L’affaire a été réglée en moins d’une heure, hier matin : le Zeph passerait son prochain hiver sur un ber, non pas de la Camargue, mais de l’Hellade.
La bourrasque qui s’était abattue sur Port Napoléon le jour de la mise à l’eau a servi d’aiguillon à la prise de décision.
Salomon a écrit :
לַכֹּל זְמָן וְעֵת לְכָל־חֵפֶץ תַּחַת הַשָּׁמָֽיִם׃ ס
עֵת לְבַקֵּשׁ וְעֵת לְאַבֵּד עֵת לִשְׁמֹור וְעֵת לְהַשְׁלִֽיךְ׃
קֹהֶלֶת
« Il y a un moment pour tout et un temps pour toute activité sous le ciel :...un temps pour chercher et un temps pour perdre, un temps pour garder et un temps pour jeter,... »
Écclésiaste, chapitre 3, versets 1 et 6.
Le sage roi ne parlait pas du caractère cyclique du cours des choses, mais de la nécessité de se montrer perspicace pour se saisir à pleines mains de la chance offerte par un changement.
Faisant preuve de perspicacité, le capitaine et le mousse ont compris qu’était venu le temps de dire adieu à Port Napoléon.
Circonstanciellement, la météo marine annonçait une seule accalmie, qui aurait lieu aujourd’hui. Le seul jour possible pour l’échappée est donc aujourd’hui. C’est aussi le jour de la promptitude de l’adieu.
Pas de cinéma de minuit, pas de concert tardif, pour être opérationnel dès l’aurore.
Car il restait encore à gréer les voiles.
Au ponton E, où s’était réfugié le Zeph pour échapper aux affres de la tempête, il était nez à nez avec un bateau estampillé Wauquiez.
Wauquiez était la signature préférée de l’instructeur des premiers jours.
Ce matin, sur le flanc droit de la coque Wauquiez, vers la proue, un oiseau regardait le capitaine régler la grand’voile. Était-ce l’esprit de l’instructeur, qui est venu souhaiter bonne chance au Zeph au sujet de la récente décision ?
Il paraît qu’une hirondelle toute seule ne fait pas le printemps. Qu’à cela ne tienne ! Il suffisait de descendre deux empans plus bas, sous le premier perchoir, pour trouver une présence qui permettait de constituer la paire destinée à déjouer l’argument du singulier.
À présent, ils étaient deux pour souhaiter bonne chance au Zeph. À côté de l’incarnation de l’instructeur, il y avait celle de la marraine du Zeph.
Comme à son habitude, le Zeph voulait à son bord un jardin d’aromatiques. Sur le marché forain de Port-Saint-Louis-du-Rhône, il venait d’acheter deux pieds de basilic.
À cause de promptitude de l’adieu, le Zeph a largué les amarres sans avoir eu le temps d’incorporer le basilic dans le jardin d’aromatiques.
Adieu, terre nourricière de l’Extrême-Occident !
Le passage dans les sangles de la grue a rapproché spatialement le Zeph de l’Épisode.
Le surlendemain de ce rapprochement spatial, l’expérience courageuse de l’Épisode a incité le Zeph à s’engager résolument dans un nouvel épisode de l’existence.
L’astre solaire a réalisé les deux tiers de sa course au-dessus de l’horizon quand le Zeph s’est retrouvé, ce jour, devant Massalia.
Adieu, Fille de Phocée ! Le Zeph ne te reverra plus, car il s’en va se faire dorloter dans le giron de tes ancêtres.