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Il était dans la fleur de l’âge. Il n’a connu que vingt-sept printemps.

Sa jeunesse avait quelque chose de très enviable : la beauté.

Dans sa langue maternelle, on disait qu’il était :

יְפֵה־תֹאַר וִיפֵה מַרְאֶֽה

( בְּרֵאשִׁית לט : ו )

 

c’est-à-dire « beau de forme et beau à voir. »

(Livre de la Genèse, chapitre 9, verset 6)

 

Il y a-t-il redondance dans ce verset ? Nullement ! La première partie de la locution hébraïque parle du caractère intrinsèque de la beauté tandis que la seconde partie signale son impact.

En effet, la description du physique commence avec l’emploi du terme תֹ֖אַר , qui désigne une forme dessinée harmonieusement, un contour découpé de façon élégante, un profil taillé avec de belles proportions.

Son anatomie incarnait la beauté, indépendamment du regard d’autrui. Cela n’empêchait pas cette beauté d’éblouir celles et ceux qui venaient à sa rencontre.

C’est pourquoi le verset se termine avec le mot מַרְאֶֽה , qui vient de la racine רָאָה , et ce dernier terme signifie « voir ».

Il était beau, même sans le regard des autres. Et il était encore beau, surtout dans le regard des autres.

Entre l’héritage génétique, évoqué par le mot תֹ֖אַר , et la perception visuelle des autres, indiquée par le terme מַרְאֶֽה , il y a la conjonction וִ , qui signifie « et ».

La conjonction montre l'association mais n'affirme pas l'inséparabilité.

En plus d’être séduisant, il était brillant. Car tout ce qu’il entreprenait réussissait. Toutes les affaires dont il avait la charge prospéraient.

Le bel homme était un jeune cadre dynamique couronné de succès, sur le plan économique et financier.

Comme il travaillait au service d’un très haut fonctionnaire de l’État, celui-ci lui a confié la gestion de tout le patrimoine. Belle reconnaissance sociale. Magnifique récompense sur le plan moral aussi, car elle était faite d’admiration, de gratitude et de confiance – des qualités qui ne souffrent le moindre geste de trahison.

Beau, talentueux, choyé, il s’est retrouvé, un jour, devant une terrible épreuve qui l’a obligé à fuir et à tout quitter. C’était l’épreuve de la volupté.

Le scénario date d’il y a trente cinq siècles, mais la vision, celle qui a été offerte au mousse, est toute récente. La scène de la fuite, il l’a vue en octobre dernier, sur un plafond à Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, juste avant de dire au revoir au Zeph. Un heureux concours de circonstances a été à l’origine de cette émouvante découverte.

En effet, la route des salades vertes s’est transformée en chemin vers l’art et la spiritualité. Dans les tout derniers jours à la Marina Aktio, où devrait hiverner le Zeph, il nous manquait une salade verte pour déguster des rouleaux de printemps faits maison. Hélas, à proximité de la Marina Aktio, il n’y avait ni minimarket, ni supermarché, ni hyper agora : il aurait fallu parcourir plus de vingt kilomètres en direction de Λευκάδα – ΛΕΥKΑΔΑ pour trouver un marchand de légumes frais. Il restait une autre solution : elle consistait à revenir sur Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, qui abondait en étals de fruits et légumes frais. Sauf que pour aller à Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ à partir de la Marina Aktio, il fallait emprunter un tunnel creusé sous la mer, interdit aux piétons et aux cyclistes.

 

La volupté de la jeunesse

 

Par chance, la Marina Aktio avait une navette gratuite qui faisait l’aller retour jusqu’à Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ en passant par ce tunnel sous la mer. À 10h20, on pouvait se faire déposer à Πρέβεζα – ΠΡΕΒΕΖΑ, devant le supermarché Μασούτης – ΜΑΣΟΥΤΗΣ. Et à 12h30, on reprenait la navette au même endroit pour rentrer à la Marina Aktio, avec des provisions débordantes de fraîcheur.

Sur les cent trente minutes allouées, le mousse en a pris seulement quinze pour acheter deux salades vertes et trois citrons. Et qu’a-t-il fait du reste du temps ? Il a flâné dans le quartier historique qui se trouvait à proximité du supermarché. Et c’est là qu’il a découvert le Ναόϛ Αγίου Αθανασίου – ΝΑΟΣ ΑΓΙΟΥ ΑΘΑΝΑΣΙΟΥ, qui était le sanctuaire consacré à Saint Athanase.

 

La volupté de la jeunesse

 

L’édifice intriguait parce qu’il n’avait pas la coupole traditionnelle.

Il surprenait encore plus par le peu de lumière qui entrait par les quelques ouvertures rectangulaires.

 

La volupté de la jeunesse

 

Mais une fois à l’intérieur, on se retrouvait au milieu d’une multitude de fresques, qui ne laissaient aucune parcelle nue. Ces magnifiques fresques ont plus de deux siècles d’existence.

Bien sûr, il y avait le Pantocrator. Et pas très loin du Pantocrator, il y avait la scène de la fuite, évoquée dans l’entrée en matière.

 

La volupté de la jeunesse

 

Il y a fuite, parce qu’il y a poursuite. Et il y a poursuite, parce qu’il y a harcèlement.

C’est la silhouette de derrière qui poursuit celle de devant.

Autrement, c’est la femme qui harcèle le jeune homme. Elle le harcèle parce que la volupté de celui-ci repose sur un triple attrait : la beauté corporelle, le prestige de la réussite, et l’aura de la confiance accordée par la hiérarchie du pouvoir.

