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L’adoption commence par l’accomplissement d’un pas en avant, au sens propre comme au sens figuré.

Au soixante-et-onzième jour de patience à la clinique de Χαλκούτσι – ΧΑΛΚΟΥΤΣΙ (transcription : Khalkoutsi), un félin à la démarche gracieuse a fait plusieurs pas en avant, dans la direction du mousse, pour caresser celui-ci au niveau des chevilles.

 

La réparation par l’adoption

 

La chanson française a cette mise au clair :

« Ce n’est pas l’homme qui a pris la mer. Mais c’est la mer qui a pris l’homme ».

Notre cas correspond à la paraphrase suivante :

« Ce n’est pas l’homme qui a adopté le félin. Mais c’est le félin qui a adopté l’homme ».

L’adoption par le félin avait lieu de manière tactile, épiderme contre épiderme.

Le corps du félin cherchait à envelopper le corps humain. Mais en raison de la disproportion des tailles, l’étreinte féline se transformait en un enroulement sinusoïdal autour des chevilles du mousse. La sinusoïde variait son amplitude et sa direction pour offrir une chorégraphie de la séduction.

Le mousse était surpris puis charmé. À court terme, il s’est laissé attendrir par la douceur et l’élégance du frôlement. À long terme, il était ému par le caractère absolument désintéressé de ces caresses insistantes.

Qu’est qui a poussé le félin à venir témoigner son affection ? Pourquoi a-t-il choisi le mousse et non le Capitaine ? Jusqu’au jour d’aujourd’hui, ces questions demeurent sans réponse.

Le mystère est lié au comportement absolument désintéressé du félin.

En effet, la silhouette féline est apparue au moment où les travaux concernant les varangues exigeaient un transfert de l’espace de vie à partir du giron du Zeph vers la tente sous le catamaran.

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La photo montre un seau et un grand sac qui servaient à transporter les affaires dont nous aurions besoin tous les jours. De tels seaux et de tels sacs faisaient leurs allers-et-retours aériens grâce à un treuil de fortune que le Capitaine venait de mettre en place pour éviter le chemin périlleux le long de l’échelle.

Sur la droite de la photo, la silhouette féline regardait notre déménagement.

L’énorme quantité d’objets à déménager et l’urgence des opérations d’évacuation ne permettaient pas au mousse de répondre aux câlins du félin. Et pourtant la silhouette féline a persévéré dans ses enroulements. De temps à autre, elle pressait même son corps incurvé contre les chevilles raides du mousse pour donner plus d’intensité à l’étreinte et plus d’ardeur au coup de foudre.

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À cause de la masse de travail liée à la réorganisation du campement et à cause de la fatigue, surtout nerveuse, qui en résultait, le félin ne recevait rien en retour durant le premier jour de son apparition, ni le lendemain. Il donnait sans recevoir. Et il a continué à donner sans rien recevoir. Cette persévérance dans la bonté montrait que l’être animé qui avait jeté son dévolu sur le mousse ne se réduisait pas à un tube digestif. Au contraire, c’était une forme très évoluée de l’intelligence, parfaitement consciente de l’importance de la sociabilité et extrêmement généreuse dans la pratique du désintéressement.

La fin de l’aménagement du nouvel habitat nous a laissé un peu plus de temps pour faire connaissance avec la silhouette câline.

Nous avons découvert qu’elle pouvait allaiter :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nous lui avons alors trouvé un surnom au féminin : Κανέλα.

En français : Cannelle.

C’était en souvenir de l’épice qui inondait de ses effluves l’une des places les plus populaires d’Athènes, la Πλατεία Ομονοίας ( littéralement : Place de la Concorde).

Donc, Κανέλα, avec ses câlins incessants, nous a adoptés. En nous adoptant, elle a aussi adopté notre régime alimentaire.

Tous nos lecteurs savent que nous aimons beaucoup nous nourrir avec les fruits et les légumes du terroir.

Κανέλα, avec une souplesse mentale et une bonne volonté gastrique incroyables, mangeait tout ce que nous mangions. La voici qui dégustait du poivron rouge :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Comme nous, Κανέλα se régalait avec des végétaux, oubliant presque son instinct carnivore.

