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La mère rend visite à son fils tous les jours, à l’heure du coucher de soleil.

Quand elle sort de chez elle, voici l’horizon qui se déploie devant ses yeux :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’arrière-plan de la photo, se dresse la silhouette d’un moulin à vent. Le corps cylindrique est blanc tandis que le toit conique apparaît en marron. Quant aux ailes, les extrémités des toiles enroulées autour des vergues exhibent la belle transparence que leur procure le contre-jour.

Le moulin ne produit plus de farine. Il est reconverti en hôtel.

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

En contrebas du moulin, se trouve un chantier naval, où un gros chalutier à la coque écarlate attend d’être réparé.

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

C’est par là-bas, la demeure du fils.

La mère emprunte le chemin côtier pour rejoindre la montée qui commence au niveau du chantier naval.

Voici l’horizon pour la route du retour :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’astre solaire est dans notre dos. Tout ce qui est éclairé bénéficie de la magnifique lumière dorée du soleil couchant.

Au centre de la photo, le moulin à vent apparaît comme un bijou. Sur sa droite, l’ocre terrestre s’avance dans le bleu foncé de la mer. À l’extrémité de cette excroissance, se dresse un phare. C’est le phare vert du port où est amarré le Zeph.

Sur la gauche de la photo, prend place le portail qui mène à la demeure du fils. Le portail est surmonté d’un fronton triangulaire pour rappeler la filiation par rapport à l’Antiquité.

Nous sommes sur l’île appelée Eπάνω Kουφονήσι (transcription : Épanô Koufonisi), qui fait partie de l’archipel des Kουφονήσια – ΚΟΥΦΟΝHΣΙΑ (transcription : Koufonisia).

Grammaticalement, Kουφονήσια (transcription : Koufonisia) est un pluriel. C’est le pluriel de Kουφονήσι (transcription : Koufonisi). C’est pourquoi le qualificatif Eπάνω (transcription : Épanô), qui signifie « au-dessus », est accolé au nom pour indiquer avec plus de précision qu’il s’agit de l’île qui se trouve le plus au nord dans l’archipel.

Voici l’horizon qui s’offre au regard de la mère quand elle vient de franchir le portail qui la rapproche de son fils.

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les reflets d’or sur le seuil mouillé par l’ondée proclament que l’or du temps est présent dans la vive émotion que suscitent les retrouvailles de la mère avec son fils bien-aimé.

La demeure du fils se trouve sur la droite de la photo, de l’autre côté de la porte encadrée par les deux piliers blanchis à la chaux.

Lors de sa première visite, le mousse a suivi cet itinéraire en ignorant tout des êtres qui habitaient ce lieu. C’étaient les dernières lueurs du soleil couchant qui motivaient ses déplacements. Et il a fini par dénicher le cadrage de rêve que voici :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La lumière dorée de l’astre diurne traverse un double espace consacré à la transparence : la vitre rectangulaire de la lanterne, puis le cœur d’éther.

Seule la pureté du cœur permet de jouir de toute la splendeur du cosmos.

Et dans la jouissance de cette plénitude, il y a nécessairement un message d’espoir concernant la condition du gisant.

La richesse spirituelle qu’apporte le phénomène d’optique impose que la prise de vue soit effectuée avec le plus grand soin. Les tâtonnements du mousse pour obtenir une qualité optimale semblent intriguer une silhouette féminine qui s’affaire à gauche, au même moment. Pour la rassurer, le mousse lui dit :

“To φως μέσα από την καρδιά”

 

En français :

« La lumière à travers le cœur »

 

Le mousse découvre que sa phrase déclenche un grand émoi chez son interlocutrice. En effet, celle-ci a compris que le visiteur parlait de l’organe qu’elle avait dans sa poitrine. Puis quand elle voit l’index pointé sur la stèle de marbre avec le cœur sculpté, elle se rend compte du malentendu et s’en trouve très désolée. Pressentant les contours d’une tragédie, le mousse s’empresse de dire à son interlocutrice :

Δεν πειράζει !

Littéralement : « Ça (ce malentendu) n’a pas d’importance ! »

La Grecque remercie le mousse pour la gentillesse de celui-ci. Le flair féminin lui dit qu’elle peut désormais parler à cœur ouvert. Elle dit alors sa peine inconsolable, celle d’avoir perdu son fils qui n’avait que vingt printemps.

Enfin, le mousse comprend pourquoi le malentendu de tout à l’heure a eu lieu. La cause n’est pas une élocution défaillante ou une écoute distraite, ni l’emploi inapproprié d’un terme. La vraie raison n’est pas une question de linguistique, mais une question d’optique. En effet, la Grecque n’avait pas présent à l’esprit l’horizon du soleil couchant qui se découpait à travers le cœur sculpté, mais l’horizon du deuil, d’un deuil dont elle ne semble pas se remettre.

Tout de suite à gauche de la tombe avec le cœur sculpté, se trouve celle dont prend soin la mère éplorée. Le nom du fils disparu est écrit sur la stèle, qui est complètement à l’ombre. À côté de la croix, apparaissent ces mots :

ΣΙΜΟΣ ΡΟΥΣΣΕΤΟΣ

ΔΕΑ ΠΕΖΙΚΟΥ

ΕΤOΝ 20

 

En français :

SIMOS ROUSSETOS

OFFICIER D’INFANTERIE

ÂGE 20

 

La première ligne mentionne le nom du disparu.

La deuxième ligne indique sa fonction.

La troisième ligne chante sa jeunesse.

