Il avait une enfance heureuse, baignée de soleil et d’insouciance.
Il était né à Αγία Τριάδα – AΓΙΑ ΤΡΙΑΔΑ (en français : Ayia Triada), dans la partie orientale de la Crète.
Parmi ses souvenirs de jeunesse, il y avait celui où son rivage préféré servait de halte à des pêcheurs d’éponges, qui avaient pris la mer depuis Κάλυμνος – ΚΑΛΥΜΝΟΣ (en français : Kalymnos) et qui repartaient ensuite vers les côtes libyennes.
Souvenirs d’un temps où l’horizon était extensible à souhait, d’une époque où différents mondes s’ouvraient les uns aux autres, librement, avec aisance et confiance.
Hélas, le temps de l’insouciance a pris fin brutalement, quand une visite médicale à l’école a révélé sur son corps les symptômes de la maladie la plus redoutée : la lèpre. L’effroi, le doute et le chagrin ont fait irruption dans sa vie, à l’âge de douze ans.
Il fallait réagir, pour le court terme, le moyen terme et le long terme.
Pour le court terme, il fallait réagir vite, mais astucieusement. Pour deux raisons au moins. D’abord, à cause de l’infamant statut social que les victimes de cette maladie avaient à subir. Ensuite, à cause du danger territorial, car la Crète d’alors abritait en son sein un enclos concentrationnaire qui s’appelait Σπιναλόγκα – ΣΠΙΝΑΛΟΓΚΑ (en français : Spinalonga).
Nous étions en 1926. Sur tout le territoire grec, les lépreux étaient interdits de vote, effacés des registres des droits civiques. Ils étaient traqués pour être châtiés comme des criminels.
La peur chez ceux qui étaient encore bien-portants a détérioré les nerfs de leur lucidité pour punir les malades comme si ceux-ci étaient responsables de la maladie, aléatoire mais si terrifiante, qui rongeait leur propre organisme.
La Grèce a cherché à extirper du corps social les furoncles de l’infortune.
De plus, le lieu de l’enfermement carcéral appartenait à l’île natale du jeune écolier malchanceux.
Il y avait donc une double relégation. Pour éviter la double peine, morale et physique, la famille du jeune Crétois l’a donc exfiltré vers Athènes, où il a rejoint sa sœur aînée, Μαρία – ΜΑΡΙΑ (en français : Maria), déjà en exil pour les mêmes raisons.
Dans la capitale grecque, le jeune Crétois, qui se prénommait Επαμεινώνδας – EΠΑΜΕΙΝΩΝΔΑΣ (en français : Épaminondas), a appris à mener une vie semi-clandestine tout en poursuivant ses études. Il projetait même de devenir avocat.
L’élève jouait à cache-cache avec les contrôles policiers pendant que la maladie jouait à colin-maillard avec le corps.
L’espoir de guérison était une flamme exposée aux caprices du vent. Mais tant que celle-ci ne s’éteignait pas, il fallait persévérer sur le chemin de la connaissance. Et ce chemin a franchi les portes de l’Université Kapodistrienne d’Athènes.
Puis il a gravi une à une les marches pour arriver jusqu’à la troisième année de la Faculté de droit. C’était l’année des vingt-et-un ans de Επαμεινώνδας, le Crétois.
Année qui, a priori, n’avait rien de particulier par rapport au cursus universitaire.
Mais année décisive par rapport au projet de vie de l’étudiant Επαμεινώνδας, car elle a été honteusement éclaboussée par la malchance. Le lépreux en sursis, qu’était l’étudiant Επαμεινώνδας, a été dénoncé à la police, qui s’est ensuite chargée de l’enfermer dans la prison pour lépreux, qui avait pour nom Αγία Βαρβάρα – AΓΙΑ ΒΑΡΒΑΡΑ (en français : Ayia Varvara) et qui se trouvait dans la banlieue Nord-Ouest d’Athènes.
En vérité, cette vilenie dénonciatrice a fait deux victimes, qui étaient, d’abord, Μαρία, la sœur aînée de l’étudiant, puis l’étudiant lui-même.
Μαρία, plus durement frappée par la maladie, a été envoyée directement à Σπιναλόγκα, le lieu d’ignominie, pour y être internée.
