Lorsque la liberté est évoquée, souvent c’est l’enjeu de la mobilité qui vient occuper le devant de la scène.
Mobilité physique et corporelle, dont les Crétois de l’Antiquité ont fait un art, un acte de virtuosité, comme le montrait la fresque qui introduisait à bâbord le Grand Salon du ferry qui nous ramenait de Πάτρα – ΠΑΤΡΑ à Ancona. Voici cette fresque :
Trois personnages entourent un taureau. Le personnage de gauche s’empare des cornes. Celui du milieu est en équilibre au-dessus de ses mains posées sur le dos de l’animal. Quant à celui de droite, il se dresse sur la pointe de ses pieds et tend ses deux bras en direction de l’encolure.
D’après l’archéologue Arthur Evans, qui a découvert l’art minoen dont cette fresque s’est inspirée, il s’agirait d’un seul et même personnage, mais dans plusieurs positions différentes au cours de ce saut périlleux.
Quel dynamisme dans ce défi à la gravitation !
La liberté de se mouvoir est exaltée dans une triple prise de risques : il s’agit d’abord de ne pas s’embrocher dans les cornes, puis de ne pas chavirer au-dessus du dos de l’animal, et enfin, de retomber sur ses jambes malgré la fuite en avant de la bête.
L’impact émotionnel est considérable.
L’intensité dramatique se voit même dans les tresses de cheveux qui volent au vent.
Elle se voit aussi dans le jet de liquides biologiques, qui sort avec impétuosité des organes de reproduction de la bête.
Vécue à la manière crétoise, la liberté de mouvement a la saveur euphorisante d’une montée d’adrénaline.
L’architecte d’intérieur a choisi un éclairage dans les teintes bleutées pour créer l’impression d’être immergé dans le Grand Bleu.
Malgré cette dominante, un œil espiègle ne manquera pas de remarquer entre la fresque bleutée et les fauteuils bleus eux aussi, le reflet ocre clair du marbre qui conduit au seuil du Grand Salon.
Voici une vue de ce Grand Salon :
Sur la photo, apparaît au premier plan la figure géométrique formée par le personnage qui s’arc-boute sur les cornes du taureau. La silhouette humaine est évoquée par l’arc à gauche tandis que la courbure de droite représente celle qui est dessinée entre l’encolure et l’arrière-train de l’animal, là où l’équilibriste a sa tête en bas.
Ce schéma épuré de la confrontation, de la culbute et du rebond structure les barres argentées qui ornent le haut des fauteuils à plusieurs places. Ceux-ci sont recouverts d’un tissu dont le motif reprend celui de la fleur de lys dans l’art minoen.
Chez les Crétois de l’Antiquité, la libre mobilité était utilisée pour célébrer l’adresse et produire l’exaltation.
La liberté propulse, éclaire, enchante.
Être libre, c’est pouvoir aller où on veut, quand on veut.
Dans n’importe quel territoire. Aussi loin qu’on veut.
Aussi souvent qu’on veut.
La problématique de la liberté s’est manifestée, entre autres, à Πύλος – ΠΥΛΟΣ, quand nous avons eu le coup de foudre pour la barrière rocheuse qui fermait la baie et qui était appelée par les Anciens Σφακτηρία – ΣΦΑΚΤΗΡΙΑ.
Voici un souvenir du premier débarquement :
Vers le centre de la photo, c’est le Capitaine qui se déplace à la rame. À l’horizon, sur la droite, s’étire une ligne de côte avec des points blancs : c’est de là que nous sommes venus. Et c’est là aussi où était amarré le Zeph. Au premier plan, c’est la colline où se dresse la stèle qui commémore l’intervention de la France en faveur de l’Indépendance grecque. Cette stèle est décrite dans l’article « Le refus de l’indifférence », publié le 18/10/2020.
Par rapport à l’histoire des nations et des peuples, il est incontestable que la liberté possède à la fois la saveur salée du sang répandu et la saveur âcre de la poudre à canon.
Mais dans sa bonté, la Grèce nous a offert un autre spectacle, celui-ci :
L’azur translucide faisait de nous des privilégiés. Nous étions seuls, absolument seuls, ce jour-là, à profiter de ce coin paradisiaque.
Le scintillement de l’eau était merveilleux !