 

La volupté de la jeunesse

 

Stimulé par un triple aiguillon, le langage de la volupté ne peut être que très direct.

Sans prendre de détour, la femme dit ouvertement au jeune homme :

שִׁכְבָה עִמִּֽי

( בְּרֵאשִׁית לט : ז )

 

c’est-à-dire « Couche avec moi ! »

(Livre de la Genèse, chapitre 9, verset 7)

 

Mais qui est-elle pour s’exprimer aussi crûment ?

Elle est la femme du haut fonctionnaire qui a confié au jeune homme la gestion du patrimoine.

L’histoire se déroule en Égypte. Le haut fonctionnaire s’appelle Potiphar.

Le jeune prodige, séducteur malgré lui, est un Hébreu, du nom de Joseph.

Joseph sert Potiphar, avec intelligence, fidélité et dévouement.

Comment le jeune serviteur, beau, travailleur et talentueux, pourrait-il passer inaperçu aux yeux lubriques de la femme de Potiphar ?

 

La volupté de la jeunesse

 

Combien de fois a-telle dit à Joseph : « Couche avec moi ! » ?

Le texte hébreu dit que Joseph est harcelé

יֹום יֹום

( בְּרֵאשִׁית לט : י )

 

c’est-à-dire « jour après jour »

(Livre de la Genèse, chapitre 9, verset 10)

 

L’intention de la femme de Potiphar est claire, la formule est abrupte parce que le corps est impatient. La demande est-elle faite avec une voix enjôleuse ou agacée ? Est-ce sur le ton d’un murmure suave ou d’un ordre intimidant ?

Comment Joseph va-t-il réagir devant une telle insistance, une telle pression, une telle oppression ? Céder ou résister ?

 

La volupté de la jeunesse

 

A-t-il le droit de céder ? Doit-il résister ?

A-t-il des armes pour résister ? Jusqu’où pourra-t-il résister ?

La volupté ne recule pas devant l’obstacle, ne se résigne jamais.

Un compromis est-il envisageable ? La volupté n’accepte aucun compromis, elle veut la victoire totale. Cette victoire totale, la volupté pense la tenir le jour où la maison se retrouve vide, sans le personnel de service.

La maison est vide, l’instant devient décisif, les événements se précipitent.

La femme de Potiphar met à profit cette circonstance exceptionnelle : elle réitère ses avances en se saisissant du vêtement de Joseph. Comment celui-ci réagit-il ?

Le peintre italien Giovanni Francesco Barbieri, dit Guercino, a illustré la réaction de Joseph. L’œuvre se trouve au Museum of Art de Honolulu.

Le dessin préparatoire fait apparaître une multitude de contours rapprochés, qui traduisent les hésitations de l’artiste.

 

La volupté de la jeunesse

 

La trace de ces tâtonnements crée une image vivante de la main qui tremble. Elle tremble d’effroi, avec ses doigts recourbés. Elle tremble comme si elle redoutait un viol. Viol d’un corps non consentant, et surtout, viol d’une conscience intègre. L’horreur de la violence imminente fait frémir la main crayonnée.

Joseph fait le choix de ne pas trahir Potiphar et de ne pas offenser le Très-Haut.

Il fuit pour ne pas souiller sa conscience et laisse son vêtement dans la main de la femme de Potiphar.

 

La volupté de la jeunesse

 

Habit de serviteur ou vêtement d’apparat, l’étoffe prise en otage dit la fonction sociale.

Joseph abandonne la fonction sociale mais garde et sauvegarde la pureté de son être.

Dans la main de la femme de Potiphar, la prise n’est pas la proie, mais une enveloppe vide, qui n’a rien de voluptueux, que le désir a déserté, où macère désormais l’amertume de la vengeance.

 

La volupté de la jeunesse

 

Il ne fait pas bon de frustrer une amoureuse, de contrarier une hystérique, et de sous-estimer une rancunière.

La volupté a ce pouvoir redoutable de renverser l’immense force attractive pour la transformer en force répulsive et de décupler celle-ci.

Si le flux de sympathie passionnée peut faire peur, le reflux est plus effrayant encore.

La femme de Potiphar crie au viol, ameute la maisonnée, pousse son époux à punir Joseph, qui est incarcéré.

Soit dit en passant, la fausse accusation de viol ne date pas d’aujourd’hui !

La volupté de la jeunesse a fait passer à Joseph un très mauvais moment, à courte échéance. Mais à longue échéance, ses qualités ont été reconnues et récompensées.

Joseph finit par être le deuxième personnage le plus haut placé du pays, après le chef de l’État.

 

La volupté de la jeunesse

 

En effet, à trente ans, Joseph est devenu premier ministre de Pharaon, avec une conscience sans souillure.

L’affaire de Joseph avec la femme de Potiphar pose la question du fondement de l’existence. Qu’est-ce qui fonde l’existence ? La voix des sens ou la voix de la conscience ? La volupté, qui procure incontestablement le plaisir et l’ivresse, peut-elle faire oublier l’intégrité morale ?

La jeunesse de Joseph est doublement belle : belle à l’extérieur et surtout à l’intérieur.

Pourquoi la Providence s’est-elle arrangée pour que les fresques du sanctuaire consacré à Saint Athanase fassent partie du bagage visuel rassemblé au moment de l’au revoir au Zeph ?

Est-ce pour rappeler que l’aventure sur les flots est vide de sens quand elle se consacre uniquement à des choses périssables ?

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