Elles appartiennent à la même famille, mais ne sont pas de la même génération. Un lien affectif très fort les unit.
Du jour au lendemain, elles ne peuvent plus se revoir, encore moins se serrer dans les bras l’une de l’autre.
Piégée par des circonstances violentes, l’une d’elles s’est retrouvée confinée. De plus, le fait que l’organisme a incorporé certains germes déclenche des mesures drastiques pour ce confinement.
L’être qui est encore dehors n’en peut plus de ne pas pouvoir revoir l’être confiné.
Le droit de visite est catégoriquement refusé par le règlement du lieu de confinement.
Voilà qui n’est pas sans rappeler la tragédie moderne qui frappe l’Hexagone depuis quatre mois.
En poursuivant l’analogie, on pourrait penser aux EHPAD et supposer que l’être confiné est le plus âgé des deux.
Dans l’histoire évoquée en préambule, c’est le contraire qui se produit. C’est la fille qui est confinée et c’est la mère qui souffre à cause du confinement de sa fille.
L’amour maternel va utiliser toute son intelligence pour assouplir les règles du confinement.
Combien de temps la mère va-t-elle devoir attendre pour profiter des retrouvailles avec sa fille bien-aimée ?
L’événement tragique qui donne lieu aux mesures coercitives est illustré avec virtuosité par le sculpteur napolitain Gian Lorenzo Bernini.
Celui qui a décrété le confinement et qui en a fixé les modalités est quelqu’un qui est beaucoup craint, même par les plus hautes instances décisionnaires. Le voici, grâce au ciseau du talentueux sculpteur :
Le personnage porte une couronne. C’est donc un souverain. Sur quel territoire règne -t-il ? Son espace est le Royaume des Enfers. Le Maître des lieux est donc Hadès.
La bouche entrouverte exprime la satisfaction. Le même plaisir se retrouve dans le regard intense. Que fixe Hadès de ses yeux amusés ? Le combat de celle qu’il vient de ravir.
La victime, qui se débat, s’appelle Κόρη – ΚΟΡΗ. Littéralemement : “jeune fille”.
Elle est d’une beauté incomparable.
Elle s’est fait piéger par Hadès, qui a ouvert un gouffre au pied du magnifique narcisse qu’elle contemplait. Hadès a surgi de ce gouffre, puis il a emporté la jeune fille dans le monde souterrain, en l’absence de la mère.
L’œuvre de Gian Lorenzo Bernini est exposée à la Villa Borghese de Rome. Nous avons contemplé la magnifique statue à l’occasion du deuxième séjour romain du Zeph.
Le sculpteur décrit l’impétuosité de la résistance de la jeune fille, qui n’est pas la seule à réagir de manière violente à ce malheur.
Pour la mère aussi, c’est un choc terrible, qui anéantit tout élan de bonté et tout geste philanthropique.
Car la mère est Δημήτηρ – ΔΗΜΗΤΗΡ (en français : Déméter), la déesse de l’agriculture et des moissons. Pendant qu’elle est désespérée parce qu’elle est sans nouvelle de sa fille, la bénédiction fait défaut aux travaux agricoles et les cultures dépérissent.
On trouve dans les Hymnes homériques une description de la détresse maternelle. Voici cette description :
ὀξὺ δέ μιν κραδίην ἄχος ἔλλαβεν, ἀμφὶ δὲ χαίταις
ἀμβροσίαις κρήδεμνα δαΐζετο χερσὶ φίλῃσι,
κυάνεον δὲ κάλυμμα κατ᾽ ἀμφοτέρων βάλετ᾽ ὤμων,
σεύατο δ᾽ ὥστ᾽ οἰωνός, ἐπὶ τραφερήν τε καὶ ὑγρὴν
μαιομένη : τῇ δ᾽ οὔτις ἐτήτυμα μυθήσασθαι
ἤθελεν οὔτε θεῶν οὔτε θνητῶν ἀνθρώπων,
οὔτ᾽ οἰωνῶν τις τῇ ἐτήτυμος ἄγγελος ἦλθεν.