Après ce premier acte de purification, la police athénienne a procédé au second, qui a conduit l’étudiant Επαμεινώνδας à la prison sanitaire Αγία Βαρβάρα, dans la banlieue Nord-Ouest d’Athènes.
Mais on ne distend pas aussi facilement le lien de sang qui unit deux Crétois.
Par solidarité familiale, l’étudiant Επαμεινώνδας a refusé la douloureuse séparation et il a décidé d’aller rejoindre sa sœur bien-aimée au lieu que la presse athénienne appelait « το νησί των ζωντανών νεκρών » (en français : « l’île des morts-vivants »).
L’étudiant en troisième année de droit ne pouvait ignorer la signification d’une telle renommée. Pourtant, il a résolu d’y affronter son sort, d’y convoquer la chance que l’administration des hommes et le savoir des médecins lui ont refusée jusqu’à ce jour.
Fanfaronnade ? Rien de tout cela ! Au contraire, la décision courageuse de l’étudiant Επαμεινώνδας montrait son sens des responsabilités. En effet, entre lui et sa sœur, c’était lui qui détenait l’espoir de guérison le moins amoché à ce moment-là et donc le devoir lui incombait d’être un soutien moral pour sa sœur, en continuant à être près d’elle, physiquement, pour combattre ensemble la terrible corrosion du lieu carcéral. Ensemble, ils se cramponneraient à l’espoir de guérison. Ensemble, ils lutteraient pour progresser vers la guérison.
Déjà à ce stade, le geste de solidarité familiale témoignait que le projet de vie de l’étudiant en droit était entièrement consacré à l’altruisme.
Σπιναλόγκα, l’île où le courageux Επαμεινώνδας rejoignait sa sœur Μαρία, était connue pour sa forteresse vénitienne.
La Sérénissime y avait érigé une merveille. Mais pour les lépreux qui y étaient parqués par la Grèce, ce n’était pas la beauté de l’architecture militaire qui occupait leur champ de vision, mais leur chance de survie. Et celle-ci était extrêmement faible, voire nulle pour certains.
En effet, aucune embarcation qui ne relevait pas de l’administration pénitentiaire n’était autorisée dans les parages, pour éviter toute tentative d’évasion.
Certains, qui se trouvaient au pire moment de leur désespoir, ont quand même tenté de s’évader. Les uns, en traversant les flots à la nage. Les autres, en se suicidant. Les deux modalités étaient différentes. Mais au bout du compte, le résultat était le même : Σπιναλόγκα retenait dans son filet funeste toute personne qui avait le malheur d’y entrer.
C’est pourquoi, à l’entrée de la place forte, un écriteau affichait ces mots effrayants : « Ο εισερχόμενος να αποθέσει κάθε ελπίδα »
Littéralement : « Que l’entrant dépose chaque espoir ».
Conseil ou menace ?
La forme verbale était un subjonctif : c’était plus qu’une recommandation, c’était une injonction.
Déposer, comme on dépose les armes en signe de reddition.
Ce qui signifiait que le combat était fini, définitivement fini. Que toute tentative d’insoumission était vaine, absolument vaine.
Intimidation ?
C’en avait tout l’air.
Mais le jeune homme qui avait étudié le droit pendant trois années à l’Université d’Athènes ne l’entendait pas de cette oreille. Mais pas du tout !
De quelle arme l’écriteau voulait-il que ceux qui semblaient vaincus par la maladie se séparent ? De l’espoir. Et l’adjectif « κάθε » (littéralement : chaque) était là pour insister sur le fait que toute sorte d’espoir, y compris le plus ténu, devait être banni.
Puisque l’espoir se voyait refuser le droit d’entrer, l’intelligent Επαμεινώνδας allait s’employer à introduire quand même cet espoir à l’intérieur de la citadelle, non pas en amenant cet espoir depuis l’extérieur, mais en le faisant naître de l’espace ceinturé par les murailles.
Projet ambitieux. Bel idéal.
Au moment où l’étudiant a décidé de rejoindre sa sœur sur l’île pénitentiaire, le journaliste Θέμος Κορνάρος – ΘΕΜΟΣ ΚΟΡΝΑΡΟΣ (en français : Thémos Kornaros) écrivait que les lépreux étaient « πεταμένοι σαν κοπριά σ᾽ έναν κοπρόλακκο βρωμερό, που λέγεται Σπιναλόγκα » (littéralement : « jetés comme du fumier dans une bouse immonde appelée Spinalonga ».
