Nous avons évoqué son œuvre et sa personnalité à travers les lignes sur Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ, dans l'article « Le raffinement du rivage », publié le 10/12/2019,
Cet été, nous étions de retour à Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ. L'accueil que nous y avons reçu confirmait-il ce que nous avions écrit auparavant ?
L'an dernier, le Zeph était amarré à l'entrée du port, juste à côté du phare rouge.
Cette année, toutes ces places, qu'il désirait tant, étaient complètement verrouillées par l'immobilisme des concurrents.
Pouvions-nous venir à Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ, rentrer dans le port et repartir aussitôt, c'est-à-dire bredouilles et frustrés ?
La Muse, qui était très sensible à l'hommage qui lui avait été rendu en décembre, a ménagé une solution pour que nous puissions rester le long d'un quai, et surtout, débarquer à notre guise.
La place qui nous a été accordée exceptionnellement était, en temps normal, réservée aux embarcations motorisées, louées à la journée, et qui appartenaient à une nouvelle entreprise, dont on voit, dans la photo suivante, l'oriflamme estampillé avec le logo « Rent a boat » :
Certes, le port était public. Mais le bout de quai qui nous a été concédé gracieusement relevait de l'entreprise de location, à qui la municipalité avait octroyé des droits.
Sur la photo, on voit le Zeph tout au bout du quai médian, qui était à gauche du phare rouge. Entre la poupe du Zeph et la table d'enregistrement des locations à la journée, stationnaient plusieurs embarcations de l'entreprise. Une dizaine en tout, qui aurait due être déployée le long de ce quai, à partir de 17h, qui était l'heure de la fin des contrats locatifs. Mais le gestionnaire, sans nul doute inspiré par la Muse, a mis à couple certaines de ses embarcations et déplacé d'autres aux quatre coins du port pour pouvoir nous offrir l'hospitalité. Et l'hospitalité, en Grèce, est toujours une manière d'être et d'agir complètement indépendante des espèces sonnantes et trébuchantes.
Voici donc le Zeph, sous la bénédiction de la Muse :
Le premier geste que le mousse a accompli, une fois le pied à terre, était de rendre visite au sanctuaire de la Muse. Il en connaissait bien le chemin. Il était tout heureux de l'emprunter de nouveau. Il avait l'agréable sensation de revenir chez lui !
C'était un sanctuaire en plein air, sans mur d'enceinte, sans contrôle d'identité, sans droit de péage. Le voici, ouvert sur l'horizon infini :
L'an dernier, la découverte a eu lieu en début d'après-midi. Cette année, la visite s'est produite quand le soleil commençait à flirter avec l'horizon. Entre les photos de l'an dernier et celles de cette année, le spectre des couleurs s'est donc déplacé vers le jaune orangé.
Deux pierres (l'une, cylindrique, et l'autre, parallélépipédique) faisaient ressortir la confrontation entre les deux éléments qui composaient le lieu : l'élément changeant, qui venait du large, et l'élément stable, qui résistait aux assauts du premier.
Mais dans le sanctuaire de la Muse, cet affrontement n'était pas source de tensions, ni d'angoisses. Il disait, avec simplicité et éloquence, la mouvance de la vie, sans nuire à la concorde qui régnait dans ce lieu.
Nos lecteurs du mois de décembre se souviennent du Musée d'Histoire Naturelle créé par la Muse. Y avait-il du nouveau dans les vitrines ? Regardons-les de plus près :
Comme l'an dernier, les rebords des fenêtres servaient de vitrines.
Comme l'an dernier, oursins et coquillages faisaient partie des incontournables.
Mais cette année, les oursins exposés semblaient beaucoup plus nombreux.
Devant la fréquence accrue de ces amas de piquants, il n'est pas saugrenu de faire le lien avec une autre sphère hérissée de pointes malfaisantes, que la médecine dessine pour modéliser le Coronavirus.
La blancheur du coquillage était comme une sorte de résistance à la prédominance des masses sombres et hirsutes.
La suggestion de l'antidote était encore plus flagrante dans le tableau suivant :
C'était la bougie qui créait la surprise. Cet objet manufacturé était totalement absent de l'exposition de l'an dernier, qui était surtout consacrée aux formes minérales ou organiques naturellement présentes dans l'environnement.
D'ordinaire, on allume une bougie pour voir plus clair. Si la multiplicité des boules hérissées, à l'aspect lugubre, représente la progression de l'actuelle pandémie, la lumière de la bougie symbolise alors le savoir scientifique qui pourra nous éclairer quant au devenir de la crise sanitaire actuelle.
On allume aussi une bougie pour prier, faire un vœu, formuler une requête.
Tous, nous faisons le vœu qu'un vaccin fiable nous tire d'affaire.