ἐννῆμαρ μὲν ἔπειτα κατὰ χθόνα πότνια Δηὼ
στρωφᾶτ᾽ αἰθομένας δαΐδας μετὰ χερσὶν ἔχουσα,
οὐδέ ποτ᾽ ἀμβροσίης καὶ νέκταρος ἡδυπότοιο
πάσσατ᾽ ἀκηχεμένη, οὐδὲ χρόα βάλλετο λουτροῖς.
Ο oμηρικός ύμνος προς τη Δήμητρα. Στίχοι μ’ – ν’
Une âpre douleur entra dans son cœur, de ses cheveux
ambroisiens elle déchira les bandelettes avec ses mains chéries,
et, jetant un voile de couleur sombre sur ses deux épaules,
elle s'élança, telle un oiseau de proie, cherchant sur la terre et sur la mer.
Mais personne ne voulut lui dire la vérité,
aucun d'entre les dieux, ni d'entre les hommes mortels, ni d'entre les oiseaux ;
et aucun messager véridique ne vint vers elle.
Pendant neuf jours, la vénérable Déméter erra sur la terre,
tenant en mains des torches allumées : dans son affliction,
elle ne goûta durant tout ce temps ni l'ambroisie, ni le doux nectar,
et elle ne plongea point son corps dans le bain.
Hymne homérique à Déméter. Vers 40 à 50
Neuf jours de vaine recherche, de frustration totale, de douleur insupportable.
Cruelle attente, qui n’apporte aucun indice sur la disparition de la fille bien-aimée.
Les torches permettent de poursuivre l’investigation même quand la clarté diurne n’est plus là. L’enquête est menée tambour battant, vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pendant neuf jours d’affilée.
La rétention d’information agit comme une obscurité qui enveloppe, oppresse, épuise.
Les torches allumées représentent aussi l’impérieux besoin de connaître la vérité et le vif désir d’accéder à l’information.
À Milan, la Porta Venezia, qui garde l’entrée Nord-Est de la ville, abrite une effigie de Déméter.
Des épis de froment composent la couronne de la déesse. La main droite tient une torche, destinée à éclairer le chemin de l’investigation.
La mère éplorée est tellement occupée à dénicher les pistes d’information qu’elle néglige son alimentation et les soins du corps.
Au dixième jour d’angoisse, une langue se délie. Quelqu’un consent enfin à parler. C’est ἥλιος – ἭΛΙΟΣ. En français : Hélios, c’est-à-dire le Soleil. Il a tout vu. Et maintenant, il est en forme pour tout raconter.
Ainsi Déméter apprend que sa fille a été enlevée par Hadès puis confinée dans le fief de celui-ci.
L’information n’est pas de nature à apporter le soulagement. Elle exacerbe la colère et rend l’attente encore plus insoutenable.
Déméter connaît les conditions effroyables du confinement au Royaume des Ténèbres.
L’accès est férocement gardé par Cerbère, le chien à trois têtes.
Le génial Gian Lorenzo Bernini n’a pas oublié de représenter le monstre qui verouille l’entrée des Enfers. Dans la statue exposée à la Villa Borghese, Cerbère se poste près du pied gauche de son Maître, légèrement en retrait par rapport au groupe des deux protagonistes.
C’est logique que le monstre surveille ce qui se passe dans le dos du ravisseur. Mais pourquoi la bête ne se place-t-elle pas à proximité du pied droit ? Parce que de l’autre côté, il ne se passe rien, tandis que de ce côté, il y a de l’agitation, de la contestation et de la révolte.
En effet, juste au-dessus des trois têtes canines, le corps féminin se débat de toutes ses forces pour échapper à la captivité.
