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De quelle vérité parlons-nous ?

Dans un premier temps, de celle qui concerne la gravité des dégâts causés par la collision du Zeph avec le rocher immergé entre l’îlot Φονιάς – ΦΟΝΙΑΣ (transcription : Fonias) et l’îlot Στύρα – ΣΤΥΡΑ (transcription : Styra), dans le bassin méridional du Golfe d’Eubée.

Voici les derniers instants du Zeph sur la mer avant de rejoindre la clinique spécialisée qui se trouvait à Χαλκούτσι – XAΛΚΟΥΤΣΙ (transcription : Khalkoutsi).

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

On nous avait assuré que le Zeph serait pris en charge par le service d’urgence. Nous nous en réjouissions.

Quand cette photo a été prise, nous étions à une heure et demie de la clinique spécialisée.

L’œil de la vérité était déjà en alerte car bientôt le Zeph serait débarrassé de la masse aqueuse qui gênait le diagnostic.

Voici l’accidenté qui venait d’être déposé sur une civière surélevée :

 L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

L’œil de la vérité s’est montré très diligent dès la sortie de l’eau.

Pour permettre à une première auscultation d’avoir lieu tout de suite, le traîneau s’est arrêté avant même d’entrer dans l’enceinte de la clinique.

L’urgentiste a accouru pour avoir un premier coup d’œil sur les dégâts et donner un premier avis sur le degré de gravité. Le voici qui livrait le résultat de ses premières observations au Capitaine :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le corps de l’accidenté baignait encore dans le liquide de la détresse.

En définitive, l’œil de l’urgentiste s’est montré rassurant car il constatait peu de dégâts et pensait qu’il n’y aurait pas besoin de démonter la quille pour faire la réparation.

Ce point de vue devait être confirmé par un expert, qui est venu le lendemain, du Pirée.

L’œil du premier diagnostic s’est-il révélé être l’œil de la vérité ?

Le lendemain donc, l’expert en traumatismes du squelette s’est présenté au chevet du Zeph avec une extrême ponctualité.

L’expert est venu, accompagné de l’urgentiste.

D’abord seul, le Capitaine les a reçus avec solennité. Tous les trois étaient en train d’examiner l’arrière du bulbe quand le mousse a voulu se joindre à eux. Pour annoncer sa présence, le mousse a dit de loin : “Καλημέρα σας !” (littéralement : Bonjour à vous!)

Une grande joie s’est tout de suite emparée du groupe. De celui-ci, une voix féminine s’est levée pour rendre, en grec, la politesse au mousse. C’était la voix de l’expert.

L’œil de l’investigation menée par l’expert associe les informations recueillies par la rétine et les informations recueillies par le tympan. Avec sa main droite puis avec un maillet, l’expert fait résonner le corps meurtri du Zeph pour déceler la singularité sonore qui indiquerait une défaillance de l’homogénéité ou de la cohérence.

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’expert a adapté le principe du stéthoscope, sous l’œil attentif de l’urgentiste.

Après l’examen clinique de la quille, l’œil de la vérité s’est intéressé à l’état des cales.

L’urgentiste est monté en premier dans le carré pour enlever les planches qui recouvraient les cales. Normalement, l’expert devait emboîter le pas à l’urgentiste. Mais l’expert nous a cédé, au Capitaine et au mousse, le passage. Une telle courtoisie nous a surpris parce qu’en Grèce, on a plutôt l’habitude du contraire.

Se souvenant de la galanterie qui fait partie des belles manières à la française, le mousse a dit à l’expert : “Παρακαλώ !” (en français : Je t’en prie !)

Le savoir-vivre français a beaucoup plu à l’expert, surtout quand ce savoir-vivre était introduit par des sonorités grecques.

Alors les yeux dans les yeux, l’expert a demandé au mousse où il avait appris la langue grecque. Et sans sourciller, le mousse a répondu : “Tο ελληνικό τραγούδι” (en français : [avec] la chanson grecque)

Le mousse voyait que la confidence a ému l’expert.

