Il y a la volupté de l’instant quand on peut se laisser aller dans l’oisiveté, dans l’insouciance, dans la rêverie. Car à cet instant-là, rien ne pèse, rien ne contraint, rien ne contrarie, rien n’oppresse.
Pas de volupté sans liberté. Liberté d’oublier les tensions, les conflits, les frictions. Liberté d’être tout entier à soi. Liberté de s’étourdir, de ne plus se retenir, de ne plus se corseter.
La toute récente navigation du Zeph a connu des moments de volupté ineffable, surtout au crépuscule.
Acciaroli, au Sud de Salerno, a offert au Zeph l’un des crépuscules les plus voluptueux.
La volupté ne peut pas exister quand le ciel est tourmenté. La voûte céleste doit refléter la sérénité pour créer l’impression du consentement et de la complicité.
Ce soir-là, le ciel d’Acciaroli était sans nuages, au sens propre comme au sens figuré. C’était grâce à la bonté d’un homme. Il s’appelait Giuseppe et s’occupait avec dévouement du ponton où était amarré le Zeph.
Le climat de paix et de confiance que Giuseppe a ramené à bord a permis au Zeph d’être plus réceptif à la limpidité de l’air et de l’eau. Les couleurs semblaient davantage gorgées de sensualité. Face à la plage, le pourpre du bougainvillier et le vert du rideau se courtisaient mutuellement, dans un jeu de miroir.
Le rideau vert prenait des reflets orangés sous le regard du bougainvillier tandis que les corolles pourpres réfléchissaient des lueurs indigo à cause de la présence du rideau.
La lumière dorée qui se répandait dans le port engendrait des sillages lascifs.
La séduction des yeux précédait celle des papilles.
Très inspiré, le capitaine s’est transformé en cordon bleu pour surprendre le mousse. De retour de sa passeggiata, celui-ci a découvert une table chaleureuse, embellie par une salade composée de différentes variétés bien odorantes et craquantes.
Et pour que le giron du Zeph s’imprègne de la volupté ambiante, le capitaine a associé la fraîcheur des diverses laitues et l’onctuosité des tranches d’avocat.
On perd la volupté du crépuscule quand il faut déchiffrer fiévreusement les menus éclairés par les projecteurs des restaurants, et être sur le qui-vive au sujet du savoir-faire de ceux qui officient en cuisine ou à la caisse. Il faut que l’esprit se libère de l’inquiétude concernant la subsistance matérielle.
À Acciaroli, mais ailleurs aussi, la liberté, acquise grâce à l’indépendance, octroie à l’esprit et à tout le reste du corps une réceptivité optimale pour jouir pleinement d’un crépuscule voluptueux.
L’au revoir à l’Italie s’est aussi déroulé dans un cadre empli de volupté.
Initialement, la route entre Crotone et Οθωνοί – ΟΘΩΝΟΙ prévoyait une halte à Santa Maria di Leuca. Le Zeph s’approchait de cette dernière position quand le soleil se préparait à passer sous l’horizon.
La mer, câline et affectueuse, choyait le Zeph.
Le ciel se mettait à rougir pour approuver ce retour en Grèce.
La volupté du cosmos donnait au Zeph une exquise sensation de bien-être, qu’il n’a pas manqué de partager avec Διόνυσος – ΔΙΟΝΥΣΟΣ.
La volupté n’était que plus divine avec le breuvage de la gaîté.
Ce crépuscule voluptueux offert par la mer était si envoûtant que le Zeph n’a pas voulu s’en séparer. Il est donc resté au milieu des flots et n’a pas rejoint la terre ferme ce soir-là. Il s’est contenté de voir Santa Maria di Leuca de loin et a continué sa route vers la Grèce.
La volupté du présent dissipe les regrets.
À bâbord, les lumières de Santa Maria di Leuca ponctuaient l’horizon assombri.
Plus près du Zeph, la clarté résiduelle du ciel se voyait à travers la signature de l’artisan qui avait confectionné le portique pour les panneaux solaires.
Adieu, Port Napoléon !
Au revoir, Italie !
La volupté de la mer confortait le Zeph dans le choix qu’il avait fait.
Il faut la séduction du paysage. La laideur du cadre spatial interdit toute volupté.
La volupté est décuplée quand on prend conscience de la rareté de l’occasion.
À Καστός – ΚΑΣΤΟΣ, le Zeph bénéficiait d’un environnement rare, exceptionnel. Il était amarré à proximité du phare rouge. Son éolienne était celle qui brillait dans la lumière du couchant.
Le port se trouvait dans un écrin de verdure très sauvage, qui donnait à l’île une apparence virginale. La perception d’un territoire inviolé a tout de suite suscité la volupté de la découverte.