L’affection que Κανέλα éprouvait pour nous réadaptait sa physiologie et métamorphosait son métabolisme. C’est fabuleux, non ?

Vous l’auriez compris : sous le catamaran Tanoa Piti, il n’y a pas eu de menu spécifique pour félin, ni de préparation culinaire spécialement conçue pour Κανέλα.

La raison était toute simple, elle était d’ordre éthique.

En effet, l’adoption par Κανέλα (et non de Κανέλα) a institué une table des commensaux, que nous avons voulue parfaitement égalitaire. Donc il n’y a pas eu de nourriture préparée spécifiquement pour tel commensal et une autre nourriture préparée spécifiquement pour tel autre commensal.

En nous adoptant, Κανέλα a adopté notre philosophie de l’égalité à table.

La communion d’esprit réalisée entre Κανέλα et l’équipage du Zeph en matière d’alimentation montrait que Κανέλα n’était pas un tube digestif qui obéissait à un instinct tyrannique, mais une intelligence émancipée et généreuse dans ses élans coopératifs.

À la table des commensaux, il était permis de se faire des mamours. Hédoniste et civilisée, Κανέλα savait apprécier le bien-être apportée par la compagnie de l’altérité. Voici l’instant des caresses, qui ravissait tout le monde :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les doigts recourbés qui glissaient le long du dos de Κανέλα appartenaient au Capitaine du Zeph. Mais ne nous leurrons pas quant à la source motrice de l’adoption.

Le Capitaine pouvait caresser le pelage de Κανέλα parce que celle-ci le voulait bien.

En vérité, c’était le bon vouloir de Dame Féline qui a adopté le frôlement effectué par la main humaine.

Ainsi, l’adoption faisait que nous étions avec Κανέλα matin et soir, tous les jours, sauf les jours de festival.

Pour célébrer l’été, les cités portuaires de l’Attique proposaient des concerts en plein air. L’entrée était gratuite. Nous aimions nous y rendre pour rencontrer la culture et la liesse populaire.

À l’heure où nous nous y rendions, le soleil était bas sur l’horizon.

Κανέλα nous voyait partir. Bien sûr, elle n’avait aucune idée de l’heure à laquelle nous reviendrions.

À notre retour au chantier, voici le catamaran sous lequel nous allions dormir :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au premier plan, c’était le museau du Zeph, avec la chaîne d’ancre.

À ce moment-là, nous n’étions pas seuls. Car Κανέλα nous accompagnait. Elle était venue jusqu’au portail et nous accompagnait depuis le portail jusqu’à la tente sous le catamaran.

Tout s’est passé comme si elle avait été avec nous pendant tout le concert !

Nous aimons beaucoup Κανέλα parce qu’elle a la conscience du temps. Elle a la conscience du temps qui s’en va mais aussi du temps qui revient. Elle sait cultiver le souvenir des êtres qui l’aiment et attend leur retour.

Nous aimons Κανέλα comme Ulysse a aimé son chien Argo, qui l’a attendu pendant vingt ans.

L’évocation du repos nocturne amène tout naturellement la question suivante : où et comment Κανέλα dormait-elle la nuit ?

Voici la réponse :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Κανέλα recherchait notre présence même la nuit.

La photo montre le poste de travail que le mousse a installé sous les mâts couchés du catamaran.

Pour être tout près du mousse, Κανέλα a elle-même transformé en nid une caissette destinée à contenir des légumes du marché forain. Les papiers d’emballage et les catalogues de promotion lui servaient de literie.

Il est important de signaler que nous n’avions aménagé aucun lieu spécifique pour que Κανέλα y dorme la nuit. Comme pour la nourriture, nous n’avons pas ajouté à notre fonctionnement habituel des aménagements spécifiques en faveur de Κανέλα de peur de corrompre sa spontanéité et sa pureté. L’entière liberté accordée à Κανέλα nous permettait de nous rendre compte à quel point elle nous aimait. En laissant Κανέλα totalement responsable d’elle-même, nous honorons son intelligence qui se révélait extrêmement féconde.