En montrant la violence avec laquelle la jeune fille lutte pour se dégager des bras puissants qui la serrent contre Hadès, le sculpteur évoque aussi l’énergie phénoménale que déploie Déméter pour retrouver sa fille.
Ce n’est donc pas de gaieté de cœur que celle-ci se laisse kidnapper pour être confinée au Royaume des Ténèbres. Sur sa joue gauche, coulent deux larmes, qui obéissent au même vent que la magnifique chevelure.
La jeune fille pleure parce qu’elle sait que sa mère l’attend, aujourd’hui, demain, après-demain, et pendant un nombre incalculable de jours encore.
La mère infortunée est inconsolable tant qu’elle ne revoit pas avec ses propres yeux sa fille bien-aimée.
Déméter, indignée, réclame quelque chose de tout à fait naturel : elle veut contempler de nouveau la silhouette bien-aimée, sans interposition, sans artifice. Elle veut voir en direct, en vrai, pour acquérir une certitude, chasser le doute, exprimer un amour et reprendre espoir.
Pour l’instant, le confinement empêche ce contact visuel, qui est vital.
La détresse maternelle plonge la terre dans une infertilité implacable. La déesse, en proie au chagrin, ne bénit plus les travaux des champs. Tous les projets agricoles échouent.
L’attente interminable de la mère est illustrée pat l’artiste anglaise Evelyn de Morgan. Déméter, dont l’épi de blé et le pavot sont des attributs, est repliée sur elle-même.
Elle est seule, sur une hauteur. Le sol présente des aspérités qui peuvent blesser. C’est l’évocation de la dureté du combat qu’elle doit mener pour retrouver sa fille.
En contrebas, des terres vallonnées s’étendent de part et d’autre d’un cours d’eau sinueux. L’espace est désert. Le poète y voit de la mélancolie. Mais l’agriculteur y voit sans doute le triste spectacle d’un dépérissement.
Le spectre de la catastrophe alimentaire inquiète l’exécutif qui siège sur le mont Olympe. Zeus redoute que la perte des récoltes n’entraîne l’interruption des offrandes faites aux divinités. L’arrêt de la liturgie sacrificielle est une atteinte à la piété et une menace pour la stabilité du cosmos.
Les craintes de Zeus se voient dans la sculpture de l’illustre Gian Lorenzo Bernini. De façon sublime, le sculpteur insère dans l’instant de l’enlèvement, des caractéristiques qui ont une portée prophétique.
Une vue frontale présente la jeune fille en train de repousser Hadès. Le haut du corps de la malheureuse suit une ligne oblique, qui est aussi l’axe de la jambe droite du ravisseur. En mettant vertical le torse féminin, on fait basculer Hadès, qui tombe à la renverse.
Structurellement, l’avantage accordé à la jeune fille, qui représente aussi sa mère, met en évidence le déséquilibre qui menace le ravisseur. Politiquement, l’affirmation de la douleur maternelle met en péril l’équilibre du cosmos et la pérennité de l’Olympe.
Le génie du sculpteur napolitain fait affleurer toutes les implications sous-jacentes.
Pour éviter le crépuscule des dieux, Zeus envoie Hermès auprès du redoutable Hadès pour négocier la sortie de crise et la fin du du confinement.
Comment Hadès réagit-il aux sollicitations qui viennent de la hiérarchie ? Il cède, apparemment.
En mettant la pression sur l’Olympe, Déméter obtient le déconfinement pour sa fille.
C’est donc la fin de l’attente maternelle ? On pourrait le penser.
Cependant Hadès a plus d’un tour dans son sac.
Déméter en est consciente. Mais pas sa fille, qui a encore la candeur du jeune âge.
Hélas, la mère ne peut pas venir en aide à sa fille tant que celle-ci est encore dans la zone confinée, parce que le confinement les empêche de se voir et de se communiquer.
