Le rebond peut être spatial, temporel, chromatique ou psychique.
C'est une opportunité pour stimuler l'instinct de survie.
Après le logement d'urgence dont la fonction était une sorte de prolongation de l'espace hospitalier, il y a eu une succession de courts séjours, où l'intérêt touristique était de plus en plus pris en compte, au fur et à mesure que les bulletins médicaux attestaient la bonne évolution du bras réparé.
Le premier rebond nous a menés au 28, Οδός Μανδροκλέους (en français : Rue Mandrokleous). Le logement était situé au dernier étage. Nous disposions d'un panorama à trois-cent-soixante degrés.
Du côté de la cuisine, il y avait la vue sur l'Acropole.
Du côté de la terrasse devant le salon, le regard pouvait aller jusqu'au Pirée. C'était dans cette direction que le premier rebond nous a réservé une très belle surprise. Il s'agissait d'une fête pour tous les sens.
L’œil se régalait avec l'agencement ordonné des choses :
L'empilement n'était pas quelconque : il suggérait la possibilité de créer et de plaire. L'inventivité et la séduction caractérisent le savoir-faire de tout cordon bleu.
Sur la pancarte, on pouvait lire :
5 KIΛΑ = 4
ΔΕΝ
ΜΑΥPΙΖΟΥΝ
ΣTΟ ΤΗΓΑΝΙ
0,80 TO KIΛO
En français :
5 KILOS = 4 [€]
NE
NOIRCISSENT PAS
DANS LA POÊLE
0,80 [€] LE KILO
Les frites sont un plat du peuple, au sens de l'accessibilité par rapport au porte-monnaie. Nous les avons agrémentées avec la feta, qui était aussi accessible à toutes les bourses.
La menthe fraîche, acquise sur le même lieu d'échange, apportait la note aromatique.
La vue, l'odorat et le goût étaient inséparables, dès la première expérience sensorielle.
Ces frites avaient la particularité d'être croustillantes au dehors et moelleuses au dedans.
Une double texture qui pouvait très bien être une allégorie du caractère grec.
Il était inconcevable que le toucher ne soit pas sollicité. D'ailleurs, il s'est donné à cœur joie pour faire venir à soi les grains de raisin les plus dorés et la grappe la plus juteuse.
La caresse était furtive pour ne pas froisser le vendeur, mais elle était absolument nécessaire pour confirmer la bonne impression faite à l’œil.
À peine un euro pour chaque kilogramme de ce raisin !
Encore un prix qui convenait tout à fait aux moyens modestes du peuple. Et nous aimions adopter le mode de vie du peuple, non par avarice, mais par solidarité.
Dans le système grec, même le petit peuple avait accès à la qualité.
Quant à nous, nous avons associé le raisin grec et un concept français : la chantilly.
Le mariage des saveurs était parfait.
Le mousse aussi a eu l'heureuse occasion d'approcher par le toucher les produits du terroir grec. Voici l'étal de l'abondance, qui était encore celui de la liberté :
En effet, on prenait ce qu'on voulait : aubergines, poivrons, piments, tomates,... : c'était toujours cinquante centimes le kilo !
Et chacun pouvait choisir en toute tranquillité, sous le regard amusé du vendeur.
Le plaisir tactile, procuré par la halte à cet étal, s'est prolongé par celui des papilles :
Ces légumes, si mignons par leur petite taille, avaient une saveur exquise, une fois rissolés dans l'huile d'olive.
Il y avait un légume que le Grec affectionnait particulièrement : c'était le chou.
Ce jour-là, nous avons jeté notre dévolu sur une variété gorgée de chorophylle : le brocoli.
Nous aimions le brocoli al dente, servi avec des tomates chaudes mais non défaites :
Nous nous sommes réjouis de ne plus dépendre d'un traiteur, comme au Crystal City Hotel. Notre rebond vers une autonomie renouvelée produisait une sorte d'ivresse qui incitait à voir la vie du bon côté.
Redevenus terriens plus tôt que prévu, nous avions la nostalgie des jours heureux passés dans le giron du Zeph. Nous prenions appui sur ces bons souvenirs pour rebondir vers d'autres manières de découvrir le monde égéen.
La vaisselle prêtée par notre hôte possédait un décor qui stimulait ce rebond. En effet, le bord de l'assiette montrait un hublot circulaire qui dévoilait le fond marin. On mangeait en voyageant à travers la lucarne bleutée :
C'était exaltant que l'ouverture de l'esprit grâce au hublot circulaire accompagne celle de l'appétit devant des moules bien charnues et bien parfumées.
Le rebond exprime le désir de renouer avec l'aventure. À ce moment-là, l'aventure qui se trouvait à portée de main était celle qui était proposée par l'équipement matériel du nouvel espace cuisine. Et vers quoi menait ce chemin nouveau ? Vers une réalisation que le mousse n'avait jamais osé tenter auparavant. Voici cette réalisation :
Il s'agissait d'un gâteau confectionné avec de la pâte feuilletée et fourré à la crème pâtissière. Cuisson au four, à 190°, pendant quarante minutes.
Le nom officiel de la pâtisserie était μπουγάτσα με κρέμα.
