Tout au bout d'un de nos chemins de mémoire, depuis le temps que j'vous en parle... La voilà !
Ce jour-là, au départ de SOUGIA, le temps est carrément maussade... Des ondées sont visibles au large.
Loin de l'ambiance de ce jour, il y a 30 ans, on randonnait allègrement, du haut de nos presque 20 ans, depuis l'île d'ELAFONISSI. Ce jour si lointain était ensoleillé à l'extrême ! Et on s'demandait encore si, pour rejoindre les gorges de SAMARIA, on allait emprunter le bus, comme tout le monde, ou si on allait tenter de trouver une piste, une trace, ou mieux, un chemin pour les atteindre...
Ce jour de novembre 2021, la pluie s'est invitée sur le parcours, à tel point qu'on s'interroge de savoir si on continue ou non. On a 16 kilomètres à faire... Et les faire sous la pluie ne nous enchante pas vraiment...
Ce n'est pas la question qu'on se posait jadis. Il faisait très beau et très chaud. On était tellement content d'avoir trouvé un ancien sentier qui déroulait des kilomètres de caillasse dans une végétation un tantinet envahissante ! Outre les quelques cairns rencontrés, on devinait parfois de vieilles traces de peinture qui disaient bien qu'il y avait là, un vieux chemin de randonnée. Et ça nous allait.
Pour nous, c'est tenue de rigueur ! Heureusement, il ne pleut pas à verse et ça ne va pas durer !
Au même moment, peut-être au même endroit, dans nos souvenirs d'il y a longtemps, on poursuivait notre quête de liberté, notre rêve d'horizons nouveaux et, sans trop savoir où tout cela allait nous mener, on maintenait un rythme de marche soutenu dans ce territoire inconnu, sans carte, avec un peu de bouffe et quelques litres d'eau, en s'disant qu'on allait bientôt arriver !!!
Et le chemin s'est fait. Pour nous, cette fois-ci, dans un ciel gris et, pour nous encore, mais y'a longtemps, sous un soleil écrasant !
C'est sûr qu'aujourd'hui, le sentier est plus facile ! Plus facile mais pas gagné d'avance ! Bien balisé certes, c'est un chemin tout tracé ! Et malgré un dénivelé important, à faire le yoyo de combe en combe, on avale les kilomètres à coups d'effort et de sueur !
Et puis c'est plus facile parce qu'on sait où on va !
Alors qu'avant, c'était une toute autre histoire !!! Les GPS, ça n'existaient pas. Les téléphones portables pour appeler du secours, si nécessaire, non plus ! Et pourtant, maintenant qu'on était engagé sur le chemin depuis de longs kilomètres, il nous fallait avancer. Avancer coûte que coûte ! Malgré la fatigue, malgré le soleil si ardent, et malgré même le fait de ne pas savoir où tout ça allait nous mener ! Seule consolation, on longeait la mer dans la bonne direction. C'est tout ! Forcément, avec mon naturel un peu optimiste, trop peut-être ?, j'me disais que ça allait bien nous emmener là où on le désirait, que c'était pas possible de suivre un si long chemin et qu'il s'arrête, comme ça, au milieu de rien !
On est au sommet de la chapelle ILIAS. Sur les cartes, ce sommet s'appelle le cap TRIPITI. Une rude montée finale qui m'a mis en lambeaux !
Et quand nous, jadis, après autant d'efforts sinon plus, à cause du soleil rayonnant ce jour-là, on est arrivé au sommet du cap, après une courte pause pour visiter la chapelle, voir qu'il y avait un puit, et que même, le pope avait "oublié" une bouteille de vin rouge dans son antre (!!!), ben on a repris la route et poursuivi notre chemin ! La prochaine halte est prévue en bas ! Et avec de bons yeux, si vous cliquez sur la photo et que vous l'ouvrez dans un nouvel onglet, vous pouvez voir, tout en bas côté mer, à l'aplomb d'une falaise noire, un ermitage. C'est là qu'on va. Et on espère trouver une suite à notre chemin...
Depuis la chapelle, la vue vers SOUGIA que l'on devine, au loin, dans un pli de la côte.
A l'Est, la vue s'étend tout aussi loin, vers AGIA ROUMELI.
L'intérieur de la chapelle.
Et à propos de nos deux jeunots de presque 20 ans ?
