Nous parlons du lumignon qui s’illumine à Lyon chaque 8 décembre pour commémorer l’intervention mariale qui a sauvé la capitale des Gaules de la peste.
Voici l’ambiance des lumignons, recréée sur les quais de Saône :
La photo montre la rive Est du fleuve, juste en aval du pont La Feuillée, face au quartier historique Saint-Paul. Vers le centre de l’image, se dresse l’église Saint-Nizier, fière de l’élégance de son double clocher gothique.
La poésie du panorama est incontestable. L’apparence ténue des lueurs restitue l’univers des lumignons. La verticalité des reflets dans le fleuve donne à la vision un caractère apaisé, propice au recueillement. Cet apaisement est porteur d’espoir. Espoir qui se voit encore dans le léger halo rouge qui s’étend à l’horizon.
Le spectacle offert sur les quais de Saône est fidèle, mais non authentique.
La fidélité concerne l’impression d’ensemble produite par l’éclairage qui, techniquement, utilise le filament électrique et non plus la mèche de combustion.
Ainsi, il existe une tension entre la modernité et la tradition quant à la nature de la source de lumière.
C’est pourquoi la phrase qui a introduit la photo ci-dessus a parlé de re-création. Il y a re-création et non création avec les moyens à l’origine, car la flamme naturelle du lumignon a été remplacée par l’électricité de l’industrie.
Voilà pour l’une des deux notions que comporte le titre de l’article.
Nous nous sommes d’abord intéressés à la constitution du protagoniste qui était le lumignon.
Le second centre d’intérêt est la manière dont a évolué ce protagoniste pendant notre promenade culturelle autour de la Presqu’île entre le Rhône et la Saône.
En la circonstance, la ronde des lumignons s’est déroulée dans le sens des aiguilles d’une montre, du Nord au Sud d’abord, du Rhône à la Saône dans un deuxième temps.
Voici le point de départ de la ronde des lumignons :
Nous sommes au bord du Rhône, sur la rive Est. Nous nous préparons à traverser le pont Morand pour rejoindre la rive Ouest et le quartier emblématique des Terreaux.
Le flanc septentrional du pont est inondé par une lumière bleutée. Point de lumignon, mais des faisceaux, qui ouvrent grand leurs cônes de lumière.
Manifestement, le choix est en faveur de la modernité. Le résultat n’est pas déplaisant. Mais a-t-il quelque originalité ?
Traversons le pont.
De l’autre côté, le regard est tout de suite attiré par la lumière rouge qui se répand en abondance sous les arcades de l’Opéra :
L’éloge du classicisme se fait avec l’une des couleurs fétiches de l’Antiquité.
Le corps oblong des lampadaires participe à la médiation entre l’art antique et l’esthétique contemporaine.
Le corps de l’Opéra semble enveloppé par la douce chaleur d’un gigantesque lumignon.
Devant l’Opéra, prenons la direction du Sud en empruntant la rue de la République.
C’est l’une des deux grandes artères de la Presqu’île.
Elle est égayée par d’innombrables lucioles qui se meuvent dans leur charmant habitat sphérique.
La trouvaille est géniale, parce qu’elle met en évidence la beauté de ce qui est simple et rustique. En cela, elle est très proche du lumignon.
Continuons de descendre la Rue de la République.
Nous arrivons à une fontaine, transformée en tribune :
L’orateur est un pilier fait de filaments torsadés, dont l’incandescence épouse les temps graves du discours. Quel est le sujet de ce discours ? Le dérèglement climatique, qui finit par s’exprimer sous forme de violentes bourrasques, de tempêtes démentielles,…
Voilà comment la science du XXIè siècle explique les phénomènes que les Anciens attribuaient à l’humeur exécrable de Poséidon ou d’Éole. Mais cette science si imbue d’elle-même explique-t-elle pourquoi certains en sortent indemnes tandis que d’autres y laissent leurs vies ?
La forme torsadée de la colonne lumineuse fait penser à l’architecture de la Cathédrale de Monreale en Sicile, à l’époque des Rois Normands. Mais elle évoque également les volutes d’une flamme. Et le texte du discours précise que cette flamme est destructrice !
Ici, l’univers chaleureux et réconfortant du lumignon fait place à une perspective violente et anxiogène.
Songeurs, nous regardons la simulation des éclairs et du tonnerre.
Perméables, nous prenons acte de l’avertissement.
Nous ne nous attendions pas à ce que la ronde des lumignons entre en collision avec la navigation du Zeph. En définitive, le spectacle de la colonne torsadée a produit sur nous l’effet d’une catharsis, comme si nous venions d’assister à une représentation du théâtre grec.
Après la catharsis, nous prenons le virage en direction de l’Ouest.
Le virage nous fait déboucher sur la Place Bellecour, où la Grande Roue est érigée.
Les lucioles abondent aux abords. Elles sont comme de minuscules lumignons, affranchis des lois de la gravité.
Quant à la Grande Roue, elle exhibe volontiers la couleur qui s’accorde le plus avec l’étiquette politique de l’équipe municipale en place.
Cette harmonisation des couleurs est une nouveauté de l’édition 2022 de la Fête des lumières.
Une autre nouveauté se trouve au milieu de l’arc du virage d’Est en Ouest. Elle célèbre l’attribut qui fait la notoriété et la fierté de la ville. Voici cette célébration, écrite en lettres géantes :
Le texte est une mosaïque dont les tesselles sont des lampes à abat-jour.