L’horizon de la mère n’est pas une donnée spatiale, mais temporelle. C’est l’horizon des vingt ans auxquels son fils bien-aimé a accédé.

Sous la déclaration d’identité, est exposé un portrait en uniforme :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le portrait est présenté dans un livre ouvert, qui est le livre du souvenir.

Le portrait se trouve sur la page de gauche.

Sur l’autre page, sont rédigées les lignes suivante :

Aπο καιρό ζήλευες

τους ουρανούϛ

και σαν τους κατέκτησες

αποφάσισες να μείνεις

εκεί…

 

Littéralement :

 

Depuis longtemps tu as jalousé

les cieux

et de la façon dont tu les as conquis

tu as décidé de rester

là-bas…

C’est une oraison funèbre.

De manière poétique, il y est dit que le soldat a perdu sa vie au cours d’une mission dans les airs.

Le dessin qui soutient le texte comporte deux paires d’ailes. Une paire se déploie dans le sens horizontal tandis que l’autre se dresse dans le sens de la hauteur. Les deux orientations évoquent la maniabilité dans n’importe quelle direction.

De plus, l’axe de symétrie commun aux deux systèmes ailés est occupé par un parachute, qui fait le lien entre le ciel et la terre.

L’horizon de la mère est celui du parachute, suspendu au bon vouloir du destin.

L’hommage officiel met en avance la figure du héros.

Mais l’horizon maternel, meurtri par le deuil, ne guérit pas grâce au chant de gloire, mais grâce au baume de la tendresse. C’est pourquoi l’effigie centrale, celle que l’on voit en premier, montre le tendre sourire du vingtième printemps :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Sur ce portrait principal, l’uniforme n’apparaît pas.

L’horizon de l’amour maternel veut se reconstruire grâce au souvenir du temps de l’innocence.

L’innocence va de pair avec la simplicité. Voici un témoignage de compassion, bouleversante de simplicité :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La pierre, qui a un contour très proche de celui d’un cœur, porte l’inscription suivante :

MIA ΣΤΙΓΜΗ

ΕΙΝΑΙ ΟΛΑ

ΛΕΙΠΕΙΣ

 

Littéralement :

UN INSTANT

EST TOUT

[TU NOUS] MANQUES

De quel instant parle ce texte ?

De l’instant qui a fait tout basculer et qui a enseveli tout l’horizon dans la détresse ?

C’est la version tragique. Mais il y a aussi une version optimiste.

Effectivement, l’amour est tel qu’il peut aussi faire le vœu de revoir rien qu’un seul instant le disparu et cette faveur est énorme, comme si c’était tout l’univers qui était donné en cadeau.

En tout cas, l’attente est un horizon infini de manque.

La mère fait le tour de la demeure de son fils pour s’assurer que tout est en ordre. Quand elle passe derrière le chevet, elle peut voir l’horizon flamboyant se refléter sur l’église qui se trouve à proximité du portail d’entrée.

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Le vent qui agite la surface de réflexion donne de temps à autre l’impression qu’un énorme incendie est en train de se déclencher.

Mais cet embrasement ne semble pas retenir l’attention de la mère, qui attache plus d’importance à la combustion des boules d’encens, qu’elle fait brûler à la manière des Anciens, pour souhaiter une douce nuit à son fils :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’horizon maternel épouse la sinuosité des volutes odorantes.

La mère est reconnaissante au mousse pour l’empathie de celui-ci.

Grâce au rituel du coucher de soleil, la mère s'attache au mousse, et inversement.

Pour le dernier soir du Zeph sur l’île, la mère a signifié clairement au mousse que désormais il faisait partie de l’horizon maternel. Quelle bouleversante révélation !

Ce jour-là, un groupe d’une vingtaine de Grecs, parlant parfaitement le grec, est venu contempler le coucher du soleil derrière la demeure du fils. Ils se sont intéressés à l’horizon rougeoyant et aux ailes dorées du moulin à vent. Mais ils sont restés étrangers au chagrin de la mère. Alors celle-ci ne leur a pas adressé un seul mot, en dépit de la langue maternelle qui était commune. Comme pour les jours précédents, la mère a échangé avec le mousse des mots aimables et des gestes de sympathie. Puis avant de repartir, elle a absolument tenu à montrer au mousse la pleine lune, qui venait de se lever, et qui n’était visible, à ce moment-là, que d’un certain endroit.

Partager ensemble le spectacle de la pleine lune, c'est s'offrir mutuellement la vision de la plénitude.

Voici la pleine lune à travers les vergues du moulin à vent :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’horizon de la mère donne de l’élévation à la pensée.

Pour dire au revoir au mousse, la mère lui offre un cadeau cosmique, symbole de l'harmonie. Quel beau geste !

La pleine lune, que la mère a présentée au mousse, accompagne celui-ci pendant le trajet de retour au bateau.

Voici le port :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les deux phares qui gardent l’entrée du port sont bien visibles. Sur la photo, le phare vert est à gauche. Sur le quai extérieur, le mât le plus proche du phare vert est celui du Zeph.

La douce lumière de la lune rappelle la douce présence de la mère.

Voici le Zeph avec les dernières lueurs du crépuscule :

 

L'horizon de la mère

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

À l’arrière-plan, les dernières lueurs du crépuscule colorent l’horizon. C’est là-bas que la mère rend visite à son fils bien-aimé. C’est là-bas aussi que le mousse a connu l’un des plus beaux témoignages d’affection venant de la Grèce, qui rendent le voyage si émouvant.

Tag(s) : #2022 CYCLADES & DODECANESE
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