Parlons-nous de réfugiés politiques, économiques ou climatiques ?
Sur les réseaux sociaux, circule une rumeur qui fait redouter un changement à la tête de l’exécutif, voire même un coup d’état.
Il est bien question de rumeur, car il y confusion dans le vocabulaire, ou plutôt divergence dans l’interprétation des mots. Parle-t-on au premier degré ou au second degré ? Évoque-t-on l’ici-et-maintenant ou des temps futurs ?
En tous cas, ceux qui sont montrés du doigt par cette rumeur sont considérés des opposants au régime actuel, dont la seule préoccupation est de liquider cette opposition tant qu’il est encore temps.
Le pouvoir en place a son service de renseignements.
En plus de cela, il embauche trois espions. Ou plutôt, il essaie de convaincre trois éminents personnages politiques de servir d’espions.
Puis un corps expéditionnaire est mis sur pied, et envoyé sans tarder sur les lieux de la soi-disante sédition.
Les consignes sont claires : l’élimination doit être radicale, nette et prompte.
Tous les cas suspects seront passés au fil de l’épée.
Aucune présomption d’innocence n’est tolérée.
Mais au-dessus de ce délire paranoïaque, une autre justice veille. Elle veut préserver le message de la consolation qui vient de faire son entrée ici-bas. Alors elle dépêche aussi ses émissaires pour mettre en sécurité le porteur du message de la consolation.
Premier geste de sécurité : s’extraire du piège, corporellement, physiquement, géographiquement.
Puis, s’en éloigner, le plus possible, quitte même à traverser les frontières, pour se retrouver réellement hors de portée par rapport à la nuisance et aux représailles.
Il est important de s’enfuir avec le maximun de précautions, sans éveiller de soupçons, pour éviter d’être arrêté. La complicité de la nuit est nécessaire, au moins pour le début du voyage de l’exil.
Puis, sur la terre d’accueil, attendre que le danger disparaisse, que la menace de mort s’évanouisse.
Donc, nous avons affaire à des réfugiés politiques, qui craignent pour leur vie, à cause de l’hostilité manifestée par leurs gouvernants.
Ces réfugiés politiques, dont nous suivons le parcours de l’exil, sont au nombre de trois : le père, la mère et leur jeune fils, qui est récemment venu au monde.
On leur dit de fuir vers le Sud, là où jadis leurs ancêtres ont trouvé refuge, mais en tant que réfugiés économiques.
Voici le texte qui parle de cette fuite :
13 ἀναχωρησάντων δὲ αὐτῶν ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται κατ᾽ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ λέγων ἐγερθεὶς παράλαβε τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ φεῦγε εἰς Αἴγυπτον καὶ ἴσθι ἐκεῖ ἕως ἂν εἴπω σοι μέλλει γὰρ Ἡρῴδης ζητεῖν τὸ παιδίον τοῦ ἀπολέσαι αὐτό
14 ὁ δὲ ἐγερθεὶς παρέλαβεν τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ νυκτὸς καὶ ἀνεχώρησεν εἰς Αἴγυπτον
15 καὶ ἦν ἐκεῖ ἕως τῆς τελευτῆς Ἡρῴδου ἵνα πληρωθῇ τὸ ῥηθὲν ὑπὸ κυρίου διὰ τοῦ προφήτου λέγοντος ἐξ Αἰγύπτου ἐκάλεσα τὸν υἱόν μου
ΤΟ ΚΑΤΑ ΜΑΤΘΑIΟΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. β’. Στίχοι ιγ’ – ιε’
13. Quand les mages sont partis, l'ange du Seigneur se montre à Joseph dans un rêve. L'ange lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère. Pars vite pour l'Égypte ! Reste là-bas. Je te dirai quand tu dois revenir. En effet, Hérode va chercher l'enfant pour le faire mourir. »
14. Joseph se lève, il prend avec lui l'enfant et sa mère et il part pour l'Égypte, pendant la nuit.
15. Il reste là-bas jusqu'à la mort d'Hérode le Grand. Ainsi se réalise ce que le prophète a dit de la part du Seigneur : « J'ai appelé mon fils à sortir d'Égypte. »
Bonne Nouvelle selon Matthieu. Chapitre 2. Versets 13 – 15
Celui qui sème la terreur et fait couler le sang est donc Hérode, qui règne sur la Judée. Il tremble de colère et d’effroi parce que le bruit court qu’un roi vient de naître à Bethléhem, conformément à la prophétie de Michée.
