« Horizon » se dit en grec ὁρίζοντας (transcription : horizondas), qui est le participe présent du verbe ὁρίζω (transcription : horizô). Celui-ci désigne l’action de définir par le biais des contours et des limites, spatiaux ou temporels.
Par conséquent, la ligne d’horizon définit le domaine supra-terrestre par rapport à la Terre, que celle-ci soit recouverte ou non d’eau au moment de la vision.
Voici comment le jardinier de Τήλος – ΤHΛΟΣ (en français : Tilos) fait de l’horizon le point de mire du tableau fleuri qu’il compose :
Τήλος – ΤHΛΟΣ est une île de l’archipel du Dodécanèse.
Le premier plan montre la prédilection du jardinier pour la couleur mauve du bougainvillier.
L’horizon n’est pas marqué par une ligne droite, mais par une ligne brisée qui épouse les crêtes de la chaîne montagneuse.
La ligne droite, toute lisse, fait penser à la facilité tandis que la ligne brisée évoque les efforts, qui finissent par obtenir leurs récompenses.
Vers le centre de la photo, se dresse le phare vert du port. Et légèrement en contrebas, est reconnaissable l'éolienne du Zeph.
Voici cette configuration dans une photo rapprochée, prise de nuit pour mettre en évidence la lumière verte du phare :
Le Zeph est en bout de quai, à l'entrée du port, pour bénéficier de la prérogative de ne pas se servir de l'ancre.
La lune, qui se lève au Sud, tient compagnie à la lumière verte du phare.
Renversons la perspective et orientons à présent notre regard en le dirigeant de la poupe vers la proue. Voici la nouvelle vision :
Au premier plan, c'est le pont du Zeph.
Vers le centre de la photo, à droite du mât et légèrement sous la bôme, se trouve un massif floral de couleur mauve. Les bougainvilliers de la première photo appartiennent à ce massif, qui est à flanc de montagne.
Par conséquent, le jardinier de Τήλος donne à voir l'horizon d'un jardin suspendu, inspiré par le célèbre modèle mésopotamien.
Comme en Mésopotamie, le jardin s'élève degré par degré en s'appuyant sur des terrasses. Voici celles de l'Est :
Les cascades de bougainvilliers parodient la falaise abrupte. Extase à droite de la photo, vertige à gauche.
À l'arrière-plan, le phare vert et le Zeph demeurent reconnaissables au milieu de cette charmante quiétude.
Le mur oriental du jardin reçoit un double ornement végétal : le laurier pour l'étage supérieur, et le bougainvillier pour l'étage de dessous.
Le glissement vers l'horizon se fait dans la même tonalité mauve.
Une arcade marque la transition entre l'escalier de bienvenue et la promenade qui a lieu dans un plan parallèle à l'horizon.
C’est la solennité de l’accès au plan horizontal qui est ainsi évoquée.
L’arcade fonctionne comme un arc de triomphe sous lequel passe une sorte de voie royale qui est magnifiée par une haie d’honneur.
Voici la rangée côté mer :
Elle se déploie en surplomb de l’eau. On y perçoit la rigueur de la discipline.
Et voici l’autre rangée, qui est du côté terre :
L’expansivité est manifeste.
L’altitude de la voie royale permet le tutoiement avec l’horizon :
Le bougainvillier est tout proche, à portée de main. La perspective fait que la montagne qui est à l’horizon semble également à portée de main.
L’art du jardinier rétrécit la mer et rapproche l’horizon.
La magie du jardin annexe l’horizon.
Dans ce jeu inévitable entre le jardin suspendu et l’horizon, il y a des trésors d’humour, qui sont éblouissants, même au sens propre. Voici l’un d’eux :
Le jardin se fait encore plus somptueux en faisant miroiter ses pétales translucides. Ceux-ci dansent grâce au souffle de la mer. Il en résulte un ballet de clins d’œil tous aussi charmeurs les uns que les autres, dont le but est de séduire l’horizon, qui perd déjà contenance.
Le magicien de ce flirt s’appelle contre-jour.
Et comme le jardin suspendu est orienté plein sud, le magicien est omniprésent.
Le jardinier profite de ce jeu avec l’horizon pour faire éclore des rêves ou pour en faciliter l’accomplissement.
En voici un magnifique exemple :
Une mer de pétales chatoyants surplombe une eau limpide. Le rêve de faire corps avec un tel substrat du cosmos est inévitable. Initialement onirique, l’immersion devient réalité grâce à une idée géniale du jardinier.
En effet, observez bien la frontière sinueuse entre le mauve et le bleu. Vers le milieu de cette frontière, une excroissance triangulaire semble surgir du domaine mauve pour rejoindre l’onde bleue. C’est la trouvaille géniale du jardinier qui pointe le bout de son nez.
Penchons-nous un peu plus en avant pour mieux voir. Voici ce que nous pouvons voir :
L’avancée triangulaire est le museau d’une jetée qui relie le jardin à la mer. On passe par là pour s’immerger dans l’onde bleue.
À l’extrémité de la jetée est installée une banquette amovible, coiffée d’un toit pour faire de l’ombre. L’installation est dédiée à la contemplation du grand large. Dans cette contemplation, on est face à l’horizon réel, qui se trouve à la même hauteur.
Mais il est fort peu probable qu’à ce moment-là, la motivation du regard contemplatif vienne du face à face avec l’horizon de la géophysique. Ce qui donne réellement sens à la contemplation à partir de ce lieu, c’est le souvenir de la voie royale qui nous observe depuis là-haut. Autrement dit, cette voie royale bordée de splendides bougainvilliers devient l’horizon dans l’imaginaire créé par l’ingéniosité du jardinier.
Nous avons emprunté la voie royale en venant de l’Est. La voici qui débouche à l’Ouest :
Les deux rangées de la haie d’honneur se mélangent dans une vive allégresse. On se retrouve comme au milieu d’un feu d’artifice, où chaque étincelle qui retombe se métamorphose en pétale.
Il y a plusieurs degrés d’incandescence. Certains donnent des reflets ocres. D’autres produisent des reflets argentés :
L’horizon qui préoccupe désormais le visiteur n’est plus un repère spatial, mais un objectif psychique, qui est le bien-être.
Le jardinier a prévu un arc de triomphe pour le début de la voie royale. En toute cohérence, celle-ci se termine par un autre arc de triomphe. Voici l’arc de triomphe qui nous dit au revoir :
Le magnifique spectacle du jardin suspendu est offert à tous les visiteurs, sans aucune contrepartie.
Le jardinier de Τήλος n’a pas surélevé l’horizon, il a préféré prendre de la hauteur pour mieux se définir par rapport à celui-ci.
Il n’a pas pris en compte un trait nu, mais une surface mouvementée qui était le flanc de la montagne.
À l’horizon de la passivité, il a substitué celui de la curiosité.
Grâce à sa créativité, l’horizon se meut, s’habille et se métamorphose en féerie.