Ben, ils ont été prudents de refaire leur réserve d'eau au puit du pope, puis, ils ont fait la descente jusqu'à l'ermitage. Ils y ont mangé leur maigre provision et bu un peu d'eau. Et, sitôt après quelques courtes ablutions pour se débarrasser de la sueur, ils ont entrepris de poursuivre leur route.
Et c'est à partir de maintenant que tout s'est compliqué pour eux. En fait de chemin, il n'y avait plus rien. Pas même une sente de chèvres. Et ils ont cherché un peu partout où pouvait être le salut. Ils ont essayé de contourner la pointe par la mer sans résultat. Ils ont essayé de remonter le vallon, sans plus de succès. Ils ont même tenté d'escalader la face Est du ravin dans lequel ils étaient descendus pour trouver une issue, et peut être, un nouveau sentier ! Rien non plus. Pas de suite. Le chemin s'arrêtait là, à l'ermitage.
Et pendant tout ce temps où ils ont cherché un chemin inexistant, l'heure tournait. Le soleil, impassible à la recherche effrénée de nos 2 jeunes, poursuivait implacablement sa descente vers l'horizon. Et la nuit est arrivée.
La nuit de cette lointaine journée nous a quasiment surpris !!! On était encore en train de fouiller les replis du terrain en se persuadant que, décidément, non, ce n'était pas possible que le chemin s'arrête là ! On avait fini depuis longtemps nos réserves d'eau !!! Mais mon côté têtu, trop peut-être ?, nous a fait oublié qu'on pouvait mettre nos vies en danger !
Et quand, j'ai eu l'intuition, un peu tard peut-être ?, qu'il fallait abandonner et rebrousser chemin, ben il faisait nuit noire ! Et la peur m'a envahi ! Impossible de retrouver les marques du sentier pour revenir à la chapelle. Et pourtant, là-haut, je savais que le puit du pope, et même son vin (!!!) nous attendaient ! Nous narguaient même !
Minh, lui, suivait. Pas par gentillesse ou fidélité ou quoique ce soit de ce genre, non. Il suivait après m'avoir regardé fureter de droite à gauche, dans une recherche hypothétique d'un chemin, sans oser rien dire. Et eût-t'il dit quelque chose, eût-t'il oser une remarque, que je l'aurais probablement rembarré ! Alors il a attendu, sagement, que je réalise, seul, l'innocuité de mon entêtement, et que je revienne à la raison !
Bon. N'empêche que ce jour-là, quand j'ai repris mes esprits, il faisait noir, on avait épuisé nos réserves d'eau, on avait soif, et on était perdu ! Alors, folie ou non, sachant la chapelle, son puit et son vin, là-haut, au sommet du cap, ben je nous ai décidé à les atteindre en ligne droite, faisant fi du dénivelé et des amas rocheux. Faisant fi de tout !
Et durant de très nombreuses heures de montée, parfois dans des éboulis, parfois au milieu d'une végétation dense et piquante, parfois dans des à-pics insoupçonnés, et c'était mieux ainsi, on s'est attelé à mettre un pas devant l'autre, et même lorsque tout ce que tu montais, tu le redescendais illico en glissades aveugles, dans des sortes de petites moraines...
Cette nuit-là, j'ai hurlé à plusieurs reprises ma peur et ma colère d'avoir entraîné le Minh avec moi !
Et puis la délivrance est arrivée ! Le terrain s'est fait moins pentu. La chapelle était devant nous ! On s'y est précipité. J'ai foncé sur la bouteille de vin du pope, et on l'a bue, au goulot, à grandes lampées !!!
Je lui ai laissé un p'tit billet, au pope, en guise de dédommagement ! Mais quand même !!! J'imagine sa tête quand lui-même, au bout d'une harassante montée, se disant qu'au bout, y'aurait une petite compensation à ses efforts et que, toc, il découvre que sa bouteille est vide !!!! C'est sûr que ça peut engendrer une rupture de foi, ce genre de truc !
Bon. On a bu le vin et, avec l'eau du puit, on s'est fait des litres de thé !
Voilà l'histoire de la chapelle du Prophète ILIAS, qui nous a sauvé la vie !
Et voilà pourquoi, 30 ans après, on a voulu revenir ici.
J'avais bien emmené une bouteille de vin, me disant que le pope serait ravi de la découvrir au terme de l'une de ses visites de prière, mais pas de bol, j'l'ai bu durant le trajet !