Le Maître de la Judée essaie de se servir des mages comme espions, pour qu’ils l’informent sur l’identité du nouveau-né qui serait une menace pour le trône.
C’est pourquoi il y a urgence à mettre le Consolateur à l’abri, avant que la fureur du monarque paranoïaque ne se déchaîne.
Joseph et sa petite famille doivent vite s’éloigner du territoire contrôlé par le tyran.
Ils veillent à ne pas être repérés comme fugitifs de la Judée. Leur comportement ne doit pas révéler qu’ils sont l’objet de la colère du Maître de Jérusalem. Il est dans leur intérêt de passer inaperçus, pour rester en vie, sains et saufs le plus longtemps possible.
Il existe deux routes qui relient la Judée et l’Égypte.
Le premier itinéraire, qui longe la mer, est la Via Maris. Elle est fréquentée par les commerçants. Elle est aussi gardée par des soldats romains, qui assurent la stabilité de l’Empire. Les contrôles d’identité sont plus fréquents. Il faut user de prudence et d’ingéniosité pour passer incognito ou paraître inoffensif. L’avantage est la disponibilité des points d’eau. C’est un avantage qui n’est pas négligeable quand on a la charge d’un enfant en bas âge.
L’autre itinéraire passe plus à l’intérieur des terres, en traversant le désert de Schur. Il y a le péril de la sécheresse, mais aussi celui des pillards et des bandits. On peut se faire agresser, même si l’on ne dispose que d’un seul âne comme richesse apparente.
Dans tous les cas, il faut éviter la déshydratation et protéger le nourrisson quand le soleil est trop fort.
La route est moins fatigante si l’on met à profit la fraîcheur du matin ou du soir.
L’Égypte est un pays très religieux. Les processions en l’honneur des divinités locales sont fréquentes. Il n’est pas impossible que le trio de fugitifs croise des manifestations religieuses qui étalent la ferveur des foules.
Les trois migrants judéens sont conscients qu’ils ont un destin particulier à accomplir. Par conséquent, ils restent vigilants pour ne pas compromettre le statut d’élus que des messagers célestes ne cessent de leur confirmer. Pour l’instant, il s’agit de rester en vie, en attendant le moment propice pour retourner au pays.
Donc pas d’alerte inutile. Ils laissent le culte égyptien à l’Égypte. Ils ne s’en mêlent pas. Ils ne font que passer, sans extase, ni irritation. Sans rejet extérieur, ni perméabilité interne.
Les trois Hébreux de Bethléhem sont venus en Égypte pour leur sécurité. Dans le passé, il est arrivé que leurs ancêtres ont pris la même route, dans la même direction, pour échapper à la famine. Jadis, le motif de la migration était climatique et économique. Dans le cas présent, l’exil des trois Hébreux de Bethléhem est provoqué par une menace d’ordre politique, car ils étaient considérés comme des opposants au régime en place.
Avec gratitude, les trois réfugiés politiques apprécient l’hospitalité de la terre d’accueil.
Un vitrail de l’église de l’Immaculée Conception à Montréal, au Québec, montre comment cette hospitalité s’offre de façon toute naturelle.
Dans le giron du Sphinx de Guizeh, dorment la mère et l’Enfant. Comme leur sommeil semble doux ! Comme leurs visages paraissent sereins !
Le père, lui, est allongé au pied de la statue colossale. Il se couvre les yeux avec son bras droit. Dort-il ? Ou veille-t-il ? Se protège-t-il de la clarté de la lune, dont on devine la présence tout en haut du vitrail ?
La couleur des tuniques a peut-être quelque chose à dire sur la quiétude ou la tension des protagonistes. Avec la mère et l’Enfant, c’est le bleu qui domine : c’est la couleur qui apaise. Avec le père, c’est l’ocre qui triomphe : c’est la couleur d’un qui-vive latent.
L’hospitalité de Égypte peut encore se manifester d’une manière plus personnalisée, à travers les gestes de bonté des habitants.