Le mousse n’a pas pu s’empêcher d’ajouter : “Μου αρέσει πολύ το ελληνικό τραγούδι. Και το ελληνικό φαγητό. Και ο ελληνικός ήλιος” (littéralement : La chanson grecque me plaît beaucoup. La nourriture grecque aussi. Le soleil grec aussi)

Dans l’ordre, le mousse a d’abord mentionné les trésors culturels, puis les saveurs du terroir, et enfin la météo. Le mousse a vu que sa déclaration d’amour faisait chavirer l’expert, à qui l’œil de la vérité venait de révéler un esthète.

À ce moment-là, le visage de l’expert et celui du mousse n’étaient qu’à quelques centimètres l’un de l’autre, face à face. Avec une telle configuration, l’œil du discernement livrait au mousse la vérité psychologique de la Grecque. Le miroir de la parole créait celui des yeux et le mousse y découvrait une interlocutrice pleine de finesse, de douceur et d’empathie.

Comme l’œil de la vérité avait raison de s’intéresser à la psychologie bien qu’il soit en chemin pour explorer des dégâts matériels !

La fiabilité du cœur humain facilite l’accès à l’exactitude de la reconstitution des circonstances de l’accident.

L’échange courtois et édifiant entre l’expert et le mousse était une belle introduction à l’investigation dans le carré.

L’expert et l’urgentiste ont procédé de proche en proche, en allant de la poupe vers la proue, de l’escalier vers le mât.

L’œil de la vérité fouillait dans les cachettes et ne délaissait aucun recoin, quitte à adopter des positions inhabituelles et inconfortables.

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur la photo, l’expert était allongé à plat ventre au-dessus des cales ouvertes. L’urgentiste était à quatre pattes sur le banc où s’asseyait souvent le préposé aux fourneaux. Quant au Capitaine, il était retranché dans la cabine de devant.

Nul endroit ne demeurait inaccessible à l’œil de la vérité.

Une vision complète et un travail exhaustif nécessitaient un démontage des meubles vissés et leur déplacement.

Pendant que le Capitaine et l’urgentiste déplaçaient le banc et la table en direction de l’escalier à l’entrée, l’expert s’est réfugié dans la cabine à l’avant. Là où le Capitaine était accroupi dans la photo précédente, à présent l’expert se tenait debout. C’est alors que l’œil de la vérité a effectué un balayage qui était loin d’être innocent.

Effectivement, l’expert a commencé par tourner très, très légèrement sa tête vers le flanc gauche du Zeph. Voici le spectacle qui s’est offert à l’œil de la découverte :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À droite de la photo, se dressait la cloison qui séparait le carré et la cabine à l’avant. À gauche, c’était la colonne de métal qui prolongeait le mât. Entre la cloison de bois et la colonne métallique, deux icônes présentaient ostensiblement leurs profils byzantins.

Les voici de face, dans leur magnificence :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur l’icône d’en bas, on pouvait lire au-dessus de l’épaule gauche du personnage l’inscription suivante, calligraphiée dans le style byzantin : O Παντοκράτωρ (littéralement : Le Tout-puissant). C’est le titre que porte le Nazaréen investi du pouvoir royal.

Au-dessus, de part et d’autre de l’auréole du cavalier, figuraient les lettres suivantes, toujours calligraphiées selon la liturgie byzantine : O Άγιος Δημήτριος (littéralement : Le Saint Démétrios). Il s’agit d’un chrétien qui a été martyrisé en l’an 306 de notre ère, et que Thessalonique, la capitale du Nord de la Grèce, a choisi pour être son Saint Patron.

Mais l’expert, qui était féru non seulement de technologie mais aussi de culture et d’histoire, n’avait nullement besoin de se retrouver en face pour reconnaître chacune des icônes.

Un infime sursaut chez l’expert indiquait que leur présence était inattendue.

Toujours très discret, l’œil de l’investigation a continué sa promenade silencieuse le long de la courbure qui bordait l’emplacement de la table du carré. Furtivement, il a marqué un temps d’arrêt. Voici l’objet sur lequel l’œil de l’expert a fixé son attention :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le chandelier à sept branches a été acquis par le Capitaine à Salerno, au cours de la descente d’Italie, pendant le voyage initiatique. Les sept bougies apportaient de la joie dans le giron du Zeph quand l’électricité n’était plus disponible.

