On migre pour plus de confort, physique, mental ou éthique.
Le Zeph a migré de Port Napoléon, qui se trouve dans le Delta du Rhône, à Άκτιο – AKTIO (en français : Aktio), qui est dans le Golfe Ambracique. Puis, de là, il a encore migré à Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ (en français : Galatas), qui est baigné par les eaux du Golfe Saronique.
À Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ, le Zeph occupait l'une des places les plus convoitées du chantier.
Sur la photo, le soleil, qui venait de se lever, était encore bas au-dessus de l'eau. Par conséquent, il éclairait aussi l'hélice du Zeph, qui apparaissait au premier plan.
À gauche, un ponton s'avançait dans l'eau. Il indiquait la sortie de la baie. Tout droit devant lui, c'était l'île aux pistaches, Αίγινα – ΑΙΓΙΝΑ ( en français : Égine).
Les vagues viendraient presque pourlécher le ber où était installé le Zeph.
Ce balcon sur la mer était une position de prestige, qui offrait de bien beaux privilèges, comme celui d'être en première loge pour contempler les régates qui avaient lieu à l'occasion des commémorations. Voici le défilé qui s'est déroulé à la fin du mois dernier, en l'honneur du deux-centième anniversaire de la Révolution Grecque :
La parade sur l'eau a commencé avec seulement des voiles blanches, puis s'est terminée avec des spis chamarrés.
L'agréable impression d'avoir les pieds dans l'eau, la magnificence des panoramas à toute heure de la journée, le flirt enjoué des senteurs d'agrumes avec les effluves des eucalyptus, le spectacle bucolique des ovins paissant sous le feuillage argenté de l'arbre de la paix, tous ces facteurs procuraient un attrait exceptionnel à l'environnement du Zeph juché sur son ber.
Et pourtant, de tout cela, il fallait s'en séparer. Et ce n'était pas du tout facile de s'en séparer. On l'a fait, avec un gros pincement au cœur. La force migratoire nous a aidés à prendre la décision et à la faire aboutir.
Voici le début des adieux : nous revenions du nouveau chantier, après avoir donné des gages de notre prochain hivernage.
Avec une forte émotion, nous avons mis pied à terre sur un débarcadère qui était en fête.
Les terrasses traversaient la route asphaltée pour rejoindre les coques amarrées.
Les quais palpitaient d'une énergie nouvelle, nous rappelant l'incroyable richesse du patrimoine insulaire.
D'innombrables pavillons, tous en liesse, claquaient au vent pour applaudir le pouvoir enchanteur de l'île. Dans notre esprit, remontait l'émouvant souvenir des jours heureux passés ici. La nostalgie nous a ramenés vers le dernier lieu d'amarrage du Zeph.
C'était devant la place du Musée Archéologique, qui nous avait porté chance.
La douce lumière du couchant nous caressait voluptueusement le visage pour nous dire au revoir.
Nous étions très attachés à l'île, mais nous savions aussi que ses sœurs nous attendaient ailleurs, pour nous révéler d'autres délices de l'hospitalité grecque.
Un taxi de la mer nous a ramenés vers la rive où le Zeph passait ses derniers instants sur un ber.
1 € par personne pour vivre l'expérience de la transhumance quotidienne des riverains.
Le sillage de l'adieu était loin d'être une source d'euphorie.
Il nous rendait mélancoliques. Mais grâce à la force migratoire, nous croyions à une renaissance ailleurs.
Puis, est arrivé l'instant décisif : le Zeph était posé sur le traîneau qui le mènerait à la mer.
Le protocole de la mise à l'eau s'effectuait sur le mode affectuoso. Point de rigidité militaire.
Le chef du chantier a laissé au Zeph tout le temps nécessaire pour parfaire sa toilette des grands jours. Là où l'anti-fouling n'avait pas pu être mis à cause des patins du ber, il était maintenant possible de corriger l'imperfection.
La lumière rasante mettait bien en évidence l'emplacement du nouveau dépôt.
Finalement, le chantier a relâché son affectueuse étreinte.
Et le Zeph a retrouvé son entière liberté.
Est-ce à dire que la séparation était définitive ?
Loin de là !
Avant de rendre au Zeph la mobilité pour laquelle il avait été conçu, le chantier nous a offert un souvenir du terroir. Un souvenir qui rappellerait la fécondité et la générosité de la terre locale. Voici ce joli cadeau :
Il s'agissait d'une bouteille de rosé, bien fraîche.
Le breuvage était élaboré à partir de deux variétés de raisin grecques : un cépage noir, nommé Αγιωργίτικο – AΓΙΩΡΓΙΤΙΚΟ (en français : Ayiôryitiko), et un cépage blanc, nommé Μοσχοφίλερο – MOΣΧΟΦΙΛΕΡΟ ( en français : Moskhophiléro).
L'étiquette portait l'effigie de Thésée, vainqueur du Minotaure.
Le Minotaure était un monstre dans l'Antiquité crétoise.
De nos jours, la Mer Égée a aussi ses monstres, que les météorologues appellent « médicanes ».
En nous offrant la vision de la victoire de Thésée sur le Minotaure, le chantier nous souhaitait de venir à bout de tous les phénomènes « monstrueux » qui menaceraient notre route. C'était un souhait en or, chaleureusement exprimé par les reflets dorés de l'effigie.
Entre le chantier de Γαλατάς – ΓΑΛΑΤΑΣ et le Zeph, il n'y avait pas que l'échange commercial. Les nombreux égards que se témoignaient mutuellement le prestataire et le client ont donné naissance à un lien affectif qui ravissait tout le monde. La force migratoire prenait en compte ce lien affectif, ne le brusquait pas. Au contraire, elle y faisait éclore la promesse d'autres liens affectifs, tout aussi émouvants, sinon, plus.
Consciente de son effet persuasif, la force migratoire s'offrait le luxe d'opérer avec délicatesse. Elle laissait la nostalgie s'exprimer librement, pour mieux la sublimer.
Nostalgiques, nous l'étions. Car une fois rendu aux flots, le Zeph a passé sa première nuit dans le mouillage face à Πόρος – ΠΟΡΟΣ (en français : Poros).
Nous y avons retrouvé la sérénité qui nous avait tant séduits.
Pour la dernière fois, nous savourions la douceur du giron de Πόρος – ΠΟΡΟΣ.
Le lendemain, la force migratoire nous a convaincus de quitter ce site pourtant si attachant et de chercher d'autres formes de bonheur du côté du septentrion.
Le Zeph change de bassin de navigation, non par instabilité, ni par insatisfaction, mais par désir de complétude.
Nous migrons pour honorer, à sa juste valeur, la profusion de ressources que nous offre l'espace grec.