L’An Neuf vient de nous ouvrir ses bras. Quel accueil nous réserve-t-il ? Qu’attendons-nous de son hospitalité ?
Inspirons-nous du courrier que l’Anatolie nous a adressé le soir du réveillon de la Saint-Sylvestre. Voici le message qui nous est parvenu du site de l’antique Πέργαμον (en français : Pergame) :
Sevgili dostlarımız merhaba.
Acı tatlı bir yıl daha geçti. Bu yıl sizinle tanıştık. Harika iki dost kazandık.
En français :
Bonjour nos chers amis.
Une autre année douce-amère s’est écoulée. Nous vous avons rencontré cette année. Nous avons gagné deux merveilleux amis.
Le texte anatolien ne fait pas de l’angélisme, comme en témoigne l’expression « Acı tatlı » (en français : douce-amère) qui ouvre le corps de la lettre.
Le terme acı, en tant qu’adjectif, signifie amer. En tant que substantif, il désigne le piment, qui peut incommoder. On trouve acı dans le groupe verbal « acı çekmek », qui signifie littéralement « attirer ce qui blesse », c’est-à-dire « souffrir ».
Le texte anatolien commence donc par une évocation douloureuse de l’existence pour ensuite glisser vers ce qui doux (tatlı dans l’Anatolie du XXIè siècle), sans accroc, sans meurtrissure.
L’expression française « douce-amère » nomme aussi les deux saveurs, l’agréable et la désagréable. Mais le langage anatolien est plus optimiste, puisqu’il va de l’amer vers le doux, tandis que la description française emprunte le sens inverse.
Après avoir identifié les deux plateaux de la balance de 2023, le texte anatolien passe au solde, qui s’avère positif, puisque celui-ci se traduit par un gain. En effet, la conclusion de l’Anatolie est « kazandık » (en français : nous avons gagné ».
Et il ne s’agit pas d’un petit gain. Car l’adjectif harika, qui introduit la phrase du gain, a une valeur superlative : il signifie grandiose, fantastique, merveilleux, magnifique.
Ainsi, malgré que l’amer ait entravé le doux, l’Anatolie a gagné le gros lot.
Quelle est la nature de ce gain ? Est-il financier ? Territorial ? Honorifique ?
Rien de tout cela !
Le gros lot gagné par l’Anatolie est un lien social, l’un des plus nobles qui soient, et dont le Capitaine du Zeph et le mousse sont les ambassadeurs.
Ce merveilleux lien social est l’amitié.
Ainsi la trajectoire de 2024 est comme esquissée à travers ces vœux, qui font office d’oracle : nous ne pourrons pas éviter l’affrontement entre l’amer et le doux, mais nous pourrons toujours œuvrer pour que le bilan soit positif, pourvu que nous ne négligions pas les valeurs spirituelles.
Les auteurs du message qui nous est parvenu pour le réveillon de la Saint-Sylvestre étaient Ayşegül et Iskender.
Ayşegül signifie littéralement “Rose de Aïcha”. Le prénom associe deux préférences : la rose, fleur préférée de l’Anatolie, et عَائِشَة (en français : Aïcha), l’épouse préférée de Mahomet.
Quant au prénom İskender, il se réfère à Alexandre, dit le Grand, c’est-à-dire le préféré des préférés des Grecs.
La gratitude est une façon d’apporter de la douceur dans l’existence.
La Fête des Lumières, qui a lieu chaque 8 décembre à Lyon, est née d’un geste de gratitude.
Le lumignon d’origine était allumé pour remercier Marie d’avoir sauvé Lyon de la peste.
Les organisateurs de l’édition 2023 n’ont pas manqué de mettre à l’honneur la forme primitive de la flamme de la reconnaissance. En voici l’exposition au Parc de la Tête d’or :
Les lumignons de la tradition se trouvaient au premier plan et servaient de transition vers un cylindre de lumière, dont la taille illustrait la ferveur mystique et dont la nature proclamait la conscience écologique des temps modernes.
Ce spectacle contenait un enseignement, qui était la mutualisation des bonnes volontés.
La gratitude peut servir de ciment à une société.
Par leurs reflets, les lumignons de la gratitude apportaient un surcroît de poésie aux arbres environnants :
Une voûte nouvelle incitait à se tourner vers les choses d’en haut, physiquement et spirituellement.
L’imagination créatrice aidait chaque être à s’affranchir de ce qui pesait et tirait vers le bas. Voici des coquelicots qui flottaient, non pas au ras de l’eau, mais au sommet des arbres, pour dire au revoir aux esthètes à leur sortie du Parc de la Tête d’or :
Les Anciens avaient leurs jardins suspendus à Babylone.
Les Modernes ont les leurs aussi, sur les berges du Rhône, le long de la Cité Internationale.
Ainsi, l’on peut fleurir les cieux physiquement, se promener dans les airs comme dans un champ de coquelicots, s’extasier pour là-haut afin d’oublier les contrariétés d’ici-bas.
