Voici le Zeph sur le point de s’en aller de Ανάφη (transcription : Anafi), qui s’était révélée être une très agréable source d’étonnement pendant toute l’escale :
Le soleil qui venait de renaître, répandait sa lumière bienfaisante sur la proue. Ça, c’était pour le côté romantique. Celui-ci se mariait à merveille avec l’aspect pragmatique, illustré par l’étendage du linge.
Symboliquement, le Zeph se trouvait en plein dans le sillage du Bellatrix, revu deux semaines avant, à Κίμωλος (transcription : Kimôlos).
Ανάφη, comme destination à ne pas manquer sous aucun prétexte, c’était sur les conseils insistants du Bellatrix.
La conjugaison du romantisme avec le pragmatisme, c’était l’art de vivre du Bellatrix.
La mer est un espace dédié à l’ouverture. Cela va de soi qu’il s’agit de l’ouverture à autrui. C’est cette ouverture à autrui qui donne du sens à la navigation et la fructifie.
Sur la filière à tribord, pendait le linge de corps. De l’autre côté, six serpillières étaient en train de sécher. Entre ces deux rangées, pendaient deux paravents en textile, destinés à border le bimini à droite et à gauche, pour faire du cockpit un cocon bien ombragé.
Le fait que le Zeph disposait de toute son aise pour mener à bien sa grande lessive sautait aux yeux de tout le monde. La jouissance de cette pleine liberté rendait le Zeph hautement attractif.
Heureux, le Zeph se préparait à aller chercher d’autres formes de bonheur, du côté de Ίος (transcription : Ios).
La quête du bonheur nécessitait de se montrer prévoyant.
Une manière de se montrer prévoyant en mer consistait à veiller à ce que les réserves en eau douce soient au niveau optimal :
Il n’est pas rare que la situation matérielle conditionne le psychisme.
Comblé par Ανάφη, le Zeph a vogué vers Ίος, toutes voiles dehors :
Le parallélisme des penons rouges indiquait que la voile tirait profit du souffle d’Éole d’une manière très judicieuse.
La destination finale du jour a été atteinte vers le milieu de l’après-midi.
Voici le Zeph amarré au port municipal de Ίος et son voisin à tribord.
Au premier plan, apparaissait la bôme du Zeph, avec un cordage rouge.
La dernière fois, c’était l’Hypérion qui était à tribord du Zeph.
Cette fois-ci, c’était le Muzyka, avec son pavillon italien. Le barreur a pris nos amarres. L’homme était natif de Firenze (en français : Florence). Mais il a vécu trente-cinq ans à Paris. C’est pourquoi il a choisi de s’adresser à nous dans la langue de Molière, qu’il maîtrisait avec une grande aisance. Il avait vu Ίος il y a quarante ans. Cette nouvelle escale à Ίος s’inscrivait, pour lui, dans une route du souvenir.
Pour nous aussi, Ίος en 2024 faisait remonter d’émouvants souvenirs, avec l’Hypérion à tribord et le Βασίλισσα (transcription : Vassilissa) à bâbord.
Sur la photo, se profilait au-dessus de la bôme du Muzyka le sommet de la colline qui hébergeait le village perché, traditionnellement appelé Χώρα (transcription : Khôra).
C’était là-haut, sur cette Χώρα, que jadis, les trois équipages du Zeph, de l’Hypérion et du Βασίλισσα se sont rencontrés, fortuitement, sur une terrasse qui servait des rafraîchissements, sous une voûte somptueuse que formaient des bougainvilliers.
Cette terrasse est évoquée dans l’article « L'ardeur de la fraternité cannoise », publié le 30 Juin 2022, à 23h58.
La Χώρα de Ίος en 2024 avait encore des bougainvilliers qui rappelaient ce beau sommet de la francophonie :
Avec beaucoup d’émotion, le mousse a retrouvé ces lieux du souvenir
Pour monter vers le village perché, il est repassé devant un hommage à l’architecture de l’Antiquité :
Le fronton triangulaire de la porte d’entrée et les anneaux saillants des jarres témoignaient du charme indémodable de la simplicité des figures géométriques élémentaires.
À l’harmonie stylisée par la géométrie, la nature ajoutait l’élégance de ses inflorescences :
Et l’architecture, de s’inspirer de la nature en s’incurvant pour donner naissance à des pétales emboîtés qui formaient une perspective ludique :
Dans tous les cas de figure, le principe premier était la pureté des lignes.
Le retour sur les lieux du souvenir donnait de la plus-value au déjà-vu.
Jadis, c’était le Βασίλισσα que le Zeph avait à bâbord.
Cette année, à bâbord du Zeph, il y avait le Kalli Zoi.
À droite de la photo, était facilement reconnaissable le bel habit bleu du Zeph.
À bâbord du Zeph, le nom « Kalli Zoi » était la transcription, en caractères latins, de l’expression « Καλή Ζωή », qui signifiait littéralement « Bonne Vie ». Mais dans le contexte de l’exaltation des personnes qui naviguaient à bord de ce voilier, l’appellation « [La] Belle Vie » serait plus appropriée. En effet, le « Kalli Zoi » portait sur les flots huit futurs ingénieurs, dont l’âge moyen était de vingt-deux ans et qui faisaient leurs études à l’INSA de Strasbourg.