Sans aucun doute, l’œil de l’investigation privée a relié les deux découvertes et en a conclu que le Capitaine et le mousse avaient du goût, recherchaient le beau et pensaient à la transcendance. L’œil de la vérité a perçu que nous possédions un code moral. À l’inverse, l’attention accordée par l’expert, même très discrètement, aux choses liées à la spiritualité nous livrait l’accès à la vérité de sa conscience, une conscience qui faisait grand cas de la déontologie.

Pendant que le voyage, très discret, le long des rivages de la spiritualité se déroulait, la table et le banc de la convivialité ont été poussées vers l’escalier de l’entrée. L’espace central du carré était enfin libéré. Il correspondait à la zone de fixation de la quille à la coque, et bien plus encore. En effet, il livrait à l’œil de l’expert le départ des courbures depuis la quille jusqu’au liston situé au-dessus.

L’œil de la vérité voulait tout voir, directement, sans ombre, sans dissimulation, sans restriction.

Voici l’expert qui continue de s’acquitter de ses responsabilités avec beaucoup de sérieux et de patience :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur la photo, la table du carré occupait le premier plan.

La cale qu’explorait l’expert avait deux tuyaux blancs qui étaient liés ensemble et qui arrivaient ensemble aussi au puisard.

Ces deux tuyaux encombraient le champ de vision. Alors l’expert a demandé qu’on lui apporte des ciseaux. C’étaient les mains de l’expert qui ont coupé elles-mêmes les colliers rislan qui retenaient ces tuyaux contre la paroi de la cale.

Voici une photo des trois liens en plastique qui avaient créé une obstruction, et qui finalement ont été sectionnés :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’œil de la vérité voulait toujours avoir le champ libre, complètement libre.

Deux des trois colliers rislan étaient déjà partis à la poubelle, laissant dans le désœuvrement leurs plots noirs. Sur la paroi de droite, le troisième collier a aussi été coupé mais il n’a pas encore été enlevé.

L’intérêt de la photo était dans la mise en perspective des observations effectuées dans les cales avec les éventuelles anomalies sonores constatées au niveau de la quille. Cette mise en perspective utilisait l’intermédiaire des hublots latéraux, qui se présentaient sur deux rangées.

La rangée inférieure avait un seul hublot, situé entre les deux abat-jours.

La rangée supérieure comportait deux hublots. Celui qui apparaissait au-dessus du bouquet de fleurs se trouvait du côté de la proue. L’autre hublot, qui était du côté de la poupe, prenait place au dessus de la table à cartes et appartenait au hors-champ.

L’expert a utilisé ces hublots pour établir une correspondance spatiale entre l’intérieur et l’extérieur de la coque.

Sur la photo suivante, l’expert, installé devant le hublot du bouquet de fleurs, recevait par ce hublot, le scotch coloré et les ciseaux que lui tendait l’urgentiste.

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Puis des repères étaient marqués sur le liston grâce au scotch coloré, qui se prolongeait sur le flanc gauche.

En se basant sur ces compartiments extériorisés, l’expert a repris son exploration sonore autour de la quille. Un manque de cohérence dans l’ensemble des sons nouvellement rendus faisait planer le doute que le corps du Zeph n’était plus d’un seul tenant. Il faudrait gratter davantage autour de la quille pour estimer l’importance du décollement.

Après s’être intéressé à la vérité clinique, l’œil de l’investigation s’est penché sur la vérité historique.

Qu’est-ce qui a fait que le Zeph a heurté le rocher immergé ?

Ou plus exactement, qu’est ce qui s’est passé en amont de la collision ?

Le Capitaine a expliqué à l’expert comment nous avions été dupés par la fausse science de « Nav...s », l’éditeur de la carte marine.

L’expert a écouté très attentivement le Capitaine, soupesait les arguments de celui-ci puis acquiesçait. Au fur et à mesure que la démonstration du Capitaine avançait, l’expert se rapprochait de plus en plus de celui-ci, mentalement et même physiquement :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il y avait manifestement une forte affinité entre tout ce qui concernait le Zeph et la disposition mentale de l’expert.

L’expert avait foi en nos déclarations parce que l’œil de l’investigation lui a donné la conviction que nous étions absolument sincères et fiables.

En retour, notre confiance en l’expert croissait au fil du temps parce que le travail méthodique qui se déployait était toujours auréolé d’une douce bonté.