La liberté, dans ces instants, avait l’exquise saveur du bonheur.
Pour mieux apprécier ce cadre onirique, nous avions besoin de nous nourrir des saveurs qu’apportaient les céréales et le lait de chèvre. Nous cherchions donc un débarcadère pour la pause pique-nique. Voici la halte rêvée :
L’escalier blanc nous a permis de nous rapprocher de la forêt.
La liberté de manger quand on voulait et où on voulait avait l’agréable saveur des résines de conifères.
Inutile de dire que cette escapade nous a beaucoup enchantés !
Et quand on a beaucoup aimé, on veut vite revenir vers l’objet de cet amour.
Être libre de dire qu’on a aimé, beaucoup aimé, tant aimé, et qu’on aime encore, et encore,…
Pleins d’entrain, nous avons revu Σφακτηρία – ΣΦΑΚΤΗΡΙΑ. Voici un souvenir de la deuxième visite :
Nous étions comme seuls au monde.
Nous étions très heureux d’être revenus.
La photo a été prise avec un contre-jour. Mais de là où nous étions, avec le soleil dans le dos, voilà ce que nous voyions sur notre flanc gauche :
De l’azur du bas jusqu’en haut. De la pureté du bas jusqu’en haut.
À l’horizon, apparaissait un voilier. Le port de Πύλος – ΠΥΛΟΣ, d’où nous venions, se situait par là-bas, sur la droite du voilier.
La Grèce nous a laissés libres de revenir. Libres de dire qu’on a aimé, beaucoup aimé. Libres de découvrir l’enchantement d’un retour sur les lieux.
Lors de la première visite, nous avons exploré l’extrémité occidentale de la barrière rocheuse. Pour la deuxième visite, nous nous sommes promenés du côté de l’extrémité orientale.
Il nous était impossible de quitter le site sans revenir précisément sur les lieux du premier coup de foudre. La liberté de mouvement nous autorisait en quelque sorte une remontée dans le temps.
Voici ce qui s’est offert à nos yeux pendant que nous exercions notre liberté à revenir en arrière :
Un paradis fait d’azur et d’émeraude, où la liberté n’avait d’autre rivale que la pureté.
Il est normal qu’on prenne dans ses bras l’objet de son amour.
Nous avons accompli ce geste aimant quand nous sommes parvenus sur le site de la stèle de la fraternité franco-hellène. Au lieu de rester à l’intérieur de la baie, le Capitaine a franchi la passe qui menait vers le large, comme si on voulait serrer le site dans nos bras. Voici une photo de cet instant émouvant :
L’Arche de la liberté, dont il est question dans l’article « Le refus de l’indifférence », était encore fascinante, du côté extérieur à la baie.
À gauche de la photo, se trouvait l'étroit passage qui nous a permis d'aller vers l'extérieur et de contourner l'îlot de la stèle. À l'arrière-plan, c'était le littoral de la cité portuaire.
Quant à nous, nous étions si heureux d’être libres de montrer notre attachement à ce site splendide et chargé de sens.
Quelle n’a pas été notre surprise de voir que le Zeph, lui aussi, a usé de sa liberté pour dire ses sentiments ! En effet, le jour où nous devions quitter Πύλος – ΠΥΛΟΣ pour nous rendre à Μεθώνη – ΜΕΘΩΝΗ, le Zeph a foncé tout droit sur la stèle franco-hellène, au lieu de tourner à gauche en sortant du port.
Voici une photo qui montre que le Zeph tenait à sa liberté d’aimer :
Un œil perspicace remarquera que sur la photo, à droite du génois effiloché, un minuscule trait blanc indiquait l’emplacement de la stèle française au sommet de l’îlot.
Être libre, c’est pouvoir aller dans toutes les directions, y compris dans le sens inverse. C'est aussi pouvoir revenir.
La question du retour est essentielle pour la plénitude de la liberté.
Comment appelle-t-on quelqu'un qui s'en va de chez lui, mais qui ne peut plus y revenir ? C'est un exilé.
L'exilé n'est plus libre de rentrer chez lui.
L'exil est la privation du retour. Très souvent, c'est un châtiment.
Le retour est possible quand il y a une disponibilité, non pas de l'espace, mais du temps. Ce n'est pas que l'espace favorable s'ouvre à nouveau, mais c'est le registre des heures qui consent à délivrer d'autres occasions propices.
