camp des amants du Nil.

De ce côté du Golfe, les eaux portaient encore l’empreinte de la présence de la Souveraine.

 

Le courage de l'attente

 

Sur place, une barque, nommée ΠΕΛΑΓΙΝΗ ΛΛ 2397, arborait les couleurs rituelles de l’Égypte pharaonique : le bleu clair de la turquoise sur le pont et le manche cylindrique de l’ancre, le rouge de la cornaline aux extrémités pointues du grappin et le bleu foncé du lapis-lazuli sur le flanc de la coque.

 

Le courage de l'attente

 

Le trio de couleurs se trouvait évidemment aussi à la poupe.

L’esthétique de l’Égypte pharaonique se caractérisait par une palette de couleurs, mais aussi par une construction spatiale, qui était régie par un va-et-vient incessant entre l’unité et la multiplicité.

Le bras horizontal du gouvernail de la barque ΠΕΛΑΓΙΝΗ ΛΛ 2397 exhibait des tranches verticales ou obliques.

 

Le courage de l'attente

 

L’artifice du fractionnement créait un morcellement, mais pas de dispersion. Car l’on assiste à un rassemblement des subdivisions, dont l’objectif était de rompre l’uniformité en insérant la richesse de la multiplicité.

Après Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, le Zeph est allé à Λευκάδα – ΛΕΥKΑΔΑ. Cet itinéraire était celui de la fuite des amants du Nil.

 

Le courage de l'attente

 

L’historien romain Plutarque raconte à quel point elle était effondrée quand elle a tenu dans ses bras son amoureux agonisant :

« Δεξαμένη δ' αὐτὸν οὕτως καὶ κατακλίνασα, περιερρήξατό τε τοὺς πέπλους ἐπ' αὐτῷ, καὶ τὰ στέρνα τυπτομένη καὶ σπαράττουσα ταῖς χερσί, καὶ τῷ προσώπῳ τοῦ αἵματος ἀναματτομένη, δεσπότην ἐκάλει καὶ ἄνδρα καὶ αὐτοκράτορα· καὶ μικροῦ δεῖν ἐπιλέληστο τῶν αὑτῆς κακῶν οἴκτῳ τῶν ἐκείνου. Καταπαύσας δὲ τὸν θρῆνον αὐτῆς Ἀντώνιος ᾔτησε πιεῖν οἶνον, εἴτε διψῶν εἴτε συντομώτερον ἐλπίζων ἀπολυθήσεσθαι. »

Βίος Ἀντωνίου

 

« Quand elle l'eut ainsi recueilli, elle le coucha, déchira ses propres vêtements pour l'en couvrir et, se frappant la poitrine et la meurtrissant de ses mains elle essuya le sang avec son visage, en l'appelant son maître, son époux, son chef suprême, et elle oubliait presque ses maux à elle dans sa pitié pour ceux d'Antoine. Celui-ci arrêta ses lamentations et demanda du vin à boire, soit qu'il eût soif, soit qu'il espérât être ainsi délivre plus promptement de la vie. »

Vie d’Antoine, livre IV, chapitre77

 

Elle voulait que leur amour dure à jamais, même au-delà de la mort.

Alors, pourquoi a-t-elle laissé son amoureux se débattre seul, à Actium, dans les griffes de leur ennemi commun ?

Pourquoi celui à qui elle a octroyé le triple qualificatif de « maître », d’« époux » et de « chef suprême » au moment de l’agonie n’a-t-il pas bénéficié d’une attente salutaire, par stratégie ou par amour, qui aurait fait de lui un général victorieux, un époux heureux et un imperator glorieux ?

 

Le courage de l'attente

 

En refusant d’attendre que son général et amant finisse de s’extirper de la tourmente du Golfe Ambracique, la reine d’Égypte a-t-elle manqué de courage ?

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