L’expertise, qui avait pour but d’établir la vérité sur l’ampleur des dégâts matériels et la vérité sur les circonstances de l’accident nous a aussi offert un très joli cadeau en nous donnant l’accès à la vérité psychologique.

Quand l’expert nous a livré ses conclusions, c’était une amitié qui s’exprimait.

Pour prononcer ses paroles qui apportaient la sérénité, l’expert a pris place par terre, à même le sol, juste au-dessus des cales béantes.

Voici le cadre dans lequel le mousse a vu l’expert prodiguer les dernières recommandations :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La sacoche à outils matérialise l’emplacement choisi par l’expert.

Adossé contre la paroi qui séparait le frigo de la salle d’eau, l’expert semblait se sentir chez des amis.

Cette perspective spatiale, porteuse de paix et d’espoir, faisait venir la larme de la gratitude dans l’œil du mousse.

Et quelle perspective s’est offerte à l’œil du Capitaine ?

Installé à la table à cartes, comme dans l’avant-dernière photo, le Capitaine disposait de cette perspective :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La sacoche à outils indique toujours la place qu’occupait l’expert. Le choix de cette place était spontané, sans aucun calcul, sans aucune préméditation. Et regardez sur quoi l’on tombe quand on remonte la diagonale à partir de la trousse à outils : sur l’œil du Παντοκράτωρ !

Qui a dit à l’expert de se mettre dans l’axe du regard du Παντοκράτωρ pour délivrer les derniers conseils ? Personne ! Pourtant, le résultat était saisissant.

La surprise ne s’arrêtait pas là. Regardez la perspective obtenue à partir du cockpit :

 

L’œil de la vérité

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Au premier plan, prenait place l’escalier de la descente. La sacoche à outils indique encore l’endroit où l’expert était assis. Et qu’y avait-il au-dessus de lui ? L’icône de l’Annonciation, où l’ange Gabriel se présente devant Marie.

Au-dessus de la tête de l’ange, apparaissait l’inscription calligraphiée dans le style byzantin : Ο Ευαγγελισμός (littéralement : l’Annonce d’une Bonne Nouvelle).

Sans faire exprès, l’expert s’est placé sous l’évocation d’une communication bénie.

Bien qu’elle apparaisse comme le fruit du plus pur des hasards, la place choisie par l’expert était loin d’être anodine. Elle bénéficiait de la convergence de deux flux porteurs de la promesse de guérison. L’un émanait de l’icône du Παντοκράτωρ et l’autre provenait de l’icône de l’Annonciation.

L’au revoir a eu lieu devant la quille. À cette occasion, l’expert n’a pas tendu seulement sa main droite, mais ses deux mains qui se sont mis à envelopper d’abord la main droite du Capitaine, puis celle du mousse. Cette douce étreinte était accompagnée de ces mots très affectueux : “Prenez bien soin de vous !”

L’expertise a fait émerger la vérité sur les choses et sur les humains.

L’expert aurait pu être désagréable, caractériel, autoritaire, arrogant, imbu de sa fonction et de sa personne. Mais tel n’était pas le cas. L’ange (du grec άγγελος – ΑΓΓΕΛΟΣ, qui signifie « messager ») qui a accompli l’expertise était plein de douceur, de courtoisie et d’empathie. Son travail était minutieux, rigoureux, serein. Son message était rassurant, bienveillant, apaisant.

Ce bienfait, certes inattendu mais tellement immense, demeure inoubliable quelle que soit la tournure que prendra le dédommagement du chantier naval qui s’occupe de la remise en état du Zeph.

L’article « L’œil de la paix » s’est insurgé contre la dictature du présent. À son tour, cet article s’insurge contre la dictature du futur, proche ou lointain.

Car tout bienfait, réellement vécu comme celui apporté par l’expert venu du Pirée, n’est jamais caduc et ne peut aucunement mis au rebut.

Étymologiquement, la Médi-terranée est la Mer qui est au milieu des terres, c’est-à-dire la Mer Intérieure.

Malgré son traumatisme récent, le Zeph poursuit son voyage, non plus sur la Mer Intérieure, mais sur la Mer de l’Intérieur des êtres, avec autant de rebondissements, d’émotions et d’enseignements.

L’œil de la vérité a proposé un périple passionnant au milieu des paysages intérieurs, au pays de la Psychologie.

Tag(s) : #2023 La GRECE en CHANTIER
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