La véritable liberté s’exerce dans le champ temporel plutôt que dans le cadre spatial.
Revenir en arrière et recommencer pour pouvoir choisir jusqu’à la couleur, la teinte, le coloris, l’éclairage, comme si l’on pouvait décider de la pluie et du beau temps, tout en sachant qu’en fait, il n’en était rien.
Cette liberté du choix est tout simplement l’effet de l’abondance, de la profusion.
Abondance et profusion qui nous sont octroyées pour rendre significatif le choix, et plus somptueuse la liberté.
Mais cette liberté qui nous était ainsi offerte était un corollaire de la générosité de la Grèce, et non un préalable.
Corollaire dans un intime lien de cause à effet, si intime et si viscéral que la tentation du raccourci en ferait une identification. C’est sans doute pour cela que le poète allemand Novalis a déclaré :
« La liberté et l'amour ne font qu'un »
Autrement dit, l’amour que la Grèce nous a donné était si grand que notre liberté semblait sans limite, avec l’exquise saveur d’un bonheur, lui aussi, sans fin.
Ne nous méprenons pas : le recul des limites était le seul fait des divinités. S’il a eu lieu, c’est qu’il a été jugé conforme à leur volonté.
Nous avions la chance que l’air du temps soit extrêmement sain, au sens propre comme au sens figuré. Au sens propre, grâce à la raréfaction des agents pathogènes en suspension. Au sens figuré, grâce à une attitude éclairée et judicieuse de l’administration locale.
Cher ami lecteur, un verre t’attend sur la table :
Tu viens ?
Ça te dit, un Margaux sorti en 2008 des cuves du Château Desmirail ?
Mais auparavant, rendons hommage à la Grèce qui nous a offert le somptueux cadeau de la liberté pendant la saison écoulée.
Pour commencer, goûtons ce gâteau au poulpe, accompagné de pommes rôties.
C’est un clin d’œil au pêcheur grec de Ναύπλιο – ΝΑΥΠΛΙΟ, qui a montré, non sans fierté, à votre serviteur, les magnifiques octopodes capturés près de la fontaine publique. Un portrait du Grec se trouve dans l’article « La route de l’eau », paru le 10/11/2020.
C’est encore un clin d’œil très admiratif au Mayapi, expert en saveurs et cuissons, surtout avec les produits du cosmos égéen.
Puis, quand commencera le feu d’artifice, on pourra déguster la pintade farcie avec des pommes, des figues et des marrons.
La saveur vient des entrailles.
Puis, juste avant que le bouquet final n’illumine la voûte céleste, offrons-nous quelques douceurs gorgées de rhum :
La tonicité de l’ananas devrait servir de contrepoint.
Puis, quand la dernière lueur du bouquet final aura disparu, prolongeons la magie des sens par un café bien byzantin :
C’est un hommage à la muse du sanctuaire Υπαπαντή – YΠΑΠΑΝΤH, sur l’île Σπέτσες – ΣΠΕΤΣΕΣ. Nous la remercions vivement de nous avoir laissé circuler librement dans l’espace sacré, sans jamais nous importuner. Votre serviteur a fait un portrait de cette âme généreuse dans l’article « La saveur du désintéressement », paru le 20/12/2020.
Être libre, c’est pouvoir dire à quel point on a aimé, à quel point on aime encore. C’est ne pas être entravé pour continuer d’aimer ce qu’on a commencé à aimer.
La liberté, c’est pouvoir faire des bisous quand on veut, comme on veut, autant de fois qu’on veut, aussi souvent qu’on veut, sans aucune restriction ni sur la quantité, ni sur la fréquence.
Au seuil de l’an neuf, le Zeph fait le vœu que 2021 soit l’année de l’ouverture : ouverture des frontières pour encourager la liberté de se mouvoir, la liberté d'aller et de revenir, et surtout ouverture des cœurs pour promouvoir la liberté d'aimer, de vivre intensément l'amour !
Que l’année nouvelle ait la douce saveur d’une liberté pleinement retrouvée, parée de sagesse !
Heureuse année 2021 à tous les amis du Zeph !
Felice anno 2021 a tutti gli amici dello Zefiro !
Ευτυχοισμένος χρόνoς 2021 για όλους τους φίλους του Ζέφυρου !