Homère utilise une métaphore pour parler de l'aurore.
En voici un exemple dans l'Iliade, au chant XIV, quand celui-ci décrit les funérailles d'Hector :
Ἧμος δ᾽ ἠριγένεια φάνη ῥοδοδάκτυλος Ἠώς,
τῆμος ἄρ᾽ ἀμφὶ πυρὴν κλυτοῦ Ἕκτορος ἔγρετο λαός.
Ὁμήρου Ἰλιὰς Ζ. Στίχοι 788, 789
Dès que parut l'Aurore aux doigts de rose,
Se rassembla autour du bûcher du valeureux Hector le peuple.
Iliade d'Homère. Chant XXIV. Vers 788, 7889
Le poète personnifie l’Aurore en évoquant les doigts. Ce faisant, il s’adresse à trois registres. Le registre tactile, bien sûr. Mais aussi le registre visuel pour la douceur de la teinte de la rose, et le registre olfactif pour l’exquis parfum.
À Rhodes, voici comment l’Aurore effleurait de ses doigts l’horizon :
C’était à la Marina Nouvelle, qui s’ouvrait vers l’Est.
Le mur de protection contre les vagues était parallèle à l’horizon du soleil levant.
Des spots lumineux éclairaient le chemin qui longeait du côté de la terre ferme ce mur.
Le Zeph était amarré vers le spot le plus à gauche sur la photo.
Au premier plan, un bateau exhibait fièrement les sommets éclairés de ses deux mâts.
Il battait pavillon italien, s’appelait « Monte Cristo » et portait l’immatriculation de Rome.
L’Aurore ne montrait pas pendant longtemps ses doigts de rose.
Pour découvrir à temps les endroits qui avaient le privilège de les contempler, il fallait faire vite. Voici les destriers qui permettaient de rejoindre ces lieux privilégiés :
Ils avaient passé la nuit à la belle étoile, en toute tranquillité.
À présent, c’était le moment du dévouement et de la performance.
Les sites à explorer appartenaient à la Vieille Ville, qui se trouvait au Nord de là où était amarré le Zeph.
La première halte de la route vers le septentrion avait lieu au chantier naval qui faisait le trait d’union entre la Marina Nouvelle et le quai des ferrys :
Les doigts de rose de l’Aurore effaçait le contraste entre l’éclairage urbain et l’obscurité du ciel. L’osmose des couleurs apportait de la magnificence à l’exquise fraîcheur du matin.
La deuxième halte fournissait un splendide panorama sur le quai des ferrys :
Le ferry qui n’avait pas fermé l’œil de toute la nuit portait sur son flanc gauche l’inscription « DODEKANISOS SEAWAYS » (en français : LIGNES MARITIMES DU DODÉCANÈSE)
Rhodes est la capitale de l’archipel du Dodécanèse.
C’est donc tout à fait approprié que la cheminée du ferry porte l’effigie de Rhodes.
Il s’agit d’un cerf bondissant. Le pelage est ocre orangé. Les pattes de derrière touchent des vagues, qui sont en bleu, mais qui possèdent une écume blanche. Quant aux pattes de devant, elles sont levées et apparaissent sur un fond doré, qui est le ciel dans l’éclat du jour naissant.
La palette de l’effigie de Rhodes sur la cheminée du ferry était en parfaite harmonie avec la trace colorée laissée sur l’horizon par les doigts de rose de l’Aurore.
La présence de ceux-ci se voyait encore au premier plan, sur le sable mouillé.
Miroir de l’éphémère, qui n’en était pas moins féerique.
La troisième halte introduisait le profil crénelé des murailles de la Vieille Ville.
Sur la photo, le regard était toujours tourné vers l’Est. Les doigts de rose de l’Aurore caressaient encore l’horizon. Mais désormais, ils avaient une autre mission, celle d’assister l’éclairage urbain dans la mise en valeur du patrimoine architectural.
Jusqu’à maintenant, nous avons toujours regardé vers l’Est. Essayons maintenant de regarder vers l’Ouest, tout en restant au même endroit que pour la photo précédente.