Dès que la mère et la fille peuvent enfin se revoir et s’embrasser, voici la question de pose Déméter à sa fille :
[εἶπε δὲ πῶς σ᾽ ἥρπαξεν ὑπὸ ζόφον ἠερόεντα]
καὶ τίνι σ᾽ ἐξαπάτησε δόλῳ κρατερὸς Πολυδέγμων ;
Ο oμηρικός ύμνος προς τη Δήμητρα. Στίχοι υγ’ – υδ’
[Maintenant, dis-moi comment il t’a emportée vers les ténèbres et l’obscurité]
et par quelle ruse t’a trompée le puissant Hôte-de-Beaucoup ?
Hymne homérique à Déméter. Vers 403 et 404
L’interrogation de Déméter porte sur deux agissements commis par Hadès. Le premier a eu lieu quand celui-ci a enlevé la jeune fille. Le second se serait produit au moment du déconfinement.
Mais la mère n’emploie pas le conditionnel pour évoquer le deuxième stratagème. Elle en parle de manière affirmative, avec le ton de la certitude. C’est qu’elle est certaine que le coriace et futé Hadès a encore utilisé la duperie.
Déméter ne désigne pas le Roi du Royaume des Ténèbres par le nom habituel, qui est Hadès, mais par le qualificatif Πολυδέγμων. Littéralement : Celui qui contient beaucoup. Au sens propre, le Royaume des Ténèbres contient beaucoup de sépultures, voire toutes les sépultures. Au sens figuré, il héberge tous les morts, même contre leur gré. Hadès est donc l’Hôte d’une multitude de défunts, et même de la totalité des défunts, souvent sans demander l’assentiment de ceux-ci.
En décrivant l’enlèvement et le confinement subséquent comme une forme d’hospitalité, la défiance et le relent de rancune utilisent le registre de l’ironie pour parler des événements qui rendent l’attente maternelle interminable.
Voici la réponse que donne la fille :
...αὐτὰρ ὃ λάθρῃ
ἔμβαλέ μοι ῥοιῆς κόκκον, μελιηδέ᾽ ἐδωδήν,
ἄκουσαν δὲ βίῃ με προσηνάγκασσε πάσασθαι.
Ο oμηρικός ύμνος προς τη Δήμητρα. Στίχοι υια’ – υιγ’
...Mais en secret,
il a mis dans ma bouche un grain de grenade, douce nourriture,
et contre mon gré, il m’a forcée à le manger.
Hymne homérique à Déméter. Vers 411 à 413
Le texte grec fait ressortir les deux étapes de la manœuvre mesquine du Maître des lieux. Celui-ci commence par la douceur, puis termine par la force.
D’abord, l’Hymne homérique dit que le germe est introduit dans la bouche de la jeune fille de manière secrète, c’est-à-dire avec une extrême discrétion, pour tirer pleinement profit de l’insouciance ou de l’inexpérience de la victime. Autrement dit, celle-ci se fait avoir par sa gentillesse et sa confiance. Et quand elle se rend compte qu’elle a quelque chose dans sa bouche, un quelque chose qui est très agréable au goût, Hadès la contraint d’avaler ce quelque chose, de faire descendre le grain de grenade jusqu’au fond du tube digestif, de peur que le minuscule aliment ne soit recraché.
Or le règlement intérieur de la zone confinée stipule que quiconque consomme n’importe quel aliment, solide ou liquide, en grande ou en petite quantité, subira le confinement pendant l’éternité.
Hélas, la jeune fille vient d’enfreindre la Loi.
La mère est mise devant le fait accompli. Pendant combien de temps va encore durer l’attente maternelle ?
L’espoir d’un déconfinement s’est-il envolé pour toujours ?
Force est de constater que le redoutable Hadès n’abandonne pas aussi facilement sa proie.
De cela, l’instinct maternel de Déméter en est parfaitement conscient. Dans l’affaire, ce qui est le plus troublant, c’est la justesse de l’inspiration du formidable Gian Lorenzo Bernini, qui a imprimé dans l’instant initial la rapacité qui caractérise Hadès et dont la sournoiserie est la servante.
