Comblés, nous repartions de Μήλος (transcription : Milos).
Et nous nous dirigions vers Θήρα (transcription : Théra), dont l’éruption a été associée à la disparition de l’Atlantide.
Mais avant d’atteindre le célèbre volcan, nous ferions escale à Φολέγανδρος (transcription : Folégandros).
Le Capitaine avait l’entière responsabilité du rituel des tâches techniques.
Il s’y employait de manière méticuleuse, ce qui n’empêchait pas la réussite de l’escale de donner au décollage une ambiance euphorique.
Le Capitaine était un puriste, par rapport à ses gènes de voileux. Alors, dès qu’il pouvait, il hissait les deux voiles et faisait taire l’affreux ronronnement du moteur :
Sentir la poussée du vent, à la manière des Anciens, était un très grand plaisir.
Surtout quand cette force motrice, quand elle était la seule à être opérationnelle, ne parasitait nullement la musique de l’eau, qui, pour l’instant, donnait l’impression que les vagues venaient roucouler autour de la coque.
Le plaisir de la glisse amenait tout naturellement d’autres plaisirs, celui de manger sainement.
Point de taverne au milieu de l’eau : la chose était évidente.
Et même si nous étions sur le rivage, quelle taverne offrirait autant de vitamines que la table du Zeph ?
Pour la salade de la mi-journée, le croquant du concombre et du chou était contrebalancé par la texture plus tendre de la betterave rouge.
La saveur astringente, recommandée par le principe ayurvédique, était apportée par l’oignon frais et le gingembre frais. La menthe, fraîche elle aussi, fournissait une double contribution : gustative par son goût poivré et picturale par sa couleur verte qui rappelait le contour des rondelles de concombre tout en servant de contrepoint à l’ocre rouge de la betterave, à l’ocre mauve de l’oignon et à l’ocre jaune du gingembre.
À la table du Zeph, il y avait immanquablement l’équilibre nutritionnel, qui était toujours mis en valeur par une recherche esthétique.
Voici la position du Zeph au moment de la dégustation des crudités :
Le Zeph s’apprêtait à traverser le détroit qui séparait Μήλος et Κίμωλος (transcription : Kimôlos), avec Μήλος à tribord et Κίμωλος à bâbord.
Le vent, rafraîchissant et vivifiant, nous mettait en confiance. Le prélude, en mode allegretto, préparait l’arrivée du mouvement principal qui se déroulerait de manière molto vivace.
En effet, vers le début de l’après-midi, la puissance du vent a beaucoup augmenté. Le Zeph s’en est tout de suite emparé pour exhiber ses performances de coursier.
La vitesse moyenne se situait autour de 7 nœuds, avec des pointes dépassant 8 nœuds.
Le maximum atteint était 9, 86 nœuds.
Le zèle du Zeph enthousiasmait le Capitaine, qui ne cessait de s’exclamer : « Ça marche bien ! C’est super ! »
Avec fascination, le preneur d’images découvrait que l’augmentation de la vitesse amenait une très grande stabilité, qui permettait la réalisation de zooms audacieux.
Sur les deux photos précédentes, le relief montagneux de Φολέγανδρος se voyait distinctement à tribord.
La haute performance du Zeph était jouissive.
L’exultation procurée par un Zeph courageux, fier et charmeur nous a aidé à surfer allègrement au-dessus des contrariétés causées par des esprits étriqués.
Le premier de ceux-ci, dans l’ordre chronologique et dans l’ordre d’importance, affichait la raideur de l’uniforme et se complaisait dans l’intransigeance de l’arbitraire.
En effet, le Zeph, qui n’était point découragé par l’absence de place disponible au quai, venait de s’ancrer dans la baie, face au soleil couchant :
Malgré que le Zeph se soit bien éloigné du chenal des ferries, la forte myopie, non seulement rétinienne mais surtout intellectuelle, de la recrue arborant l’uniforme de la sévérité, nous a enjoint de nous éloigner davantage.
Devant l’insistance de l’hostilité du bras armé de l’autorité portuaire, nous avons levé l’ancre :
Nous éloigner encore plus d’un chenal qu’aucun ferry n’emprunterait jusqu’à la mi-journée du lendemain (car le seul ferry qui accosterait après notre arrivée serait celui du Pirée, qui ne se présenterait devant l’île qu’à midi !), c’était forcément nous rapprocher un peu plus des autres bateaux qui avaient précédé le Zeph dans ce mouillage.
L’exultation évoquée ci-dessus nous a donné la hardiesse de mouiller « à l’italienne », à tribord d’un autre bateau, qui nous lançait des regards assassins :
Regardez le pavillon qui se trouvait à la poupe du bateau qui nous refusait l’hospitalité.
Nous ne voulons surtout pas généraliser, mais nous avions l’habitude qu’un tel pavillon manifestait l’arrogance plutôt que le partage.
Notre joie était intrinsèque parce qu’elle provenait de la force morale du Zeph. C’est pourquoi notre joie n’était nullement affectée par l’inélégance des esprits étriqués qui nous encerclaient.
La grande joie du jour était l’acte de bravoure du Zeph. Nous l’avons célébrée avec un plat grec, le σαγανάκι (transcription : saganaki).
Il s’agissait d’un fromage qui était frit après avoir été protégé par une couche de farine :
Le mousse a interprété la recette grecque en lui insufflant l’esprit ayurvédique.
L’acidité du raison blanc servait de contrepoint au goût sucré de la patate douce. Le goût sucré était aussi présent dans le poivron rouge, mais de manière plus discrète.
La cuisson devait préserver absolument le caractère al dente du brocoli, du poivron et du raisin.
Voici l’assiette du Capitaine, dont le décor était rehaussé par la teinte de la capucine :
Et voici l’assiette du mousse, parée avec la couleur du coquelicot :
Le balcon posé sur la mer entre Μήλος et Φολέγανδρος était le balcon de l’exultation.