Le poème toscan était une œuvre du Βασίλισσα.
La belle amitié entre le Zeph et le Βασίλισσα est née en 2018, à Πύλος (transcription : Pylos), sur le flanc occidental du Péloponnèse.
Le QG du Βασίλισσα se trouve à Marciana Marina, sur l'île d'Elbe, qui est en territoire toscan. D'où l'épithète qui figure dans le titre de l'article.
La gestation du poème toscan a commencé bien avant que le Zeph n’arrive à Πάτμος (transcription : Patmos). En est témoin l’échange de courrier suivant :
Sur l’écran, les messages envoyés par le Zeph se trouvaient à droite, en bleu, tandis que ceux qui provenaient du Βασίλισσα apparaissaient à gauche, en noir.
Ainsi, tôt dans la matinée du mardi 18 juin, le Βασίλισσα était déjà en route pour rejoindre Πάτμος. À ce moment-là, le Zeph était encore à Κάλυμνος (transcription : Kalymnos). L’obstacle qui menaçait de déjouer la jonction des deux routes maritimes n’était pas le facteur spatial, mais le facteur temporel.
En effet, si le Zeph n’arrivait pas à se décoincer à temps de l’étreinte de Κάλυμνος, le Βασίλισσα risquerait de devoir prolonger indéfiniment l’attente à Πάτμος.
Or ce mardi 18 juin, l’incertitude à bord du Zeph était très, très grande quant au caractère judicieux de reprendre la mer ce matin-là, à cause du vent qui nous semblait encore trop fort.
Finalement, très peu de temps avant midi, qui était le repère de l’entrée en vigueur de la nouvelle taxation journalière, le Capitaine a pris sa décision, inattendue mais libératrice : le Zeph larguerait ses amarres d’une minute à l’autre. Fébrile, le Zeph en a immédiatement informé le Βασίλισσα :
Le Zeph annonçait qu’il était aussi en partance pour Πάτμος, mais qu’il s’arrêterait auparavant à Λέρος. Le Zeph donnait rendez-vous au Βασίλισσα dans trois jours, à Πάτμος.
Le message du Zeph sous-entendait que le Βασίλισσα devrait s’immobiliser pendant quatre jours au moins, pour attendre l’arrivée du Zeph.
Une telle demande de la part du Zeph, même si elle était exprimée de la plus belle manière, n’était-elle pas déraisonnable, voire excessive ? Surtout quand chacun sait que la mobilità est la raison d’être de bon nombre de bateaux.
Pour éviter toute ambiguïté, le Zeph a posé directement la question « Aurez-vous la patience de nous attendre ? »
La réponse du Βασίλισσα était : « Oui ». Un « oui », lui aussi non équivoque.
Avant le Βασίλισσα, aucun bateau n’a attendu le Zeph. Aucun bateau, sauf un : le Fréja, qui avait différé son départ pour accueillir le Zeph à Μεσoλόγγι (transcription : Méssolonghi). C’était au mois de juillet de l’an 2016, il y a huit ans, presque jour pour jour.
Puis est venu le vendredi 21 juin, jour initialement annoncé par le Zeph comme jour d’arrivée à Πάτμος. Hélas, la persistance du vent fort a contraint le Zeph à envoyer au Βασίλισσα, vers le milieu de la matinée, le message suivant :
« Coucou...On a un contretemps d’ordre psychologique ! ! ! La météo du moment ne m’inspire tellement pas qu’on va rester encore 2 jours à Léros ! Départ vers Patmos, dimanche, si Dieu le veut ! Désolé ! ! ! J’espère que vous aurez encore la patience de nous attendre...Mais je ne vous en tiendrai pas rigueur, si vous décidez de mettre les voiles ! Bisous ! »
En d’autres termes, le Βασίλισσα, qui avait déjà attendu quatre jours, devrait encore rallonger cette attente en y ajoutant trois jours supplémentaires pour espérer revoir le Zeph !
Attendre sur la terre ferme, ce n’est déjà pas facile, loin de là.
Attendre en mer, c’est pire, mille fois pire !
Mais dans le cas du Βασίλισσα, l’amitié produisait de l’héroïsme.
Héroïquement donc, le Βασίλισσα a répondu au Zeph :
« On sera là »
puis :
« Face à l’éternité ».