Une icône byzantine montre l’arrivée des trois migrants dans la ville d’Alexandrie. Quatre personnes se présentent à la porte pour accueillir les Israélites fugitifs.
Sur le seuil, le premier personnage, au sens de la topographie comme au sens du rang social, tend ses deux bras bienveillants. L’imposante couronne, truffée de pierres précieuses, ainsi que l’or et la pourpre des habits indiquent que le comité d’accueil est conduit par un être de sang royal.
Le mouvement des bras royaux est relayé, avec justesse et finesse, par le geste de la mère, qui est assise sur l’âne. Les bras maternels sont tendus en direction du groupe de personnages qui se trouve derrière la monture.
Derrière l’âne, le père porte sur ses épaules l’Enfant, dont il retient les jambes à proximité des chevilles.
L’iconographie présente les mains de la mère à la même hauteur que celles du père. La femme veut-elle soulager son époux de la charge épuisante du portage ?
Les mains du chef de la famille étant prises, c’est le fils qui répond à la place du père. L’Enfant tend ses bras menus et impatients en direction de sa mère.
En partant du seuil et en suivant les maillons offerts par les bras tendus, on se rend compte que le véritable bénéficiaire de l’hospitalité alexandrine est l’Enfant juché sur les épaules paternelles.
La mère incline sa tête en direction de son fils, en signe de tendresse sans aucun doute.
Mais la tête inclinée est aussi une marque de respect envers un personnage plus important. En effet, l’instinct maternel sait que la fuite en Égypte a pour objectif de protéger celui qui sera appelé « Roi des rois ».
Dans ce contexte messianique, la tête couronnée qui s’incline sur le seuil est aussi une marque de déférence envers l’Enfant promis à un destin exceptionnel, qui placera celui-ci au-dessus de toutes les autorités royales.
L’icône byzantine montre les implications prophétiques en rapport avec le cours de l’Histoire. Elle exhibe également l’harmonie qui règne à l’intérieur de la cellule familiale. En effet, la mère n’apparaît pas comme l’unique parent qui prend soin de l’Enfant. Bien sûr, le père ne peut pas nourrir celui-ci avec le lait de la physiologie. Mais les épaules paternelles peuvent soulager les bras maternels. L’icône byzantine évoque une répartition judicieuse des tâches, sans les crispations bruyantes du XXIè siècle.
L’artiste montre que l’Enfant s’appuie sur la tête du père. Pour des questions d’équilibre physique sans doute. Il n’empêche qu’il en résulte un contact physique très fort. Les deux bras de l’Enfant ne sont pas strictement parallèles, comme ceux de la mère ou ceux du personnage sur le seuil. Sans doute, parce que l’Enfant est moins hiératique, par nature. Autrement dit, il bouge plus, joue plus. Si l’on associe le balancement de ces bras et la lueur qui illumine le regard, on pourrait dire que l’Enfant est en train de jouer avec ses bras, ce qui est tout naturel, compréhensible et légitime. Dans ce cas, l’appui de la tête est un pivot récréatif, et la présence paternelle apparaît comme une source de joie pour tous les membres de la famille.
Rester soudés et confiants malgré l’exil, voilà un très beau programme pour les trois Israélites fugitifs.
L’iconographie byzantine a une autre illustration des rapports à l’intérieur de la cellule familiale. Le tableau appartient à la célèbre Cappella Palatina di Palermo, que l’Aventy connaît très bien. La mosaïque de la fuite en Égypte se trouve sur le côté droit quand on est face au chœur.
L’Enfant est encore porté par les épaules paternelles. Plus exactement, par une épaule paternelle, l’épaule gauche. Il est à califourchon sur cette seule épaule, tandis que dans la scène de l’arrivée à Alexandrie, il est à califourchon autour du cou paternel. Les positions diffèrent, l’Enfant bouge, pour des raisons de confort, sans doute, mais aussi pour des finalités variées.
Ici, il se retourne vers sa mère, qui est derrière.
Le corps de l’Enfant et celui du père sont soudés, malgré la vive allure du déplacement. L’équilibre du corps porté est consolidé en deux endroits. D’une part, la main gauche de l’Enfant prend appui sur la tête du père. D’autre part, celui-ci tient fermement la petite jambe gauche à la cheville et au genou.