Voici le panorama à l’Ouest :
Le déploiement des remparts de la cité médiévale était d’une incroyable beauté.
L’ocre doré de la pierre n’était pas dû seulement aux lampadaires municipaux. La lumière ambrée de ceux-ci a été enrichie par les doigts de rose de l’Aurore.
Le sable de la plage aussi reflétait cette alchimie réalisée par l’Aurore.
Jadis, du temps où votre serviteur voyageait avec son sac à dos, c’était sur cette plage qu’il avait passé la nuit à la belle étoile et qu’en tenue de routard, il avait accueilli l’Aurore.
Sur la gauche de la photo, se profilait une porte qui permettait d’accéder à l’intérieur de la ville fortifiée. Le nom de la porte était mentionné sur une plaque :
Sous une croix à quatre branches égales, on pouvait lire, en caractères byzantins :
ΠYΛΗ ΠΑΝΑΓΙΑC
En français :
PORTE DE LA VIERGE
L'appellation vient du fait que l'élégant édifice auquel elle donne tout de suite accès est « Η Παναγία του Μπούργκου » (en français : Notre-Dame du Bourg, c'est-à-dire de la Ville Basse, par opposition à la Ville Haute, qui était le quartier de l'élite).
Franchissons cette porte pour regarder de l'autre côté.
L'Aurore avait ses travailleurs attitrés :
Des êtres courageux, dévoués, extrêmement courtois, qui manifestaient un sens très pratique de l'hospitalité.
Faisons un peu de science-fiction et accélérons la course de la montre.
Voici comment de la Porte de la Vierge, les Rhodiens voient la mer quand le soleil est déjà haut :
Sous le grand arc cintré, de l'autre côté de l'onde azurée, se dessinent l'arche de la jetée de Naillac et le corps cylindrique du phare qui garde l'entrée du port de plaisance.
Du côté de la terre ferme, l'opulence des cascades de bougainvillier chante le bonheur de vivre sous un soleil radieux.
Sublime vision !
Si vous le voulez bien, fermons la parenthèse de l'anticipation et revenons aux doigts de rose de l'Aurore, qui étaient à l’œuvre sur la porte voisine, à deux cents mètres de là.
Les Rhodiens l'appellent H Θαλασσινή Πύλη (en français : La Porte Marine).
Entre les deux tours crénelées à mâchicoulis, un bas-relief, surmonté d'un dais, montrait les silhouettes de Jean-Baptiste, Marie et Pierre.
La position centrale était dédiée à Marie portant l'Enfant. Près de celui-ci, se tenait son cousin, Jean-Baptiste. De l'autre côté, c'était Pierre, dont les intérêts en ce bas-monde étaient défendus par les Chevaliers.
Cette porte monumentale était l'œuvre du Grand Maître Pierre d'Aubusson.
L'écusson du Grand Maître apparaissait à droite de la photo, sous l'effigie de Pierre, l'apôtre dont le Grand Maître tenait son nom de baptême.
L'écusson central, qui se trouvait sous Marie, montait la couronne du Royaume de France et était décoré par des lys.
Sur la gauche de la photo, sous la silhouette de Jean-Baptiste, était sculpté l'écusson de l'Ordre des Chevaliers de Saint-Jean, reconnaissable à la simplicité de sa croix unitaire.
L'ensemble architectural composé par la Porte Marine bénéficiait du halo de poésie que créaient les doigts de rose de l'Aurore.
Mais la jeunesse grecque, qui était rassemblée à cette heure-là sur le parvis de l'immense porte, n'avait pas de yeux pour le patrimoine. La préoccupation des ces Grecques et Grecs, tous en tenue de fête, était de savourer les derniers instants d'une nuit enchanteresse.
Tant que les doigts de rose, qui provenaient de l'Aurore amie, soutenaient les paupières hédonistes, le souvenir du plaisir récent s'auto-fécondait.
Cette jeunesse rhodienne, qui avait choisi de s'épanouir grâce à la fraîcheur nocturne, a attendu l'apparition de l'Aurore pour repasser sous la voûte de la Porte marine.