Un autre tableau mettait bien en évidence le désir de lumière. Le voici :
Une lanterne côtoyait des coquillages et des pierres lisses, sans aucun piquant.
L'être humain a besoin de lumière pour savoir où il va, même en dehors du contexte d'une pandémie.
Le besoin de lumière est un besoin permanent.
Lumière pour la rétine et lumière pour la compréhension.
Devant le tableau suivant, où la lumière rasante du soleil faisait ressortir la moindre anfractuosité, que fallait voir et comprendre ?
Une masse spongieuse gisait au milieu d'autres corps, qui affichaient une apparence plus dense. La chose remplie de cavités semblait souffrante. Serait-ce un poumon malmené par le Covid et dépouillé de son efficacité alvéolaire ?
La Muse peignait par métaphores la condition humaine.
Voici une illustration de celle-ci dans le tableau suivant :
La bouteille du fond était entièrement remplie de matières solides. Par contre, celles-ci n'occupaient qu'un tiers de la panse voisine et l'eau prenait la place d'un autre tiers.
Parmi les corps solides, on pouvait voir des galets, les profils en fuseau des coquillages, et même quelques enveloppes nacrées.
La nacre créait un supplément de lumière.
Si l'ensemble des corps solides contenus dans la bouteille représente la famille humaine, les parcelles nacrées correspondraient aux lueurs d'espoir apportées par le savoir.
Mais attention, il y a savoir et savoir.
La bouteille du fond était fermée hermétiquement par un bouchon manufacturé. C'est le savoir technologique.
À l'inverse, la bouteille à l'extérieur, qui contenait encore de l'air libre dans le tiers supérieur de sa panse, était fermée par une pierre qui s'était lovée dans le col. Fermeture, sans l'intervention ni de la technologie, ni de l'industrie. Fermeture, mais pas d’herméticité, ni asphyxie.
Nous avons le choix entre les deux devenirs.
Ce message s'adressait bien à la famille humaine. Car les deux bouteilles étaient posées sur des napperons brodés, ouvrages d'art créés par la main humaine. Un tel support n'existait pas pour le coin des oursins.
Bien sûr, la Muse respecte notre libre arbitre.
Mais, dans sa bonté, elle veut seulement se montrer édifiante et nous mettre sur la voie de l'optimisme.
Voici un tableau qui illustrait ses encouragements :
Des vagues se succédaient à d'autres vagues. Le bleu rappelait le fond de la mer.
La hauteur des crêtes pourrait effrayer, la profondeur des creux pourrait angoisser.
Mais tout n'est pas perdu, même lorsqu'on se retrouve dans le creux de la vague.
Les corps blancs qui sont posés dans les vallons représentent ce que nous possédons de plus pur en nous, et qui ne sombrera pas dans l'abîme.
Mais la mer n'est pas toujours bleue, innocemment bleue.
Il arrive qu'elle prenne des reflets verdâtres quand le temps se gâte.
La Muse a pensé à ce genre de météo. Mais elle nous conseille le même optimisme. Regardez donc :
L'alternance rapprochée des crêtes et des creux ne doit pas nous faire oublier nos trésors intrinsèques, qui sont représentés par ces corps harmonieux qui surgissent des sillons.
Ces deux tableaux des ondulations présentaient une subtilité, qui était une nouveauté 2020 : les supports ondulés étaient posés sur des napperons, qui affichaient aussi du rouge vif. C'était la couleur de la pulpe de la pastèque.
Pulpe juteuse, rafraîchissante, généreusement offerte par la terre nourricière.
Sur la photo des vagues vertes, on voit une tranche de pastèque. Sur la photo des vagues bleues, on voit deux tranches.
La Muse semblait donner au marin malmené par les intempéries le message réconfortant suivant :
« Ô toi, mortel, qui vas sur les mers, souviens-toi que la terre nourricière ne t'oubliera jamais ! »
Le Musée d'Histoire Naturelle, inspiré par la Muse de Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ, acquiert une nouvelle vocation, celle d'une Galerie d'Art Contemporain.
La Muse avait pour mère Μνημοσύνη – MNYMOΣΥΝΗ.
Selon l’helléniste français Pierre Chantraine, la racine du nom maternel est μνήμη – MNHMH, qui signifie « mémoire ». La Muse est donc fille de la Mémoire.
Consciente de l'héritage maternel, la Muse s'emploie à l'honorer et à le fructifier. De quelle manière ?
Sur une pierre trapézoïdale, posée à même le sol, face au soleil couchant, on pouvait lire le nom que La Muse a donné au site : ΠΑΡΑΛΙΑ ΤΟ ΑΣΥΛΟ.