La description était d’une noirceur effroyable. Certes elle correspondait à la stricte réalité. Mais elle ne laissait entrevoir aucune perspective d’amélioration.
Quant à l’étudiant en troisième année de droit, voici l’analyse qu’il a faite de la situation :
« Ο θάνατος. Μέσα στη Σπιναλόγκα. Όλα προχωρούσανε προς το θάνατο. Γιατί το πνεύμα της δημιουργίας δεν υπήρχε. »
Littéralement :
« La mort. À l'intérieur de Spinalonga. Tout se mouvait en direction de la mort. Parce que l'esprit de la création n'existait pas. »
Le clairvoyant Επαμεινώνδας constatait l’hégémonie de la condition mortifère. Mais il pointait aussi du doigt la cause de ce pouvoir absolu : ce pouvoir absolu fonctionnait parce qu’aucun contre-pouvoir ne s’est présenté. En la circonstance, le seul contre-pouvoir à portée de main était la « création ». Quelle sagesse ! Quel pragmatisme !
« Tout ce qui se mettait en branle ne poursuivait qu’un seul objectif : la mort »
Le sujet de la phrase (« Όλα », en français : tout, c’est-à-dire la totalité des processus) indiquait une convergence.
Le verbe de la phrase (« προχωρούσανε », littéralement : avancer vers), qui décrivait l’irrésistibilité de la marche vers la mort n’était pas à l’aoriste, mais à l’imparfait : ce temps de la conjugaison signifiait que la nocivité de la situation a duré, perduré.
L’antidote à mettre en place s’appelait « η δημιουργία » (en français : la création).
Autrement dit, il s’agissait de s’inventer un nouveau monde, par le geste d’amour ou par l’élan artistique.
Mobiliser les ressources du cœur et de l’esprit pour faire fi de la dégradation du biologique.
Les yeux du cœur ne voient pas la défiguration. Le regard de l’esprit corrige la distorsion.
Dès cet instant, le révolutionnaire Επαμεινώνδας tirait hors du champ strictement biologique l’être frappé par la maladie, pour que celui-ci s’affranchisse plus aisément du sentiment d’impuissance.
N’est pas mort le cœur qui est encore capable d’aimer.
N’est pas condamné à mourir l’esprit qui peut encore se consacrer à l’art.
Le futur avocat, dont la carrière a été brisée par la lèpre, a eu l’intelligence et l’audace de proclamer que le biologique, défaillant ou triomphant, n’était pas le facteur décisif, et que l’heureuse issue s’obtiendrait seulement grâce à la volonté et l’opiniâtreté.
Dans son formidable élan vital, il a entraîné avec lui la communauté des infortunés pour faire un pied-de-nez à la fatalité, en initiant un renouveau fait de dignité et de fraternité. Dans cette nouvelle société, l’espoir y avait-il sa place ?
Dans cette société du sursis, des mariages avaient lieu, des enfants naissaient, des élèves allaient à l’école.
Dans cette société de la grâce temporaire, un théâtre a été installé. Un cinéma, aussi. Un salon de coiffure a été créé. Les rues devenaient électrifiées. Et de la musique classique se répandait dans les espaces de circulation grâce à des haut-parleurs.
L’espoir existait bel et bien, à travers la jouissance de l’instant présent.
Ainsi, d’heure en heure, de jour en jour, de mois en mois, et d’année en année, les détenus de Σπιναλόγκα espéraient se rapprocher de l’horizon de la guérison.
1948 a fait briller la première lueur d’espoir du côté de la science. En cette année-là, un médicament a été trouvé. Hélas, le valeureux Επαμεινώνδας a perdu l’usage de ses yeux l’année d’avant. À un an près, sa vue aurait pu être sauvée !
L’amertume du regret est naturelle. Il est sensé de déplorer que les bienfaits de la science n’aient pas d’effet rétroactif. Car la maladie est un non-sens. Quant à la disparition des êtres chers, c’est une pure absurdité.
L’île pénitentiaire a fermé ses portes en 1957 après la diffusion du traitement de la dapsone. Il restait une vingtaine de survivants, qui seraient transférés à Athènes.
Voici la porte qu'ils ont franchie pour sortir de l'ignoble enceinte :
L’infatigable Επαμεινώνδας faisait partie de ce cortège historique.