Sur la photo, l’ordinateur du mousse était ouvert à une page d’internet, où apparaissait la silhouette de la Callas.

Voici cette page dans son intégralité :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La silhouette de Callas servait à promouvoir les représentations de l’opéra Norma de Bellini à l’Odéon d’Hérode Atticus à Athènes.

L’annonce était faite en ces termes :

‘‘Νόρμα’’ του Vincenzo Bellini σε σκηνοθεσία Tom Wolf στο Ηρώδειο

 

En français :

‘‘Νorma’’ de Vincenzo Bellini dans une mise en scène de Tom Wolf à l’Odéon d’Hérode

 

Callas était insurpassable dans l’air de la « Casta Diva » dans cet opéra.

Sur le volet de gauche, on pouvait lire :

‘‘Mποέμ’’ του Τζάκομο Πουτσίνι

 

En français :

‘‘La Bohème’’ de Giacomo Puccini

 

La Bohème : voilà qui tombe à point nommé !

Actuellement, nous menons une vie de Bohème. Κανέλα, qui nous a adoptés, a aussi adopté notre vie de Bohème, qui fait une grande place à la liberté et à l’inventivité.

Ainsi, Κανέλα s’est construit un nid en hauteur pour se rapprocher des pensées du mousse, qui se nourrissaient de l’art lyrique.

Il est intéressant de mettre en perspective ces nids improvisés par Κανέλα pour rester à nos côtés et son territoire initial, qu’elle avait occupé avant les enroulements du 8 juillet 2023.

Voici ce territoire initial :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il se situait dans le quartier Nord tandis que le Zeph et le catamaran Tanoa Piti étaient garés dans le quartier Sud de la clinique.

Sur la photo, derrière le tonneau bleu foncé, c’était le bureau du directeur de la clinique.

En derrière le tonneau bleu clair, c’était le hall d’attente pour les visiteurs qui avaient une requête à formuler auprès du directeur.

Un chemin séparait le quartier Nord du quartier Sud : c’était le chemin de la mise à l’eau.

Sur la photo, Κανέλα se tenait à la lisière du quartier Nord, juste devant le chemin de la mise à l’eau.

En abandonnant le quartier Nord pour venir vivre, manger, jouer et dormir en notre compagnie, dans le quartier Sud, Κανέλα a préféré l’art plutôt que le pouvoir, l’affection plutôt que l’autorité.

Comme le mousse, Κανέλα s’endormait en pensant au chant de la Callas et aux mélodies de Puccini.

Et au lever du jour, Κανέλα venait nous saluer de derrière la moustiquaire :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Presque toujours, Κανέλα se réveillait avant le mousse. C’était donc Κανέλα qui prenait l’initiative de démarrer la nouvelle journée en se présentant devant notre tente.

L’entrée de la tente était marquée par une double barrière physique. La première barrière, en venant de l’extérieur, était la toile beige, qui était censée nous protéger de la pluie. La deuxième barrière était un textile perforé d’une myriade de petits trous, qui laissaient passer l’air mais pas les moustiques. Cette moustiquaire était fixée à l’armature métallique par des pinces à linge.

Il était très facile pour Κανέλα de profiter des failles de cette installation pour s’infiltrer dans l’enceinte de la tente. La tentation était très forte, mais le respect l’était tout autant. Alors, dignement Κανέλα attendait que nous soulevions la moustiquaire pour venir à sa rencontre.

Le désir de partager l’intimité tient compte d’une déontologie.

Le savoir-vivre de Κανέλα fait d’elle une grande dame aux belles manières.

Κανέλα n’entrait dans la tente que lorsque la moustiquaire était franchement levée. Cette occasion se présentait lorsque le risque d’invasion par les moustiques était insignifiant. Κανέλα guettait l’ouverture symbolique des portes pour venir s’installer sous la table de l’espace intérieur. Mais pas n’importe comment. Regardez donc !