Regardons comment le ravisseur tient et retient la jeune fille.
Hadès place sa main gauche au-dessus de la taille du corps féminin et pose la main droite sur la cuisse gauche de la victime. L’artiste n’hésite pas à montrer la pression qui s’exerce au bout des doigts. L’épiderme d’en face se creuse sous l’effet d’un terrifiant désir de possession.
L’œuvre du sublime Gian Lorenzo Bernini est remarquable pour trois raisons : d’abord, à cause du réalisme de la description anatomique, ensuite à cause de la justesse de l’évocation de la psychologie, et enfin, à cause de la dimension prophétique de certains signes incrustés dans l’instant présent.
On l’aura compris, le ravisseur est un adversaire de taille.
Cependant, Zeus est toujours déterminé à sauver la mise, en préservant l’équilibre du cosmos, avant que la terrible colère de Déméter ne fasse tout basculer dans la famine, la révolte et l’impiété.
Ainsi le Maître de l’Olympe oblige le Maître des Enfers à desserrer le confinement et à laisser la jeune fille retrouver la mère. De cette façon, les récoltes seront sauvées, et l’harmonie avec.
Le confinement est seulement desserré, et non totalement aboli ?
Hélas, Zeus lui-même ne peut pas passer outre au règlement intérieur que la jeune fille vient d’enfreindre. En conséquence, elle est déconfinée pendant les deux tiers de l’année et reste confinée pendant l’autre tiers. Par ce compromis, Zeus ménage à la fois Déméter et Hadès.
Le peintre britannique Frederic Leighton a illustré la sortie du confinement.
Tout le corps de la jeune fille est porté par un irrésistible élan en direction de la silhouette maternelle.
La mère, toute heureuse, ouvre grand ses bras affectueux, qui font un angle de cent quatre-vingts degrés. Émotionnellement, c’est l’ouverture du trop-plein d’amour, de l’attente enfin récompensée. Stratégiquement, avec des bras aussi prévoyants, la mère est sûre de ne pas rater l’étreinte qui clôt une si longue séparation.
Les bras de la fille sont parallèles et ne visent que le cœur maternel. La fille renverse la tête en arrière pour que les deux regards se croisent. Le contact visuel s’établit avant le contact épidermique. C’est la réalité de ce contact visuel que la mère réclame à cor et à cri depuis des mois et des mois.
Hermès, qui tient le caducée de la main droite, utilise sa main gauche pour aider la fille à se rapprocher de la mère. Le visage du messager, qui fixe les traits maternels, reflète une lumineuse empathie et une douce joie.
Le teint de la fille est clair, parce qu’il est protégé des rayons du soleil pendant de longs mois. Le hâle de la peau maternelle est lié à l’errance dans la solitude, le désespoir et l’affliction. Mais en ce jour de retrouvailles, c’est le contre-jour qui incite l’artiste à utiliser la palette des couleurs sombres pour réaliser un portrait réaliste de la mère. Des nuages ont été judicieusement placés sur l’azur du ciel pour que la lumière du soleil n’aveugle pas trop celle qui sort du confinement.
L’artiste choisit de montrer la scène à partir de la zone confinée, c’est-à-dire en allant du monde souterrain vers la surface de la terre, de l’espace confiné vers la vie à l’air libre. Par conséquent, le tableau porte une dynamique ascensionnelle, qui accompagne à merveille le retour à la liberté.
La suspension du confinement offre des retrouvailles au milieu des prairies de Vibo Valentia, en Calabre. Jouissant à nouveau des faveurs de Déméter, la nature est en fête. La terre se gorge de nutriments. La fertilité des champs fait éclore partout la joie.
Le printemps est la saison des émouvantes retrouvailles entre Déméter et sa fille.
Au printemps dernier, le Zeph était à Vibo Valentia.