À cet instant-là, Σπιναλόγκα a fermé ses portes, mais pas ses mémoires. Car un serviteur du Très-Haut devait rester encore sur le lieu pour veiller les morts.
Voici le cimetière de Σπιναλόγκα :
La liturgie orthodoxe demande que pour chaque départ dans l’outre-tombe, la veillée mortuaire ne s’interrompe pas pendant cinq ans.
Un corps inhumé tombe en poussière au bout de trois ans. Dans ce cas, pourquoi faut-il le veiller au-delà de cette durée ? Parce que tout ne s’arrête pas au moment du retour à la poussière. L’espoir de la guérison y est enfoui, mais non anéanti. La guérison, complète et définitive, aura lieu lors du Relèvement.
Le denier livre des Écritures grecques parle de ce jour fantastique en ces termes :
καὶ ἐξαλείψει πᾶν δάκρυον ἐκ τῶν ὀφθαλμῶν αὐτῶν καὶ ὁ θάνατος οὐκ ἔσται ἔτι οὔτε πένθος οὔτε κραυγὴ οὔτε πόνος οὐκ ἔσται ἔτι ὅτι τὰ πρῶτα ἀπῆλθαν
Η Αποκάλυψη του Ιωάννη. Κεφάλαιο κα’. Στίχος δ’
Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. La mort n'existera plus, il n'y aura plus ni deuil, ni cris, ni souffrance. Oui, le monde ancien a disparu.
La Révélation de Jean. Chapitre 21. Verset 4
En ce Jour du Relèvement, toute forme de souffrance aura disparu.
Le dévoué Επαμεινώνδας sera lui aussi relevé d’entre les morts, mais sans la cécité, sans la chair abîmée, sans les os rongés, sans les cordes vocales détruites. On l’identifiera sans peine au jeune homme qui apparaît sur cette carte d’étudiant :
Sur le volet qui apparaît à gauche de la photo, on peut lire, tout en haut :
ΕΘΝΙΚΟΝ ΚΑΙ ΚΑΠΟΔΙΣΤΡΙΑΚΟΝ
ΠΑΝΕΠΙΣΤΗΜΙΟΝ ΑΘΗΝΩΝ
En français :
UNIVERSITÉ NATIONALE ET KAPODISTRIENNE D’ATHÈNES
Juste au-dessous, est écrit : Αριθ. Μητρώου
C’est l’abréviation de Αριθμός Μητρώου (en français : numéro d’inscription). Le numéro attribué est écrit à la main : 6563.
À mi-hauteur, on trouve
ΔΕΛΤΙΟΝ ΑΝΑΓΝΩΡΙΣΕΩΣ
ΤΟΥ ΦΟΙΤΗΤΟΥ
THΣ ΝΟΜΙΚΗΣ ΣΚΟΛΗΣ
Littéralement :
CARTE D’IDENTIFICATION
DE L’ÉTUDIANT
DE L’ÉCOLE DE DROIT
Puis, viennent deux lignes remplies à la main.
Celle du dessus nomme l’étudiant : Επαμεινώνδας Ρεμουντάκης.
(transcription : Épaminondas Rémoundakis). D’abord, le prénom. Puis, le patronyme.
La ligne suivante indique le lieu d’origine de l’étudiant : Σητεία Κρήτης.
(en français : Sitia de la Crète)
Au-dessous encore, une ligne est complétée à la main :
Eν Αθήναις τη ..................193… pour la partie imprimée.
Avec l’adjonction de l’écriture manuscrite, on lit :
Eν Αθήναις τη 26-5- 193 4
En français :
Fait à Athènes, le 26-5- 193 4
Pour finir, il y a l’emplacement pour deux signatures.
L’emplacement de gauche est destiné au patron : Ο ΠΡΥΤΑΝΙΣ
(en français : LE RECTEUR)
L’emplacement de droite est réservé à son bras droit : Ο ΓΡΑΜΜΑΤΕΥΣ
(en français : LE SECRÉTAIRE)
Maintenant que nous connaissons un peu mieux l’étudiant par rapport à sa situation administrative, découvrons-le physiquement, grâce au volet qui trouve à droite de la photo.
Vers le bas de la photo d’identité, sur un timbre dont on voit encore la bordure crénelée, sont imprimées ces lignes :
Ισχύει
από 1 Oκτώβ. 193...