Littéralement : PLAGE L'ASILE
Le nom de la plage était « l'Asile ». Non pas au sens où elle servait de lieu de contention d'individus indésirables, comme par exemple un « asile de fous ». Car sur le site et aux abords, personne n'avait des gestes inhabituels, étranges ou inquiétants.
L'asile était entendu au sens de terre d'asile, où celles et ceux qui fuient la guerre ou d'autres calamités espèrent reconstruire leurs vies. Il s'agit donc d'une terre de bonté, qui permet à l'être humain de retrouver sa dignité.
Il est difficile de ne pas remarquer qu'une pierre de forme ovoïde et à l'aspect plutôt spongieux occupait l'emplacement de la voyelle grecque « omicron » de l'article « TO » (en français : LE), qui était sur la ligne médiane.
D'aucuns pourraient penser à un bouchon. Remplissage d'un vide ou obstruction d'un flux ? L'un des flux les plus précieux et les plus bénéfiques est celui de la lumière. Dans ce cas, l'obstruction figurée correspondrait à une perte de la vue, Le rond de la voyelle « omicron », bouché par la pierre, évoquerait la condition d'un borgne si l'on pense aux mortels que nous sommes, ou celle du Cyclope, si l'on se souvient d'Ulysse bloqué avec ses compagnons dans l'antre de Polyphème.
Ulysse et ses compagnons ont trouvé refuge sous le ventre des brebis du Cyclope, qui sortaient pour paître. L'asile qui donnait accès à la vie sauve et à la liberté était la toison abdominale des ovins.
Spatialement, il y avait trois niveaux. En haut, c'était le regard furieux du Cyclope. Puis, en bas, le dos des brebis. Et enfin, juste au-dessous, la cachette poilue offerte par le ventre des bêtes qui allaient paître.
Il est à noter qu'à ce moment, le seul œil du Cyclope était déjà abîmé, à cause du pieu pointu qu'Ulysse y avait enfoncé.
L'obstruction par la pierre évoquerait une double défaillance : celle qui est survenue à la naissance, et l'autre qui a été provoquée récemment, par « accident ».
En écrivant ΑΣΥΛΟ (en français : ASILE) sous l'article stylisé TO (en français : LE), et non pas sur la même ligne, la Muse a respecté la disposition scénographique d'Homère dans l'épisode du Cyclope Polyphème.
En bas, à droite, le texte comportait une date : 2020.
C'est l'année de la mise en service de l'exposition. Cette indication temporelle témoignait que l’œuvre de la Muse n'était pas qu'un chant nostalgique, mais que son message se voulait contemporain, conçu pour des voyageurs du XXIè siècle. De plus, la mention de l'année sous-entendait que le Musée d'Histoire Naturelle inspiré par la Muse ferait peau neuve chaque année.
L'écriture apparaissait comme sur un ciel constellé d'étoiles. Parmi celles-ci, certaines émettaient dans le rouge. D'autres, dans le bleu. D'autres encore, dans le jaune orangé. Quelle magnificence !
Est-ce normal que la Muse s'exprime au sujet des problèmes rencontrés par des mortels du XXIè siècle ?
La Muse porte-t-elle un nom qui lui est propre ?
Ce nom serait-il Κλειώ – KΛΕΙΩ, qui vient de κλέος – KΛΕΟΣ (en français : gloire), parce que la Muse prend soin de la mémoire des faits glorieux du passé ?
Ou ce nom serait-il Ουρανία – OYPANIA, qui vient de ουρανός – OYPANOΣ (en français : ciel), parce que la Muse célèbre la majesté de la voûte céleste et la beauté de l'Univers ?
L'illustre orateur romain Cicéron, a écrit dans son ouvrage De Natura Deorum ceci :
« Iam Musae primae quattuor Iove altero, Thelxinoe, Aoede, Arche, Melete »
Livre III, chapitre 54
Le texte latin dit qu'au début, il n'y avait que quatre muses. Celle qui est mentionnée en premier par Cicéron avait pour nom Thelxinoe, dont l'écriture en grec est : Θελξινόη – ΘΕΛΞΙΝΟΗ. Littéralement : “celle qui touche le coeur”.
La Muse à Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ était Θελξινόη – ΘΕΛΞΙΝΟΗ, car elle “touchait le cœur” de quiconque la rencontrait, afin d’œuvrer pour la concorde.
Elle a réservé au Zeph un accueil empli de bonté.
Elle savait aussi que le Zeph allait changer de bassin de navigation et ne reviendrait peut-être plus jamais à Μύτικας – MΥΤΙΚΑΣ. Alors elle nous a fait un très, très beau cadeau d'adieu : elle s'est dévoilée en chair et en os !
La voici, dans la lumière dorée du coucher de soleil :
Ô Fille de la Mémoire, nous n'oublierons jamais ton cœur bon et généreux !