Le remède est-il universel ? Oui ! Un gazouillis spontané et élogieux, qui rassemblait le charme linguistique des quatre points cardinaux, témoignait que toutes les personnes qui cheminaient sous ce dais fleuri étaient enchantées.
Grâce à la fantaisie des artistes décorateurs, l’évasion était à la portée de tous, sans exception.
Par rapport à l’efficacité dans le temps, quelle durabilité le remède a-t-il ? La sagesse recommande une attitude raisonnable, qui est de se réjouir de la réalité de l’efficience, quelle que soit la durée de celle-ci. Car l’objectif prioritaire n’est pas de supprimer toutes les contrariétés, mais de briser leur succession interrompue.
Dans ce contexte, c’est une excellente chose que la contemplation des coquelicots qui se balançaient au sommet des arbres offrait un répit salutaire face au stress toujours plus envahissant. Et le souvenir de cette beauté aérienne n’est pas éphémère, ni vain. Car il contribue à forger la résilience.
L’art qui se déploie à l’occasion de la Fête des Lumières est une merveilleuse thérapeutique anti-stress et anti-morosité. C’est aussi un puissant stimulant qui éveille la conscience.
À titre d’exemple, la projection qui a eu lieu sur la façade de la cathédrale Saint-Jean, dans le quartier historique de Lyon, n’était pas seulement un divertissement pictural. En effet, l’artiste du XXIè siècle a inclus dans son spectacle d’illusionniste un questionnement éthique.
Géométriquement, la douceur est évoquée par la ligne courbe, lisse et sans accroc. Les extrémités pointues, qui accrochent et transpercent, auraient plutôt leur origine dans la ligne droite qui se brise.
Depuis l’Antiquité, le cercle, qui est la ligne courbe fermée la plus harmonieuse, exprime la perfection. C’est pourquoi le schéma circulaire a présidé à l’éclosion de la rosace gothique.
L’illusionniste qui faisait sa projection sur la façade de la cathédrale avait donc le choix entre se rallier à la prédominance du cercle ou s’en affranchir.
L’édition 2023 a choisi la seconde posture en projetant, sur la rosace, des formes géométriques qui n’appartenaient pas à l’univers de la ligne courbe, mais à celui de la ligne droite.
Voici la première forme géométrique qui est apparue, sans faire allégeance au schéma circulaire :
Il s’agissait d’un octaèdre (du grec oκτάεδρος, littéralement : huit faces), formé de deux pyramides soudées par une base commune carrée.
L’octaèdre possède huit faces triangulaires, douze arêtes et six sommets.
Des sommets qui piquaient.
Des arêtes qui tranchaient.
Des faces qui coupaient.
Voici la deuxième figure géométrique qui exhibait l’inspiration renouvelée :
C’était un tétraèdre (du grec τετράεδρος, littéralement : quatre faces).
Le tétraèdre possède quatre faces triangulaires, six arêtes et quatre sommets.
Des sommets, des arêtes et des faces qui pouvaient blesser.
La procession de l’indépendance par rapport à la rosace s’est poursuivie avec la troisième figure géométrique que voici :
C’était un cube.
Le cube possède six faces carrées, douze arêtes et huit sommets.
La familiarité de la forme n’enlevait rien au fait que le corps anguleux pouvait provoquer des blessures.
Après avoir présenté des spécimens de plus en plus faciles à déchiffrer, le défilé est reparti vers la complexité avec l’apparition de la quatrième figure géométrique :
Il s’agissait d’un icosaèdre (du grec εικοσάεδρος, littéralement : vingt faces).
L’icosaèdre possède vingt faces triangulaires, trente arêtes et douze sommets.
Ces sommets, ces arêtes et ces faces avaient le même pouvoir de nuisance que leurs prédécesseurs.
Arrivés à ce stade, nos amis lecteurs ont sans doute compris que l’illusionniste avait cherché à faire apparaître devant la rosace les cinq solides platoniciens.
Le cinquième, qui manquait à l’appel, était le dodécaèdre (du grec δωδεκάεδρος, littéralement : douze faces).
Le dodécaèdre possède douze faces pentagonales, trente arêtes et vingt sommets.
La représentation du dodécaèdre était plus difficile car chaque face n’était plus un triangle ou un carré, mais un pentagone. C’est pourquoi l’apparition du dodécaèdre devant la rosace était très fugitive. Néanmoins, voici le début de l’apparition du dodécaèdre, avec la première face pentagonale :
La langue française associe le concept de la ligne droite et la qualité morale qui est la droiture. Cette droiture sert la justice.
Pendant ce temps, l’univers de la ligne courbe évoque la souplesse, l’empathie, la mansuétude. La rosace, composée selon l’esprit de la ligne courbe fermée la plus harmonieuse qu’est le cercle, est donc une illustration de la miséricorde.
La projection réalisée par l’édition 2023 rappelle que le jugement est fondé sur des principes de droiture. Mais en définitive, il doit refléter la miséricorde.
C’est une excellence chose que la Fête des Lumières mette à profit l’architecture pour susciter une méditation sur l’éthique. Cette démarche est bienvenue dans l’année qui vient de commencer.