μέχρι 31 Mάρτ. 193...
O γραμματεύς
Complétées à la main, elles deviennent :
Ισχύει
από 1 Oκτώβ. 193.4.
μέχρι 31 Mάρτ. 193.5.
O γραμματεύς
En français :
Est en vigueur
du 1 Octob. 193.4.
jusqu’au 31 Mars 193.5.
Le secrétaire
Les dates complétées à la main montrent que le document a été établi l’année où le jeune Crétois avait ses vingt printemps. C’était aussi la dernière année où il disposait encore de son entière liberté.
Il avait avec lui la beauté, l’intelligence et la bonté quand il étudiait le droit sur les bancs de l’Université.
L’épreuve de la lèpre n’a pas entaché ni son intelligence, ni sa bonté.
Le Jour du Relèvement lui redonnera la beauté, comme si elle ne s’était jamais fanée à Σπιναλόγκα.
Μαρία, la sœur bien-aimée, bénéficiera aussi du Relèvement promis.
Une illustration de cet instant tant espéré se trouve à Menton.
Du temps où le Zeph courtisait la Riviera, nous aimions beaucoup flâner à Menton.
Pour cette saison qui vient de s’achever, le chemin du retour en France passait aussi par Menton. Sur la photo suivante, l’horizon éclairé indique les confins de l’État italien, que nous avons franchis avant de pénétrer dans l’Hexagone.
Le Vieux Port, pittoresque et charmant, se déploie à droite de la photo.
Le premier-plan est occupé par la pénombre de la fin de l’après-midi.
Toujours sur la droite, une tombe s’ouvre. Le couvercle redressé laisse sortir une silhouette féminine.
La vue de profil livre un spectacle encore plus saisissant du côté Sud :
À la base du couvercle redressé, l’artiste a matérialisé le passage de l’air par une dynamique des étoffes. Le mouvement de la tunique montre clairement qu’il s’agit de l’air qui sort, et non de l’air qui entre.
Autrement dit, l’ouvrage d’art n’évoque pas le moment où la tombe se referme, mais celui où elle s’ouvre.
La cambrure de la silhouette féminine donne à voir la beauté de l’envol vers l’air libre.
Le mouvement ascensionnel est sculpté comme un arrachement à l’emprise de la toiture figée, composée d’écailles.
D’ordinaire, les écailles font penser aux poissons et à la mer, où ils vivent.
Cette allusion à la mer, au Jour du Relèvement, peut être éclairée par Les Écritures grecques.
Effectivement, le livre de la Révélation, cité précédemment, précise le contexte où s’accomplira la promesse de la disparition de la souffrance. Voici les mots qui introduisent le chapitre 21 :
καὶ εἶδον οὐρανὸν καινὸν καὶ γῆν καινήν ὁ γὰρ πρῶτος οὐρανὸς καὶ ἡ πρώτη γῆ ἀπῆλθαν καὶ ἡ θάλασσα οὐκ ἔστιν ἔτι
Η Αποκάλυψη του Ιωάννη. Κεφάλαιο κα’. Στίχος α’
Et j’ai vu un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car l’ancien ciel et l’ancienne terre avaient disparu, et la mer n’existe plus.
La Révélation de Jean. Chapitre 21. Verset 1
Le texte grec parle de l’installation d’une nouvelle administration du cosmos, qui remplacera l’ancienne, souillée par la corruptibilité.
Mais le texte grec mentionne aussi, à la fin du verset, la disparition de la « mer ». Non pas la mer en tant qu’espace physique, mais la mer en tant que source d’instabilité et symbole de désordre.
Le monument funéraire de Menton proclame avec conviction que l’humanité s’affranchira, lors du Jour du Relèvement, de la mer des larmes.
Lorsque l’étudiant Επαμεινώνδας a rejoint sa sœur Μαρία sur l’île pénitentiaire qu’était Σπιναλόγκα, leur avenir était cerné de toutes parts par une mer d’ignominie et de détresse.
Quand viendra le Jour du Relèvement, leur espoir de guérison sera totalement comblé. Délivrés de la mer de chagrin, qui est impitoyable, le frère et la sœur pourront de nouveau partager le bonheur de l’insouciance, comme du temps où ils étaient sous le même toit paternel.