Nous l'avons servie, accompagnée d'une glace à la vanille, sous forme de rosace.
Rebond de l'audace, certes. Mais rebond réussi, gratifiant et récompensé. Et son succès faisait beaucoup de bien à l'organisme.
Quand le corps est comblé par tant de douceurs, il oublie qu'il est en souffrance.
Le rebond tirait profit de la spécificité et des potentialités du tremplin.
Le deuxième rebond nous a conduits au 33, Οδός Αγκύλης (en français : Rue Agkylis)
Le premier rebond nous a menés vers l'extension et l'élargissement. Le deuxième rebond nous a orientés vers l'élégance et le raffinement. Dans la nouvelle demeure, le marbre était omniprésent. L'espace cuisine, sur lequel reposait tout projet de convivialité, avait l'ambiance d'un palais impérial entièrement revêtu de marbre. Notre hôte savait que la personne qui y cuisinerait mériterait la plus grande considération et que le travail qui s'y déroulerait aurait besoin d'être mis en valeur. Voici l'espace cuisine, vu à partir du salon :
À droite de la photo, sur le mur, apparaissait une ammonite, au corps nacré.
Encore une surface lisse, qui diffusait la lumière de la douceur et du bien-être.
La demeure abondait en allusions à l'univers marin.
Après le déploiement de l'élégance, nous avons connu un dépaysement total avec le troisième rebond, qui nous a menés au 37, Oδός Γεφυρέων (en français : Rue Yéphiréôn).
Notre hôte avait une prédilection pour les teintes qui absorbaient la lumière au lieu de les renvoyer. C'était l'autre visage d'Apollon qu'il nous était donné de contempler, non pas la face éblouissante, mais la face intrigante.
La couleur noire n'était pas nécessairement terne. Dans l'univers de l'Apollon chthonien, que le troisième rebond nous faisait découvrir, la teinte sombre avait tout à fait son charme, grâce au glaçage apporté par le céramiste.
Contemplez ce contraste entre la salade de crudités et l'assiette qui la contenait :
La chair translucide du concombre et de l'oignon était magnifiée par le revêtement sombre qui se métamorphosait en miroir.
Pour la vaisselle d'ici, nous avions le choix entre la teinte noire ou le bleu foncé.
Quel œil pourrait rester indifférent devant cet autre contraste, qui opposait l'enveloppe dorée du poisson au bleu lustré de l'assiette :
Et comme nous le savons tous, l'excitation du regard met en appétit.
Au bout du compte, le spectacle de la profondeur chromatique était une belle surprise que nous a réservée le troisième rebond.
Le hasard a fait que le quatrième rebond jouait aussi avec la variation des coloris. Le lieu de la nouvelle expérience se retrouvait au 10, Oδός Πάδοβα (en français : Rue Padova)
À cette adresse, il y avait une coquetterie qui disait la joie de vivre et le plaisir de faire plaisir.
Précédemment, nous avons dit que le Grec aimait beaucoup le chou.
Cette fois-ci, le mousse a choisi du chou rouge pour la salade de crudités. Voici l'instrument qui l'a aidé à en tailler des lamelles :
La couleur du légume a-t-elle déteint sur la lame ? Oh que non ! C'était l'imagination fertile de l'hôte qui a coloré l'outil de cuisine.
Est-à-dire qu'il y aurait un couteau d'une couleur appropriée pour des légumes verts ? Jugez-en par vous-mêmes :
Humour coloré, nullement blessant, qui devrait inspirer maints esprits gaulois.
L'art de vivre du Grec ne connaît pas la monotonie.
Le saut chromatique impulsait la gratitude devant la beauté de la vie, même dans les gestes du quotidien.
Mais la plus belle chose que le quatrième rebond nous a offerte appartenait au second degré. En effet, à ce moment-là, nous logions à deux pas d'un site historique prestigieux. Le voici :
Là où nous nous tenions, des élus du peuple avaient délibéré pour la première fois dans l'histoire de l'humanité. C'était là que la toute première démocratie était à l’œuvre.
Le site était la colline que les Anciens appelaient Πνύξ – ΠΝΥΞ (en français : Pnyx)
Derrière nous, se dressait l'Acropole, avec le Parthénon sur la droite.
Elle apparaissait telle qu'elle était apparue à l'Assemblée du peuple, pendant que celle-ci suivait les discours enflammés des orateurs.
Au marché, dans la scène de l'achat du raisin, le Capitaine avait encore sa béquille. À présent, sur la colline de la Pnyx, la troisième jambe n'était plus nécessaire. Le rebond psychique était considérable !
La balade au sommet de la Pnyx couronnait toutes les expériences permises par les quatre rebonds.
Le premier rebond a donné le ton à tous les suivants.
Nous rebondissions avec enthousiasme, grâce à un cadre de vie renouvelé.
Spatialement, c'était un rebond vers la lumière.
Qualitativement, c'était un rebond vers la vie colorée, savoureuse et enivrante.
Le plaisir du rebond se voyait dans le dressage de l'assiette.
Le plaisir de la dégustation était le tremplin idéal pour rebondir vers d'autres satisfactions.