La réponse du Βασίλισσα s’est faite en deux temps. D’abord, le Βασίλισσα confirmait la réalité de sa présence et la validité de son soutien psychologique. Puis, dans la foulée, le Βασίλισσα a évoqué « l’éternité » comme domaine de validité de son choix.
Pour le Βασίλισσα, il s’agissait d’une affaire sérieuse, essentielle, voire vitale.
La locution prépositionnelle « face à », utilisée par le Βασίλισσα sur le ton du serment, indiquait que le Βασίλισσα prenait à témoin le temps, dans son immensité et surtout dans sa transcendance.
Contrairement aux nombreux bateaux qui ne se référaient qu’à l’espace par l’intermédiaire des cadrans des instruments de mesure ou par l’intermédiaire des paysages qui défilaient pour vite s’évanouir dans la stérilité, le Βασίλισσα prenait appui sur la ressource temporelle pour s’offrir à l’autre, à l’humain, à l’ami.
Shakespeare a déclaré : « I am wealthy in my friends »
En français : « Je suis riche de mes amis ».
Mais la chanson française va plus loin que le dramaturge anglais. En effet, la chanson « C’est Dit » finit sa première strophe avec :
« On n'est riche que de ses amis
C'est dit »
Et les dernières paroles de cette chanson sont :
« Je ne suis riche que de mes amis
Mes amis
C'est dit »
Le texte français est plus percutant que le texte anglais grâce à la locution restrictive « ne...que » : la richesse de l’existence provient seulement de l’amitié.
C’était ce choix philosophique qui motivait l’attente du Βασίλισσα.
Mais définir un objectif, c’est une chose. Payer le coût de la réalisation de cet objectif en est une autre.
Le coût de l’attente assumée par le Βασίλισσα n’était pas négligeable.
De plus, aucune pique malencontreuse, aucun ton aigre-doux n’ont pollué l’attitude vertueuse du Βασίλισσα.
Jusqu’au bout, le Βασίλισσα a fait montre de dévouement à l’égard du Zeph.
En effet, le dimanche 23 juin, pendant que le Zeph était en route pour Πάτμος, le Βασίλισσα montait la garde sur le quai tant désiré par le Zeph, pour offrir à celui-ci l’emplacement mythique.
Voici l’échange de messages, qui a précédé l’amarrage :
Dans un premier temps, le Βασίλισσα a estimé la situation en prenant de la hauteur, grâce au village perché, traditionnellement appelé Xώρα (transcription : Khora). La perspective en direction du Nord-Ouest dévoilait trois places disponibles sur le quai que les fans de la passeggiata nocturme aimaient à considérer comme le bout du monde.
À ce moment-là, le nombre de miles nautiques que le Zeph avait encore à parcourir se comptait sur les doigts d’une seule main.
Pour finaliser sa tactique défensive, le Βασίλισσα s’est rapproché des bittes d’amarrage de la place réservée au Zeph et s’est mis à entonner le chant de la victoire commune, qui commençait par ces mots :
« Je la (= la place du Zeph) défends bec et ongles »
Pour décrire sa bonne volonté et sa détermination, le Βασίλισσα utilisait une locution adverbiale qui se référait à l’anatomie de la gent ailée.
Puis le lyrisme a fait des clins d’œil à l’univers marin avec la proclamation : « Contre vents et marées ».
Ensuite, l’euphorie a créé une glissade sémantique avec la déclaration : « Œil pour œil, dents pour dents », qui voulait préserver la continuité la référence à l’anatomie.
Mais, très vite, le Βασίλισσα s’est rendu compte de sa bévue. Aussitôt, il a fait une marche arrière en exprimant ainsi son mea culpa :
« Merde dents pour dents no ! »
Le vif repentir exprimait chez le Βασίλισσα son caractère pacifique et sa propension à la clémence.
L’exclamation qui a clos la tirade de la vaillance était très édifiante. Le Βασίλισσα s’est écrié : « Hammourabiiiiii » pour mettre à distance la source qui venait de lui inspirer la formule inappropriée.
Ce cri était celui d’un érudit, car la prescription « œil pour œil » et la prescription « dent pour dent » étaient respectivement la jurisprudence 196 et la jurisprudence 200 du Code d’Hammourabi.
Déjà, par sa grandeur d’âme, le Βασίλισσα était très fascinant.
À présent, dans le détail de son élocution, le Βασίλισσα était encore plus fascinant.