Dans l’intensité de ce contact corporel, les deux énergies vitales se fortifient mutuellement.
Il y a mobilité et réorganisation à l’intérieur du groupe formé par le père et l’Enfant.
Il y a aussi mobilité et réorganisation à l’intérieur du trio des fugitifs. Car dans la Cappella Palatina di Palermo, le groupe formé par le père et l’Enfant ne suit pas la monture, mais la précède.
Le changement dans la composition donne une image vivante des trois réfugiés israélites.
Au-dessus des épaules de la mère, apparaissent les lettres ΜΡ ΘΥ, qui sont une abréviation de ΜΗΤΕΡ ΘΕΟΥ (en français : Mère de Dieu).
Au-dessus de la tête de l’Enfant, figure l’inscription : IC XC, qui est l’écriture liturgique de ΙΣ ΧΣ, abréviation de ΙΧΘΥΣ ΧΡΙΣΤΟΣ (littéralement « poisson » « christ », le poisson étant l’un des symboles majeurs employés par les premiers disciples du Christ).
Entre la tête de l’Enfant et celle du père, sont disposées, verticalement, les lettres suivantes :
I
ω
σ
H
Φ
Horizontalement, cela donne : I ω σ H Φ, c’est-à-dire Joseph, en français.
Dans l’espace délimité par les deux arbres qui encadrent la silhouette de la mère, une inscription décrit l’événement. La voici, dans la graphie liturgique :
ΗΘΕΟΤΟΚΟCΦΕΥ
ΓΟΥCΕΝΑΙΓΥΠΤω
L’équivalent en français serait :
LAMÈREDEDIEUFU
ITENÉGYPTE
La Mère de Dieu fuit en Égypte.
L’Égypte est représentée par le palmier, qui est vers le devant, que la silhouette de la mère n’a pas encore dépassé.
De là où viennent les trois Israélites fugitifs, il y a aussi des palmiers. Mais dans l’imaginaire du mosaïste qui décore la Cappella Palatina di Palermo, « son » palmier symbolise toute la fertilité que le Nil apporte à la terre égyptienne.
Sous les pieds des réfugiés politiques, qui progressent d’un pas alerte, se trouve une autre évocation de l’Égypte : le chemin de l’exil longe une eau poissonneuse. C’est l’évocation du Nil nourricier. La primauté de l’eau douce est affirmée. De plus, il y a l’entrée en scène de deux aliments courants et essentiels : les dattes pour l’apport glucidique et le poisson pour l’apport en protéines. Il est impensable que les parents négligent l’équilibre alimentaire de l’Enfant. Même en exil, il est possible de veiller à cet équilibre grâce à ce qui est offert par la nature.
Le palmier est devant la mère, mais derrière l’Enfant juché sur une épaule paternelle. Dans cette scène, le père ouvre la marche et assume ses responsabilités de chef de famille.
La représentation de la figure paternelle à la tête du cortège est en cohérence avec la scène qui se trouve en amont. Sur la scène en amont, un ange vient alerter Joseph pendant le sommeil de celui-ci et le presse de soustraire sa famille au glaive impitoyable d’un monarque paranoïaque. Vite, le père obéit au messager céleste et toute la famille s’enfuit de nuit, comme tous les réfugiés politiques.
Sur la mosaïque de l’alerte nocturne, apparaît le texte suivant :
ΟΑΓΓΕΛΕΝΥΠΝΙΑΣ
ΤΟΝΙωCΗΦ
L’équivalent français serait :
LANGEDANSLESOMMEIL
DUJOSEPH
L’ange dans le sommeil du Joseph
La dynamique impulsée par le messager céleste se voit dans le pas alerte des fugitifs. Mais jusqu’où vont-ils aller ainsi ?
Leur route prend en compte deux facteurs : la sécurité politique et la sécurité alimentaire.
Il n’est pas difficile pour le tyran de Jérusalem de lorgner le delta du Nil. Il faut donc s’éloigner de ce bassin, en allant plus au sud.
Et pour ne pas mettre la santé de l’Enfant en danger, il ne faudrait pas trop s’écarter de l’artère vitale qu’est le Grand Fleuve.
