Stimulés par les agapes de la veille avec l’Hypérion, nous étions pleins d’énergie positive pour partir à la découverte de Ανάφη (transcription : Anafi), que le Bellatrix, revu dernièrement à Kίμωλος (Kimôlos), nous avait présentée comme l’une de ses escales favorites.
Nous ajoutions foi au témoignage très élogieux du Bellatrix. C’est pourquoi nous avions hâte de faire la grisante expérience du charme vanté avec insistance.
Ainsi le Zeph s’est échappé allègrement du cratère en laissant le flanc oriental de celui-ci à tribord.
La nouvelle terre apparaissait à bâbord au moment où le disque solaire s’approchait du zénith.
La photo montre plusieurs cônes à l’arrière-plan.
Le cône médian portait l’acro-pole (littéralement : la haute-ville) de Ανάφη. Au sommet, les constructions, éclatantes de blancheur, matérialisaient la prédilection, héritée de l’Antiquité, pour l’altitude.
La photo montre également la ville basse. Deux constructions de celle-ci, également toutes blanches, se voyaient au ras de l’eau, tout à fait à droite.
C’était par là-bas que se trouvait l’accès au port municipal, en passant entre ces deux constructions et le premier promontoire qui les dominait.
Ce qui nous plaisait dans cette vision, c’était le jeu de cache-cache que Ανάφη mettait en place.
Dans un jeu de cache-cache, il y a des pièges. Et le principe du piège consiste à substituer l’illusion à la réalité.
En ce qui nous concerne, la perspective des pièges était extrêmement anxiogène, surtout après le heurt de l’an dernier avec le rocher Φονιάς (transcription : Fonias).
D’abord, il y avait la catégorie des écueils qui étaient signalés par la littérature. À ce sujet, le Capitaine tenait scrupuleusement compte des avertissements.
Ensuite, il y avait la catégorie des écueils non identifiés, par omission, par incompétence, par désinvolture. Dans ce cas, nous devions faire preuve d’initiative pour assurer nous-mêmes notre propre sécurité. C’est pourquoi le Capitaine a demandé au mousse de se poster à la proue pour scruter le fond marin.
Tout près du phare rouge, s’étalait une immense tache noire, sur plus de la moitié de la largeur du passage qui se situait entre les deux phares. La littérature ne parlait pas du tout de cette présence menaçante. Le mousse trouvait que la masse noire ressemblait à de la roche. Dans ce cas, nous n’avions aucune idée de la hauteur d’eau au-dessus de la roche immergée. Le mousse criait à voix haute sa panique. Pendant ce temps, le Zeph continuait à avancer, très doucement.
Finalement, la zone assombrie n’était que le champ de croissance d’une algue à la robe d’ébène.
Sur la photo suivante, la position de l’embarcation qui se présentait à l’entrée du port était celle du Zeph quand le mousse transformé en guetteur a commencé à paniquer :
Sur la photo ci-dessous, on peut voir une tache sombre qui partait du phare rouge et qui s’étalait jusqu’au milieu du passage.
Le Zeph avait confiance dans la vigilance du Capitaine.
En définitive, celle-ci a su déjouer tous les pièges.
Nous voici affranchis de toute peur, sains et saufs dans l’eau paisible du port :
Sur la photo, apparaissait, derrière le Zeph, le phare vert, qui était plus en retrait par rapport au phare rouge, pour un bateau qui entrait.
Une fois les deux phares franchis, nous étions soulagés, doublement. D’une part, parce que nous venions de traverser avec succès, mais non sans sueur froide, l’épreuve de l’hostilité du relief sous-marin. D’autre part, parce que nous découvrions que nous étions, pour l’instant, le seul bateau visiteur, et que par conséquent, nous pouvions choisir de nous amarrer comme bon nous semblait.
Au départ de Θηρασία, la question de l’emplacement disponible dans le petit port de Ανάφη était une source d’appréhension. À présent, l’agréable réalité du lieu montrait que nous avions bien agi en faisant confiance au Bellatrix.
Le Zeph s’est blotti au fond du port municipal, pour épuiser les vagues au cas où celles-ci entreraient en passant devant les phares.
La mer, infinie et indomptable, se trouvait à droite de la photo.
Entre la mer et le Zeph, s’étirait un mur, dont la hauteur empêcherait les vagues de mouiller les cheveux (et les pieds) des promeneurs sur le quai d’amarrage.
Le mur portait des indications au sujet de sa mise en place.
Voici l’une des empreintes laissées sur les pierres sommitales :
De haut en bas, apparaissait la date : 4/10/19.
Et juste au-dessus du 4, était gravé un mot en latin : PAX (en français : PAIX).
En allant de bas en haut sur la photo, on se rapprocherait du phare rouge.
Voici, en toute cohérence, la perspective inversée :
Les trois lettres PAX avaient maintenant leurs têtes en bas, mais une personne qui viendrait du Zeph, reconnaissable à ses lignes bleues, verrait le mot à l’endroit.
À tribord du Zeph, apparaissaient deux bâtiments blancs. C’étaient ces deux bâtiments qui semblaient au ras de l’eau sur la photo qui dévoilait, pour la première fois, l’acro-pole de Ανάφη.
Voici le Zeph à l’heure où le soleil se préparait à se coucher :
La poupe regardait l’Ouest tandis que la proue était tournée vers l’Est. C’était donc le flanc gauche qui serait prochainement exposé à la furie du vent du Nord.
Mais le Zeph était confiant dans le choix de ce havre de paix.
L’intégrité de la confiance se voyait dans l’intégrité du reflet.
Après la sécurité concernant l’immédiat et les jours à venir, nous nous sommes occupés du ravitaillement en eau douce, condition sine qua non pour tenir bon face à la tempête qui nous assiégerait.
Dans la soirée, les divinités nous ont amené la main secourable du Tyr, qui s’était placé entre le Zeph et le Bellatrix à Κίμωλος. À Κίμωλος, le barreur du Tyr s’était pris de sympathie pour le Capitaine du Zeph. Aussi celui-ci n’avait-il aucune difficulté pour obtenir de son collègue l’emprunt de deux tuyaux qui, en se raccordant l’un à l’autre, permettraient d’amener l’eau douce jusqu’au réservoir.
La serviabilité du Tyr a aussi permis au Zeph de faire une très grosse lessive.
Le prêt des deux tuyaux qui, en se raccordant l’un à l’autre, permettaient de transporter l’eau sur une très grande distance, était déjà en soi un fait remarquable. Ce qui a rendu ce prêt encore plus beau, c’était la manière dont il a été consenti.
En effet, la politesse française a suggéré au Capitaine de s’excuser d’avoir dérangé son collègue pour ce qui pourrait n’être qu’une broutille aux yeux de certains. Mais le Grec a tout de suite riposté que les excuses présentées étaient superflues et que c’était « normal » que les gens de la mer s’entraident entre eux.
Ainsi, chapitre après chapitre, dans le domaine matériel, l’attitude confiante du Zeph a été récompensée.
Reste à considérer maintenant la raison d’être de cette escale à Ανάφη.
Au sujet de l’intérêt culturel, le mousse était confiant que la ville haute (en grec : l’acro-pole) nous enchanterait.
Face à la menace du vent fort qui, bientôt, déferlerait en provenance du Nord, le Zeph se sentait en confiance à Ανάφη.
La première nuit à Ανάφη avait l’exquise saveur de la quiétude.
Le balcon posé sur la mer entre Θηρασία et Ανάφη était le balcon de la confiance récompensée.