Jadis, à la place du « Kalli Zoi », il y avait le Βασίλισσα, qui a inspiré l’article « L'ardeur de la fraternité toscane », publié aussi le 30 Juin 2022, mais à 23h57.
L’article qui vient d’être cité contait les gestes d’amitié qu’avait accomplis le Βασίλισσα pour le bien du Zeph.
L’une de ces démonstrations d’amitié consistait à aider le Capitaine dans le transport de la recharge de gaz pour la cuisinière, car le lieu de l’échange était assez éloigné. À cette époque, le capitaine du Βασίλισσα était motorisé tandis que celui du Zeph était à pied. Avec empressement et dévouement, le premier a transporté le second à l’aller et au retour pour éviter à ce dernier l’épuisement qu’auraient provoqué la distance et la chaleur torride.
Cette année, nous avons encore acheté du gaz à Ίος. Comme la fois d’avant, le Capitaine du Zeph s’est rendu dans une station-service. Mais à pied et pour l’aller et pour le retour, sans la mob affrétée par le Βασίλισσα. L’évocation de celle-ci n’a pas le ton du regret, mais de la gratitude. Le souvenir n’attriste pas le présent, mais le dynamise.
La photo montre le Capitaine en train de passer en revue les recharges avec le garagiste afin de choisir les plus lourdes, donc les mieux remplies en combustible. Le Français avait la tête découverte tandis que le Grec portait une casquette blanche.
L’article cité ci-dessus mentionnait encore le geste de générosité effectué par la Muse du Βασίλισσα pour dire au revoir au Zeph. À l’époque, juste avant que celui-ci ne largue les amarres, la Muse du Βασίλισσα s’est empressée de nous offrir un bouquet d’aneth bien frais, tout juste ramené du supermarché qui venait de renouveler son stock. Un deuxième bouquet, fait de menthe, est venu s’ajouter au premier, pour embellir l’au revoir avec le souvenir de l’impérissable.
Cette année, nous sommes repassés devant ce supermarché, nous nous y sommes arrêtés et nous y avons fait nos courses. Nous en sommes ressortis très satisfaits car l’établissement a connu une modernisation, au meilleur sens du terme, grâce à une prise en main par la maison Κρητικός (transcription : Kritikos), dont nous vous avons déjà vanté les mérites.
Pour le temps présent, notre satisfaction concernait une amélioration du rapport qualité/prix, qui permettait une plus grande valorisation encore du principe d’autonomie par rapport aux tavernes. Mais notre satisfaction s’épanouissait aussi en lien avec le souvenir de l’aneth et de la menthe, dont la sublime fraîcheur a laissé un beau sillage, qui était celui de la prospérité.
Voici le supermarché où le Βασίλισσα avait jadis trouvé son aneth et sa menthe :
La navigation prend du sens, non pas grâce à des cadrans qui enregistrent des performances, mais grâce à des êtres qui nous témoignent leur affection.
Tout près du supermarché dépositaire de la fraîcheur de l’aneth et de la menthe, en allant un peu vers l’Ouest, c’est-à-dire dans la direction de l’amarrage du Zeph, se trouvait un lieu très sympathique. Le voici :
Les murs blancs plaisaient beaucoup au mousse, à cause de leur apparence rustique. Le pin parasol aussi, était très beau. Mais en plus de ce cadre physique, l’art qui avait présidé à l’appellation du lieu était remarquable. Celle-ci apparaissait à gauche du parasol resté ouvert malgré l’absence de lumière et de chaleur solaires. Le nom de l’établissement était « The Octopus Tree » (en français vernaculaire : l’Arbre du Poulpe). Voilà une promesse fort alléchante, qui faisait miroiter un mariage entre les saveurs de la mer et celles de la terre.
Mais le Zeph savait que sa table valait plus que celle des tavernes, qui sacrifiaient la qualité diététique pour servir les clients au plus vite.
Ce soir-là, même si ce n’était qu’un soir de transit, la mer était aussi présente sur la table du Zeph, sans aucun conservateur chimique, avec un soin minutieux pour la température de la cuisson et une présentation généreuse :
La présence du végétal, évoquée par « l’Arbre » dans le nom de la taverne, se manifestait par la chlorophylle du brocoli et du poivron, tous les deux restés al dente. Nous doutons beaucoup que les tavernes grecques sachent ce qu’est une cuisson al dente !
Il est légitime de s’attendre à ce qu’un arbre porte des fruits.
Ce soir-là, à la table du Zeph, il y avait des fruits : il s’agissait des cerises, dont la saveur légèrement acidulée était un exquis clin d’œil au principe ayurvédique.
Nous doutons beaucoup que les tavernes grecques sachent cuisiner les fruits, et encore moins, qu’elles mettent en application la sagesse de l’Ayurvéda.
Le balcon posé sur la mer entre Ανάφη et Ίος était celui du souvenir.
Comment vivre un souvenir ? Comme une invitation à vivre intensément l’ici-et-maintenant.