La marche arrière au sujet de la loi du talion était un comique de situation d’une grande finesse et d’une sublime beauté.
Après ce magnifique prologue langagier, l’heure du lancer des amarres et de la traction de celles-ci est venue :
Sur la photo, la Muse du Βασίλισσα réceptionnait l’amarre à l’avant tandis que le capitaine du Βασίλισσα évitait que le flanc gauche du Zeph ne se frotte au quai.
Après l’effort musculaire, a eu lieu le réconfort affectif :
Maintenant que le manque était comblé, l’étreinte s’emplissait d’ivresse.
Le talon droit de la Muse du Βασίλισσα décollait du sol. L’affection, sincère et profonde, était une formidable force ascensionnelle.
Le capitaine du Βασίλισσα contemplait avec bonheur ces effusions d’une belle authenticité.
Ces embrassades enflammées illustraient la pensée de l’auteur canadien Michel Dupuy, qui écrivait dans son ouvrage « La Source et le feu » :
“L'attente est en proportion du bonheur qu'elle prépare.”
L’attente prolongée, à laquelle le Βασίλισσα avait consenti par bonté d’âme, lui avait préparé un bonheur intense, qu’il savourait à présent, sans modération, dans les bras affectueux du Zeph.
La plage de sable, aussi immaculée soit-elle, ou le lagon bleu, aussi limpide soit-il, ne pourraient jamais avoir la même beauté émotionnelle que cette scène des retrouvailles entre le Βασίλισσα et le Zeph.
C’était le rapport à autrui – rapport nourri d’empathie, de bonté et de dévouement – qui faisait la réussite d’une navigation. En la circonstance, le Βασίλισσα s’est fait le chantre émérite de cette relation à l’altérité.
La répétition du bonheur est encore du bonheur.
La photo suivante n’est pas un copier/coller de la précédente :
Effectivement, les joues en contact ont changé de côté.
Mais l’ardeur fusionnelle n’a pas faibli : elle continuait à donner à l’étreinte à la fois force et tendresse.
Le talon droit de la Muse du Βασίλισσα était encore décollé du sol. L’apesanteur que transmettait à l’existence le lien de l’amitié était un délice que l’on ne quittait pas de sitôt.
Après les salutations sur le quai, il y a eu la réception à bord du nouvel arrivant.
Le Bordeaux blanc de la Cuvée Éléonore a ravi tous les gosiers.
Le Zeph a servi au Βασίλισσα le millésime de 2018, qui avait reçu la médaille d’or au Concours de 20189 à Bordeaux.
Pour honorer l’ami qui avait déclaré sa fidélité en prenant à témoin l’éternité, seul l’or de la récompense pouvait être servi à table.
Il a été dit dans l’introduction de cet article que la belle amitié entre le Βασίλισσα et le Zeph était née à Πύλος. À cette époque-là, des légumes al dente avaient apporté leur contribution à la naissance de cette amitié. Depuis, la fraîcheur des produits du potager grec continue de faire partie du rituel des retrouvailles. Voici les légumes al dente servis pour les retrouvailles à Πάτμος :
Le souvenir vivace d’un passé agréable amplifie le bonheur du présent : c’est ainsi que le capitaine du Βασίλισσα a réclamé la sauce au gingembre qui faisait la renommée du Zeph.
Après la saveur ludique du croquant, il y a eu l’onctuosité du froid qui faisait oublier la morsure du soleil :
Le Βασίλισσα était très satisfait de cet apéro improvisé.
La joie des retrouvailles avait maints visages.
Il y avait la joie de l’émerveillement :
C’était la joie de la certitude d’être surpris agréablement.
Il y avait aussi la joie de l’assouvissement :
C’était la joie de la douce plénitude.
Et il y avait surtout la joie théâtrale de l’Arlequin :
C’était la joie de la singularité, du coup de théâtre, de l’évasion.
C’était la joie cathartique par excellence.
Aucune terrasse de taverne n’aurait pu faire naître cette scène de la commedia dell’arte entre les deux capitaines.
Cette joie de l’osmose parfaite ne pouvait s’exprimer aussi librement qu’à bord du Zeph, c’est-à-dire là où chacun se sentait véritablement chez soi, et non dans un lieu d’emprunt.
Le balcon posé sur la mer à Πάτμος a eu le privilège d’assister à l’éclosion du poème toscan. La première strophe chantait la très belle récompense de l’attente.