Alors, les trois fugitifs israélites embarquent à bord d’une felouque à المعادي (en français : el-Ma'adi), qui est maintenant une banlieue au Sud du Caire.
Puis ils remontent le Nil jusqu’à أسيوط (en français : Assiout), qui est à 320 km plus au Sud.
De ce centre caravanier de la Haute-͡Égypte, le Musée du Louvre a un souvenir à travers l’effigie d’un de ses plus hauts dignitaires, un certain Hapidjéfaï, qui a gouverné la province quelque dix-neuf siècles avant l’arrivée des migrants judéens. Avec une hauteur de 2,28m, la sculpture en bois d’acacia est la plus grande statue d’un particulier de tout l’art égyptien.
Mais les trois réfugiés politiques n’ont pas fui la juridiction de la Judée pour faire du tourisme en Égypte. Il est même très peu probable qu’ils fraient avec les autorités locales, car l’objectif premier consiste toujours à demeurer discrets et sans passé.
Comment ces migrants occupent-ils leur temps ?
Il y a d’abord la question de la subsistance matérielle.
La fourniture en eau ne pose sans doute pas de problème, grâce à la proximité du fleuve.
Le chef de famille maîtrise le travail du bois. Son savoir-faire de menuisier peut dépanner les voisins et ramener quelques vivres au foyer.
Quant à la mère, l’essentiel de son temps est consacré à l’Enfant, qui réalise ses premiers pas sur les berges du Nil.
Il y a l’hygiène du corps, l’allaitement, mais aussi la nécessité de subvenir aux besoins de l’esprit, pour ne pas oublier la promesse faite par les messagers célestes.
La transmission des vertus ancestrales, par l’oralité et par l’exemple, prend du temps.
Apprendre à l’Enfant les lettres et le sens des mots requiert de la patience.
L’instruction est inséparable de l’éducation dans l’esprit des trois Israélites fugitifs.
Ont-ils le temps de s’ennuyer ? C’est fort peu probable.
Rencontrent-ils des difficultés pour s’adapter aux conditions locales ? Ils font feu de tout bois, pourvu qu’il n’y ait pas d’entorse à l’héritage spirituel. Leur souplesse leur permet de vivre en bonne intelligence avec le voisinage, tout en préservant leur identité profonde. La richesse de leur vie intérieure fait que l’attente du retour n’est nullement pénible.
L’éloignement de la terre d’Israël ne les dispense pas de pratiquer le culte défini par les Dix Commandements. Le souvenir de la Loi de Moïse donne du sens à chaque instant de leur existence de réfugiés et soude la cellule familiale.
Ont-ils de l’inquiétude concernant l’avenir ? Ils restent prudents, mais sont confiants.
Sont-ils impatients de rentrer chez eux ? Ils savent qu’en temps voulu, le messager céleste les informera de la disparition réelle du danger de mort qui les a contraints à fuir.
Et le jour du déconfinement finit par arriver !
Le messager céleste qui a donné l’alerte dans la ville de Bethléhem arrive maintenant sur les berges du Nil pour donner le signal du retour.
Voici comment le texte grec explique le changement de la situation :
19 τελευτήσαντος δὲ τοῦ Ἡρῴδου ἰδοὺ ἄγγελος κυρίου φαίνεται κατ᾽ ὄναρ τῷ Ἰωσὴφ ἐν Αἰγύπτῳ
20 λέγων ἐγερθεὶς παράλαβε τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ πορεύου εἰς γῆν Ἰσραήλ τεθνήκασιν γὰρ οἱ ζητοῦντες τὴν ψυχὴν τοῦ παιδίου
21 ὁ δὲ ἐγερθεὶς παρέλαβεν τὸ παιδίον καὶ τὴν μητέρα αὐτοῦ καὶ εἰσῆλθεν εἰς γῆν Ἰσραήλ
22 ἀκούσας δὲ ὅτι Ἀρχέλαος βασιλεύει τῆς Ἰουδαίας ἀντὶ τοῦ πατρὸς αὐτοῦ Ἡρῴδου ἐφοβήθη ἐκεῖ ἀπελθεῖν χρηματισθεὶς δὲ κατ᾽ ὄναρ ἀνεχώρησεν εἰς τὰ μέρη τῆς Γαλιλαίας
23 καὶ ἐλθὼν κατῴκησεν εἰς πόλιν λεγομένην Ναζαρέτ ὅπως πληρωθῇ τὸ ῥηθὲν διὰ τῶν προφητῶν ὅτι Ναζωραῖος κληθήσεται
ΤΟ ΚΑΤΑ ΜΑΤΘΑIΟΝ ΕΥΑΓΓΕΛΙΟΝ. Kεφ. β’. Στίχοι ιθ’ – κγ’
