La première halte de notre périple en Anatolie était Keşan.
Le mot « Anatolie » vient du grec Ανατολή, qui désigne l’Est ou le soleil levant.
Nous nous rendons donc dans la partie orientale du cosmos grec.
Comme les voyageurs de l’Antiquité, nous avons cherché notre gîte quand le soleil était bas sur l’horizon.
Voici le poste d’accueil qui nous a proposé de profiter de son doux giron pour retrouver nos forces :
La mise en valeur du décor marbré associait intelligemment les lueurs de l’astre solaire et la technologie des hommes. Le ton était donné : l’hôte prendrait soin du visiteur de la manière la plus somptueuse possible.
Maintenant, voici notre empreinte :
Sur la photo, le Capitaine était en train de conclure le pacte de la bienséance.
Les jambes arquées parlaient de nos corps fourbus.
La poussière qui collait à nos pieds révélait notre véritable condition de routards.
Malgré notre apparence de vrais nomades, l’hôte a veillé à nous prodiguer tous les égards, comme si nous étions des émissaires du Sultan.
En public, les personnages de haut rang ont leurs chaussures bien luisantes.
À nous aussi, l’hôte nous a offert la possibilité d’avoir la même prestance à nos pieds.
À côté du chausse-pieds, était déposé un objet souple, dont la fonction était indiquée sur l’enveloppe transparente. En effet, on pouvait sur celle-ci une inscription qui était bilingue.
Dans l’actuelle langue du Détroit, c’était : « Ayakkabɪ Cilasɪ ».
Dans le même cadre, une traduction dans la langue de Shakespeare disait : « Shoe Polish ».
Il s’agissait donc d’un outil destiné à faire luire les chaussures.
Cette délicate attention de la part de l’hôte montrait qu’il faisait grand cas de la tradition. L’hospitalité est une question d’éducation quand on prend en compte le groupe social. Mais dans sa réalisation finale, l’hospitalité est surtout une volonté de l’individu.
L’hôte exprimait encore sa volonté personnelle de garantir notre bien-être en remplissant notre assiette de générosité et d’authenticité.
L’apport en protéines était assuré par le beurre, le fromage, les œufs et le saucisson de dinde :
Le fromage en torsade stimulait l’œil par la coquetterie avant d’offrir le plaisir de la mâche :
La tomate se contorsionnait de rire en voyait la morphologie rectiligne des bâtonnets de concombre :
La couleur locale voulait que l'on savoure en même temps le salé et le sucré.
Alors les frites et les figues étaient enchantées de s'accompagner mutuellement.
Les figues ont même demandé aux abricots de participer à l’osmose des saveurs :
De la même façon, l'omelette et la pastèque se mélangeaient délicieusement.
L’éclat de la pastèque et du persil était une garantie de la fraîcheur.
Le persil, tendre et odorant, couronnait merveilleusement ces associations improvisées.
Cette profusion de nourriture était mise à notre disposition sans aucune restriction, dans un décor qui signifiait la prospérité et la générosité.
La prospérité était évoquée par les formes écloses du tournesol et de la rose.
Cette prospérité n'était pas au service de l'égocentrisme. Au contraire, elle favorisait l'ouverture à autrui.
La rose était là pour rappeler que le parfum de la vie était dans le partage.
L'opulence de la terre nourricière n'atteignait la plénitude de sa raison d'être que grâce à la conscience humaine.
En l'occurrence, cette conscience empruntait des traits féminins et revêtait les habits de celles qui étaient expertes dans les travaux des champs.
Voici cette ambassadrice de la terre nourricière :
Chaque région de l'Anatolie avait son costume spécifique.
La peinture murale conférait à l'effigie la posture d'une prêtresse. L'hospitalité apparaissait alors comme une bénédiction.
Cette bénédiction était donnée en public, dans la salle de la convivialité, mais aussi dans l'espace intime, sur le chemin du repos.
En Anatolie, la rose était la messagère par excellence de la bienveillance.
La voici qui nous accompagnait jusqu'au seuil de notre chambre :
Existe-t-il des roses noires ?
Dans une photo en noir et blanc, le rouge sort noir.
La rose noire avait donc à l'origine des pétales bien rouges.
Le bichromatisme Noir et Blanc de l'art du photographe explique les pétales noirs mais pas la disparition des épines.
La disparition des épines ne s'explique pas par les lois de l'optique physique. Seule la bienveillance a le pouvoir d'ôter de la vue les épines qui blessent. Avec ce merveilleux bouquet de roses, l'hospitalité la rive Ouest du Détroit des Dardanelles s’exprime par le souhait que le visiteur jouisse d’un séjour qui ait le suave parfum de la rose sans subir aucune égratignure.
Quant aux brins d'or, ils ne s'expliquent pas non plus par les lois de l'optique physique. Le bichromatisme Noir et Blanc de la photo, qui régit l'ensemble du tableau, ne peut restituer telle quelle la couleur naturelle de l'or. Celle-ci aurait dû sortir en blanc ou en gris. Si l'or est resté or, c'est pour signifier la perception de quelque chose d'exceptionnel, d'inoubliable. L'hospitalité de la rive Ouest du Détroit des Dardanelles se traduit donc par le vœu que le visiteur connaisse des moments inoubliables, qui donnent du sens au voyage et à l'existence.