L’ocre exhibait à volonté la sensualité de ses nuances tandis que l’onde azurée faisait mouvoir des reflets lascifs dans la douceur du crépuscule.
La volupté fuit la lumière crue, abrupte, indélicate. La volupté est friande de pénombre et d’ombre. Le contraste violent, brutal, agressif ne lui convient pas. Il lui faut des transitions en douceur, des lisières floues.
Au fil des minutes, les teintes sont devenues de plus en plus douces. Les îlots à l’horizon rosissaient avant de s’assoupir.
Au bout de la jetée, près du phare rouge, le Zeph était encore reconnaissable avec son éolienne.
La volupté du sommeil se préparait à succéder à celle de l’au revoir de l’astre solaire.
Pour qu’il y ait volupté, il faut que l’on s’offre complètement, corps et âme à ce qui est censé procurer cette volupté. Donc pas de babillage, ni de turbulence à proximité. Pas d’agression sonore. Pas d’agitation. Ceci ne veut pas dire que la volupté requiert le silence ou l’immobilité. C’est la tranquillité, c’est-à-dire l’absence d’agents perturbateurs ou intrusifs, qui est la condition première.
À Καστός – ΚΑΣΤΟΣ, pendant la prise de vues, deux promeneurs remontaient le sentier côtier en direction du port. Étaient-ils discrets ? Leurs pas n’étaient nullement bruyants. On entendait leur conversation, qui avait des sonorités hispaniques. Ils ont même adressé la parole au photographe pour le saluer.
Mais leur apparition s’intégrait parfaitement avec l’ambiance feutrée des lieux. À aucun moment, la présence des deux promeneurs n’a nui à la volupté du crépuscule.
Il ne s’agit pas d’isolement absolu, mais de l’incongruité du désordre. La volupté s’accorde mal du phénomène bouillonnant, à moins que celui-ci ne soit la manifestation du désir.
Même déroulement du cadre spatio-temporel à Μύτικας – ΜΥΤΙΚΑΣ, pour le premier soir. Le jour de l’arrivée était un jour de fête, car il comblait une envie qui a été refoulée dix semaines auparavant. En effet, le vendredi 19/7/2019, en début d’après-midi, le Zeph est arrivé à Μύτικας – ΜΥΤΙΚΑΣ, mais il n’y avait déjà plus de place pour lui. La voile triste et le moteur enroué, le Zeph est reparti, en se consolant avec un retour hypothétique, qui aurait lieu en automne. Son espoir n’a pas été vain quand il a pu enfin s’amarrer le samedi 28/9/19 dans le port tant désiré.
Nous aimons la modestie qui sait s’allier avec l’élégance, l’authenticité qui fait fleurir le bonheur de l’instant. À Μύτικας – ΜΥΤΙΚΑΣ, il y avait tout cela, à chaque pas, à chaque tournant. Alors, pour fêter l’arrivée dans un lieu qui promettait d’être exceptionnel, nous nous sommes offert le luxe d’aller manger au Φάρος – ΦΑΡΟΣ. C’était le nom d’un édifice cylindrique, destiné à guider les marins avec sa lumière, quand vient la nuit. Mais c’était aussi le nom d’une taverne installée au même endroit. Et quel endroit ! C’était comme une pointe de terre qui marquait la jonction entre les flots de l’Est et les flots de l’Ouest. Pour midi, nous avons choisi une table à l’Est. Comme nous y avons trouvé un accueil très sympathique, une nourriture de qualité et une addition nullement salée, nous sommes revenus le soir, pour nous installer autour d’un table à l’Ouest.
Au fil des minutes, la volupté du crépuscule était comme une marée montante qui emplissait tout notre être.
À notre droite, deux autres personnes ont pris place autour d’une table, qui était toute proche de la cloison faite de filets de pêche et de diverses tentures. Spatialement, elles étaient en retrait. Et sociologiquement, elles se sont montrées si discrètes que tout le lieu semblait nous être réservé. De plus, le fait d’avoir mangé à midi nous faisait bénéficier d’une agréable connivence avec la maîtresse de maison. Tous ces facteurs convergents ont conduit la volupté du crépuscule à parer notre table de mille délices.
L’absence d’affluence et le symbolisme du phare renforçaient la sensation de se retrouver au bout du monde. Un tel privilège, si flatteur et enivrant, ne pouvait qu’accentuer la volupté du crépuscule, qui s’éternisait pour notre plus grand bonheur.
À la base du phare blanc, se trouvait une ancre formée de quatre pointes recourbées. La silhouette du grappin rappelait que la volupté de ce crépuscule était un cadeau de la mer.
La volupté vient quand le temps s’écoule au ralenti, quand il n’y a plus de course, plus de hâte.
L’instant nourri par la volupté a le goût irrésistible du reviens-y.