Voici cette voûte, repeinte aussi par les doigts de rose de l'Aurore :
L'éclairage urbain indiquait que pour certains, la nuit n'était pas encore complètement finie. Mais à l'arrière-plan, les doigts de rose étaient en train de caresser la mosquée Sindrivan, toute fière de montrer son dôme et son minaret sous le grand arc en plein cintre.
C'est de ce côté-là que nous irons pour trouver l'antre hédoniste de la jeunesse rhodienne.
Voici l'antre hédoniste :
C'était un foyer, dans tous les sens du terme.
D'abord, parce qu'il y avait du feu, physiquement. Des flammes de joie poussaient les effluves de la bonne nourriture à se répandre dans tout l'espace ambiant.
L'ustensile de cuisine que tenait le cuisinier était un wok.
Sur le tablier du magicien des fourneaux, figurait l'inscription « Jowok ».
C'était le nom de l'enseigne qui charmait les sens de la jeunesse rhodienne depuis le crépuscule jusqu'à l'arrivée de l'Aurore.
Sur le présentoir où étaient posés des bacs avec de la nourriture déjà préparée, apparaissaient aussi, à travers une vitre, les lettres JOWOK.
Quant au sens figuré, l'antre hédoniste était un foyer de convivialité.
Les néons, qui avaient fonctionné pendant toute la nuit, devenaient moins toniques, non par lassitude, mais par courtoisie à l'égard de la douce lumière que diffusaient des doigts de rose de l'Aurore.
En bas de la photo, sur la droite, apparaissait le slogan du lieu de délices :
« WE ARE DARE TO TASTE ».
En français :
« NOUS OSONS GOÛTER ».
Ce slogan rhodien, qui sera désormais aussi le nôtre, appelle la déclaration faite par un autre hédoniste, au sujet de l'Aurore :
“Il y a dans l'aurore du talent quelque chose de naïf et de hardi en même temps qui rappelle les grâces de l'enfance et aussi son heureuse insouciance des conventions qui régissent les hommes faits.” Eugène Delacroix/Journal
Selon le peintre français, l'Aurore est connectée à la hardiesse.
Non seulement à Rhodes, mais dans tout l'archipel du Dodécanèse et dans tout le bassin égéen, le Zeph « ose goûter » ce que lui prépare la Grèce.
L'expression « heureuse insouciance », utilisée par Delacroix, s'appliquait aussi à la jeunesse rhodienne qui quittait l'antre hédoniste à l'arrivée de l'Aurore.
Le peintre français parle encore de la révélation de la « grâce » à l'heure de l'aurore. Là encore, le terme employé par Delacroix s'appliquait à merveille ces belles silhouettes hédonistes qui sortaient par la Porte marine.
Élégance de la tenue vestimentaire, qui reflétait l'irrépressible désir de plaire, à soi-même et à autrui.
Mais surtout, élégance du savoir-vivre, qui préférait la douceur à la brutalité, la sollicitude à l'agressivité, la consolation à la raillerie. Même lorsque l'alcool avait coulé à flot !
Puis est venu le moment où l'Aurore se préparait à se retirer.
La présence de ses doigts de rose s'évanouissait progressivement de la palette matinale.
Sur les édifices publics, seuls demeuraient les reflets ambrés de l'éclairage municipal.
La photo montre un bâtiment construit à l'époque des Chevaliers. Il avait abrité le Musée archéologique lors de notre précédente visite de Rhodes.
Le ciel était bleu clair. L'Aurore aux doigts de rose s'en est allée.
Bientôt, le disque solaire ferait son entrée triomphale à l'intérieur de la citadelle.
Le voici en train de franchir la porte appelée H Πύλη Ταρσανά (en français : la Porte de l'Arsenal).
La douceur cédait la place à l'éclat.
La lumière de l'Aurore à Rhodes permettait à un monde d'une grande poésie de venir à l'existence.
Elle était une manifestation du καιρός – ΚΑΙΡΟΣ.
Elle pose la question de l'utilité de l'éphémère.