Le voici, au moment de l’amarrage sur l’un des pontons de la Marina Stella del Sud.
Le service d’accueil est venu nous donner un coup de main. L’aide proposée était bien courtoise, très efficace, et absolument gratuite.
À Vivo Valentia, le jardin aromatique du Zeph a bénéficié du même élan vital que la végétation ambiante.
Dans notre giardinetto, la ciboulette en fleurs, les piments ronds et allongés, la menthe, le basilic et la sauge absorbaient goulûment les ondes bienfaisantes envoyées par Déméter.
La prospérité de la nature témoignait du bonheur qui unissait Déméter et sa fille.
Un bonheur qui devait durer jusqu’en automne, selon le compromis trouvé par Zeus.
Puis c’est de nouveau l’attente pendant les trois mois de l’hiver, à cause du reconfinement. La tristesse maternelle ne favorise aucune pousse.
Il faut attendre jusqu’au printemps suivant, pour de nouvelles retrouvailles entre mère et fille.
L’attente maternelle n’est plus rongée par le désespoir. Mais chaque année, elle est ternie par la tristesse.
Déméter doit-elle garder rancune parce qu’elle est obligée d’attendre chaque année ?
À la mère qui a subi à maintes reprises la pénible épreuve de l’attente, il a été donné le conseil suivant :
[ἀλλ᾽ ἴθι, τέκνον] ἐμόν, καὶ πείθεο, μηδέ τι λίην
ἀ[ζηχὲς μεν]έαινε κελαινεφέι Κρονίωνι.
α[ἶψα δὲ κα]ρπὸν ἄεξε φερέσβιον ἀνθρώποισιν.
Ο oμηρικός ύμνος προς τη Δήμητρα. Στίχοι υξζ’ – υξθ’
C'est pourquoi, viens, mon enfant, et obéis, et ne sois pas
irritée immodérément contre le Fils de Cronos, qui amasse les sombres nuées ;
mais, aussitôt, multiplie les fruits qui font vivre les hommes.
Hymne homérique à Déméter. Vers 467 à 469
Celui qui est désigné par l’expression « Fils de Cronos » est Zeus, « qui amasse les sombres nuées », en tant que maître des phénomènes météorologiques.
Le conseil ci-dessus sort de la bouche de Ῥέα – ῬΕΑ (en français : Rhéa), la propre mère de Déméter.
La réparation obtenue par Déméter n’est pas parfaite, mais le compromis établi par Zeus prend en compte l’amour maternel.
Certes, pour Déméter, l’attente a été une épreuve très pénible, et continue d’être un désagrément.
Cependant, il faut veiller à ne pas être irrité(e) excessivement, c’est-à-dire au-delà d’une certaine durée. Car la prolongation excessive de l’état d’irritation inhibe la possibilité de faire le bien et malmène le καιρός – ΚΑΙΡΟΣ.
Le texte de l’Hymne homérique exhorte celle qui a souffert de l’attente à agir promptement en faveur d’autrui, en augmentant la production agricole des mortels.
La mère se montre raisonnable et suit le sage conseil de l’aïeule.
Quand le temps est favorable, Déméter nous nourrit avec sa joie de vivre.
Quand le temps n’est plus favorable, elle patiente jusqu’au prochain renouveau.
Voici Déméter explosant de joie, entre Saône et Rhône.
Sous ces arbres, l’Ouvé est passé pour regagner ses pénates.
Le bonheur de Déméter se voit au-dessus des têtes comme au ras du sol.
Tout près de ces narcisses, l’Aventy s’est promené à la manière de Rousseau.
Et l’Ouvé et l’Aventy sont passés devant le sablier de Saint-Rambert, qui s’exhibe avec la fleur de Déméter.
Attribut de Déméter, le pavot est par excellence la fleur de la sortie du confinement
Puisse le déconfinement apporter à chacun de nous l’épanouissement qu’il attend !