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Derrière Κανέλα, se dressait un tube métallique qui faisait partie de l’armature de la table. À côté de l’oreille droite, se profilait une pince à linge, qui indiquait la position de la moustiquaire. Derrière encore, c’était la toile beige, qui devenait ici translucide à cause du contre-jour. Le vent soulevait le bord inférieur de cette toile et laissait apparaître l’herbe qui poussait à l’extérieur de la tente. C’était par cet espace béant que l’air frais pénétrait dans la tente. Cet air frais, si délicieux, arrivait au niveau du cou de Κανέλα et endormait celle-ci.

L’intelligence de Κανέλα lui trouvait toujours des endroits stratégiques où le bien-être du soma s’alliait avec le plaisir apporté par notre compagnie.

Quand il commençait à faire trop chaud sous la tente, Κανέλα s’en allait se réfugier sous la coque à tribord du catamaran. La voici en train de savourer la fraîcheur du nouveau refuge :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Κανέλα dormait profondément. C’était l’image de la paix dans le rapport à soi-même, à son propre organisme.

Κανέλα dormait avec la conviction qu’aucune malveillance ne pouvait lui tomber dessus pendant son sommeil. C’était l’image de la confiance dans le rapport à l’environnement.

Point de qui-vive. Aucun sursaut.

Mais un sommeil absolument savoureux, le sommeil du bonheur.

Il y a un enseignement dans cette scène de l’insouciance souveraine.

Le profond sommeil de Κανέλα rappelle avec justesse cette sentence vieille de deux mille ans :

 

ἀρκετὸν τῇ ἡμέρᾳ ἡ κακία αὐτῆς

ΤΟ ΚΑΤΑ ΜΑΤΘΑIΟΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. ς’. Στίχος λδ’

 

À chaque jour suffit sa peine

Bonne Nouvelle selon Matthieu. Chapitre 6. Verset 34

 

La splendeur de cette scène de l’abandon total contient une invitation. Manifestement, nous sommes invités à rejoindre cette délicieuse sphère de quiétude, à nous laisser adopter par celle-ci.

Au temps des pharaons, la statue du souverain était doublée par celle de la divinité tutélaire, qui se tenait sur le même socle, mais entre les pieds de la royauté.

Regardez dans quelle position Κανέλα aimait se placer :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En se plaçant entre les pieds du Capitaine, Κανέλα agissait telle une divinité de l’Égypte antique et nous accordait sa bénédiction.

Dans ce contexte, l’adoption par Κανέλα ne concernait pas seulement notre rapport à l’environnement matériel, mais encore notre bien-être spirituel.

Il existait une confirmation de cet augure. La voici :

 

La réparation par l’adoption

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On y voit Κανέλα qui trônait telle une pharaonne.

L’arrière-plan, qui avait l’apparence du bronze, provenait du flanc droit du catamaran.

Le soleil couchant donnait au pelage des reflets dorés. Le message qui était délivré dans ces conditions avait donc une valeur intemporelle.

Mais quel était ce message ?

Le regard de la pharaonne était tourné vers le safran du Zeph.

Ce safran était resté indemne pendant l’accident avec le rocher de l’ensorcellement.

Le regard de majesté que Κανέλα adressait au safran intact du Zeph annonçait que la navigabilité de celui-ci serait parfaitement restaurée.

Contrairement à la très grande majorité des formes de vie environnantes, qu’elles soient quadrupèdes ou bipèdes, Κανέλα n’était pas du tout consumériste. C’était cela qui faisait son charme, sa valeur et sa noblesse.

Κανέλα était la personnification de l’intelligence de l’amour. Intelligence au sens de la lucidité de la compréhension. Intelligence au sens de l’adéquation de la réponse apportée. Intelligence au sens de la maîtrise de l’enjeu véritable, qui était la production de sens grâce à la construction du lien social.

Κανέλα était un être tout à fait exceptionnel. Nous remercions vivement les divinités qui nous ont offert la chance de profiter de la plénitude de l’exception.

L’adoption nous a fait découvrir d’autres beautés existentielles et nous procurait de nouvelles formes de bonheur. Elle mettait en place une thérapie qui consistait à relativiser toutes choses, y compris les détresses momentanées.

L’affection que signifie l’adoption combat l’usure pernicieuse de l’attente et accélère grandement la réparation psychique.

Tag(s) : #2023 La GRECE en CHANTIER
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