Un autre dispositif lumineux mis en place à l’occasion de la récente Fête des Lumières illustrait l’interaction entre l’univers de la ligne courbe et celui de la ligne droite.
Sur la photo suivante, le faisceau lumineux traversait la Saône d’Est en Ouest :
Le faisceau était un faisceau de lignes droites. Sur quoi aboutissait-il ? Regardez ce que cela donnait sur l’écran adossé à la cathédrale Saint-Jean :
Un ensemble de lignes courbes, qui émergeaient à peu près du même endroit, déployait leurs ondulations à la manière d’un ballet. Les premières sensations visuelles faisaient penser à un spectacle sous-marin offert par des algues, avant que la vision finale ne révèle la chevelure d’une sirène.
Dans cette mise en scène, la ligne droite, qui franchit le fleuve, faisait éclore la ligne courbe qui se trouvait sur la berge.
Pour reprendre la réflexion menée au sujet des solides platoniciens qui ont défilé devant la rosace gothique, le jugement doit d’abord se baser sur ce qui est droit et juste pour mieux faire éclore par la suite la miséricorde.
En ce premier quart du XXIè, le besoin de consolation est très grand.
La mise en valeur de l’univers de la ligne courbe, qui évoque la douceur et la compréhension mutuelle, est très appropriée.
En voici un exemple sur la place Bellecour :
La Grande Roue représentait la Roue du Temps.
À ses pieds, bourgeonnaient des sphères, immenses elles aussi.
Il pleuvait quand la photo a été prise. Les parapluies en ombres chinoises donnaient une idée du gigantisme des sphères. Celles-ci représentaient des globes semblables au nôtre. Certaines étaient reliées entre elles par des passerelles. C’étaient les passerelles de l’empathie et de l’interdépendance.
Sur la place Bellecour, la glorification de l’univers de la ligne courbe servait à proclamer que nous édifions le macrocosme en nous ouvrant à autrui.
À l’angle Nord-Ouest de la place Belle-cour, qui était le premier que l’on rencontrait quand on venait de la cathédrale Saint-Jean, bourgeonnaient aussi d’autres sphères, plus petites, que l’on pouvait entourer complètement avec ses seuls bras. C’était l’illustration de notre microcosme.
Ces univers de rondeur et de souplesse, adaptés aux ressources physiques de chacun, scintillaient d’optimisme. Œuvrons pour que cet optimisme demeure au cours des mois à venir.
L’optimisme se cultive. Il se nourrit de l’art du recul.
À ce sujet, un éminent lieu du savoir dans la Capitale des Gaules profite du passage à l’An Neuf, pour faire un rappel, qui est aussi une incitation. La démarche médiatique utilise un slogan, qui s’affiche en grand sur la façade qui regarde la gare du TGV :
« Rire du pire ».
L’affiche ne dit pas qu’il faut rire de tout.
Rire de tout, c’est banaliser le rire.
Par contre, rire du pire, c’est cibler son rire, pour qu’il serve d’antidote contre la déprime et le découragement. C’est utiliser le rire comme rebond, comme arme de la résilience.
Le rire est le propre de l’homme. Alors sans modération, usons de ce don que la nature a octroyé à l’espèce humaine. Rions, non pas pour afficher le mépris ou l’autosuffisance, mais pour dynamiser l’élan vital et fortifier l’optimisme.
La scène culturelle de la Capitale des Gaules rappelle aussi l’autre don merveilleux réservé l’humain : c’est la capacité d’aimer. Le tram qui relie La Doua, qui est le pôle du savoir à l’Est, et Confluence, qui est le pôle du savoir à l’Ouest, promène le slogan du désir :
À nos amours !
Le message fait l’apologie d’une réalité biologique, d’un impératif éthique.
Il insiste sur une urgence universelle.
Il encourage un geste qui est à la portée de tous.
De ce double atout qu’est la capacité de rire et d’aimer, le poète persan حافظ (en français : Hâfez) s’est fait le chantre.
Voici son exhortation :
به همان اندازه که نفس می کشی بخند. تا زمانی که زنده ای عشق بورز.
Ris autant que tu respires. Aime aussi longtemps que tu vivras.
از عشق مست باشید، زیرا عشق تمام چیزی است که وجود دارد.
Sois ivre d'amour, car l'amour est tout ce qui existe
Pour le poète, le rire est la continuité du souffle de vie, et même le couronnement de celui-ci. Quant à l’amour, il produit une ébriété ô combien salutaire, régénératrice et féconde !
L’hospitalité n’est pas à sens unique. C’est une interaction.
L’hospitalité de l’An Neuf sera de la manière dont nous y aurons contribué.
Alors édifions-la en suivant le conseil du poète persan qui préconise la résilience du rire et l’ivresse de l’amour.
Bonne et heureuse année à tous les amis du Zéphyros !
Καλό και ευτυχισμένο το νέο έτος σε όλους τους φίλους του Ζέφυρου !