L’abat-jour a le mérite de garder une certaine rusticité qui rappelle celle du lumignon.
Quant à l’intégralité du message délivré, elle a choisi des sonorités britanniques et non celles qu’utilise Guignol. Le choix de la langue anglaise traduit certainement l’ambition de conquérir la scène internationale. Mais d’aucuns ne manqueront pas de voir dans cette éviction de la langue de Guignol un affront fait à la couleur locale du lumignon.
Après la déclaration d’amour faite à la lumière, nous commençons à nous rapprocher de la Saône. La Grande Roue n’est plus vue de face, mais de profil.
Au premier plan, des néons verticaux répandent de la lumière rouge ou violette.
La linéarité contraste avec les surfaces planes des tables et des bancs qui fonctionnent comme des miroirs horizontaux.
Y a-t-il un lien entre cette présentation moderne et l’univers du lumignon de la tradition ?
Les esprits conciliants pourraient voir dans les néons verticaux des lumignons étirés et figés. Justement, cet état figé jure avec le corps dansant de la flamme du lumignon. La tradition vante la souplesse. La modernité impose la rigidité !
La statue de Louis XIV, qui est le sceau d’identification de la Place Bellecour, apparaît en ombre chinoise. Tout autour, c’est de la lumière, de la lumière en abondance.
D’ordinaire, c’est Louis XIV qui est mis en évidence, par un éclairage raffiné et élogieux. Faut-il voir dans la mise en scène de cette année une rétrogradation de la figure royale ?
Le changement nous interpelle. Il ne suscite pas en nous la contrariété, mais la réflexion.
Nous gardons la bonne humeur, car nous sommes confiants que l’âme du lumignon ne disparaît pas de sitôt.
Dans ce portrait, nous sommes encore sur la Place Bellecour. Nous tournons le dos à la Grande Roue et nous regardons en direction de la Saône.
Autrement dit, le virage d’Est en Ouest approche de sa conclusion.
Nous voici devant la Saône, rive Est, au niveau du pont Bonaparte.
Les lucioles de la rusticité continuent d’égayer l’atmosphère et de charmer la vue.
À droite de la photo, la façade d’un bâtiment est inondée de lumière verte. C’est l’abside de la Cathédrale Saint-Jean, qui reçoit la projection du film « Le voyageur céleste ». Les images animées racontent l’émerveillement d’un visiteur venu du ciel, qui découvre les richesses culturelles de la capitale des Gaules.
Vers le milieu de l’image, se dresse la silhouette bleutée de la Basilique de Fourvière. C’est l’édifice le plus en hauteur dans ce panorama. C’est vers ce lieu hérité de Rome que convergent les élans de dévotion.
Notre cœur trépigne de joie car nous nous approchons d’un trésor, qui est la façade illuminée de la Cathédrale Saint-Jean. Voici cette façade au début du spectacle :
Nous nous retrouvons dans la chair de la flamme du lumignon. Les circonvolutions de l’ocre illustrent les langues de feu qui dansent sous l’effet du vent. Les traînées blanches, qui représentent la fumée, indiquent que la combustion n’est pas toujours facile. Ce fait est encore confirmé par la présence de scories, qui sont évoquées par des masses noires.
Tout en demeurant réaliste, le spectacle possède une très grande poésie.
Sur la photo, au premier plan, se trouve une sculpture représentant le baptême du Nazaréen. À cause du contre-jour, les personnages apparaissent en noir, ainsi que le dais qui les coiffe. Le Nazaréen est légèrement en contrebas par rapport à son cousin qui lève le bras droit pour répandre de l’eau.
Le titre de la projection est « Time », c’est-à-dire « [Le] Temps », dans la langue de Guignol.
Le temps est indissociable de son effet destructeur.
D’où ce premier séisme sur la façade de la Cathédrale.
Les dégâts surviennent à l’endroit le plus emblématique, qui est la rosace. Les forces malveillantes provoquent une torsion dans le sens horizontal, à cette hauteur.
Puis l’équilibre revient grâce à la confiance et la persévérance.
La rosace se reforme, avec des reflets dorés. Elle apparaît sur un fond tissé d’étoiles argentées. L’ocre jaune habille à nouveau la flamme apaisée du lumignon, qui fait luire des étincelles de joie et de bonheur.
Il est courant qu’un séisme a des répliques. Ceci est valable au sens propre comme au sens figuré. Alors l’artiste a montré le saccage de l’harmonie par un second séisme. Voici l’illustration de la seconde catastrophe :
Cette fois-ci, la plaie s’ouvre dans le sens de la hauteur. La rosace est endommagée par le bas. Beaucoup de masses noires et de fumées blanches s’emparent de la flamme du lumignon.
Mais l’espoir finit par renaître, plus radieux qu’avant :
La flamme du lumignon retrouve sa stabilité. À nouveau, rayonne l’harmonie. Commence un nouvel âge d’or.
Nous sommes très heureux que la ronde des lumignons finisse ainsi, c’est-à-dire de manière édifiante.
Elle peut être simplement un voyage visuel. Elle peut encore stimuler l’esprit critique et nourrir la réflexion en posant la question suivante : « Est-il possible que l’art se renouvelle ? »