19. Après la mort d'Hérode, l'ange du Seigneur se montre à Joseph dans un rêve, en Égypte.
20. L'ange lui dit : « Lève-toi, prends avec toi l'enfant et sa mère et retourne dans le pays d'Israël. En effet, ceux qui voulaient tuer l'enfant sont morts. »
21. Joseph se lève, il prend avec lui l'enfant et sa mère et il retourne dans le pays d'Israël.
22. Mais il apprend qu'Arkélaos est roi de Judée, depuis la mort d'Hérode, son père. Alors Joseph a peur d'aller en Judée. Le Seigneur lui parle dans un rêve, et Joseph va dans la région de Galilée.
23. Il vient habiter dans une ville qui s'appelle Nazareth. Ainsi les choses se passent comme les prophètes l'avaient annoncé : « On l'appellera Nazaréen. »
Bonne Nouvelle selon Matthieu. Chapitre 2. Versets 19 – 23
Enfin, le danger de mort s’est évanoui, pour de bon. Les trois réfugiés poussent un immense soupir de soulagement, qui met fin à leur attente. La route du retour est désormais grande ouverte. Ils refont le chemin en sens inverse.
L’Enfant, qui a grandi, n’est plus porté par sa mère ou par son père.
Ses parents lui offrent tout de même la place la plus confortable pendant le voyage du retour.
Le chef de famille, dont la responsabilité est de protéger efficacement les siens, reste circonspect. Il ne retourne pas à Bethléhem, où a eu lieu l’effroyable massacre des nourrissons, mais continue vers le Nord et s’établit à Nazareth. Quelque cent soixante kilomètres séparent Bethléhem et Nazareth.
L’Enfant, qui est né bethléhémite, devient désormais nazaréen.
L’attente des trois réfugiés venus de la Judée était indispensable, salutaire et riche en enseignements.
Que vient faire la question des réfugiés dans l’histoire du Zeph ? Sa route a-t-elle croisé celle des migrants qui fuient la guerre et la famine ?
Les deux routes se sont croisées à Ερατεινή – EPΑTEINΗ, dans le Golfe de Corinthe.
Voici le Zeph à Ερατεινή – EPΑTEINΗ. Il était facilement identifiable par sa menthe, ses piments, son basilic et sa sauge.
Il était amarré à l’entrée du port, sur le flanc droit d’un énorme chalutier bleu et blanc, qui portait l’immatriculation ΠΟΣΕΙΔΩΝ Ν.Π. 470.
Le museau du Zeph était pointé vers le Nord. En allant dans la direction de la poupe, on pouvait longer le quai extérieur jusqu’au fond du port. C’était le chemin qui conduisait au centre-ville.
À l’endroit où ce chemin s’incurvait en arrivant au fond du port, celui-ci était dominé par un talus qui offrait aussi des panoramas sur la mer, à l’extérieur. Sur ce talus, un campement de fortune a été installé. Tout disait que ce n’était que du provisoire.
Manifestement, ces résidents infortunés n’étaient pas des natifs de la région. Ils venaient peut-être de très loin. Qu’ont-ils dû fuir ?
Ces personnes à la condition précaire attendaient sans aucun doute des jours meilleurs.
Comment remplissaient-elles le temps pour vivre l’attente ?
Leur attente de réfugiés aboutirait-elle un jour à quelque de chose de positif et réconfortant ?
Le spectacle des réfugiés à Ερατεινή – EPΑTEINΗ interpelle le Zeph.
La navigation peut-elle être un simple huis clos ? Doit-elle ?
Traduit-elle un comportement égocentré ?
Est-elle une manière d’explorer le monde ou de s’en extraire ?