Κως – ΚΩΣ (en français : Kos) devient la propriété des Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean en 1309, en même temps que Ρόδος – ΡΟΔΟΣ (en français : Rhodes). Les Grands Maîtres établissent leur quartier général à Rhodes et confient l’administration de Kos à leurs lieutenants en accordant à ceux-ci une grande autonomie.
Un même destin lie Kos et Rhodes, face à l’Empire ottoman qui ne cache pas l’insatiabilité de son désir expansionniste.
Voici la côte turque, vue à partir de Kos :
La photo a été prise à proximité de la pancarte indiquant la direction à prendre pour trouver l’arbre d’Hippocrate (voir l’article « Kos, berceau prestigieux d’un serment de probité », publié le 20/0/2022).
Le bateau est amarré au quai situé devant le bâtiment de la police grecque.
À l’horizon, se profile une chaîne montagneuse, qui se trouve en Turquie.
Seuls quatre kilomètres séparent les deux rives !
Dans le cas de Rhodes, la distance qui sépare le territoire grec de la côte turque fait dix-huit kilomètres.
Autrement dit, au temps des Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean, Kos est plus menacée que Rhodes par l’Empire ottoman.
De plus, Kos se trouve à une centaine de kilomètres au Nord-Ouest de Rhodes. Donc Kos est plus près que Rhodes de Constantinople, qui tombe entre les mains du Sultan en 1453.
L’Ottoman vainqueur s’appelait محمد ثانى (en français : Mehmed II)
À l’homme qui menait toujours à terme ses ambitions militaires et politiques, la postérité a octroyé le qualificatif الفاتح (en français : le Conquérant)
La chute de Constantinople aiguise l’appétit de l’Ottoman, qui se met à harceler le fief des Chevaliers de l’Ordre de Saint-Jean.
La topographie montre qu’il est logique que Kos serve d’avant-poste pour Rhodes, dans ce périlleux vis-à-vis avec l’Ottoman.
Kos avait pour mission de protéger les intérêts rhodiens, en faisant preuve de bravoure.
Cette définition du rôle de Kos implique deux choses. D’abord, Kos doit être autonome pour sa propre défense. Ensuite, l’effort de Kos a pour but de donner la victoire finale à Rhodes.
La question de l’autonomie est résolue par un programme de consolidation et d’amélioration des fortifications.
Voici l’ouvrage défensif qui avait la responsabilité de protéger le principal port de Kos :
Le quai visible au centre de la photo est réservé aux ferrys qui desservent l’île.
Un peu sur la gauche, se dresse une tour crénelée, qui appartient à la première enceinte de la forteresse.
Qui dit « première enceinte » sous-entend qu’il y a au moins une « deuxième enceinte ».
En effet, celle-ci occupe le premier plan, sur la droite de la photo.
Un très grand fossé sépare les deux enceintes, qui ne sont nullement contemporaines l’une de l’autre. Un siècle les sépare. Un siècle marquée par la hargne de l’Ottoman.
Sur la photo, au niveau de la vedette blanche, la muraille extérieure présente un angle droit où se niche un blason. Voici ce blason :
On reconnaît un chapeau de cardinal. Il s’agit du Grand Maître Pierre d’Aubusson, qui exhibe la nouvelle récompense que le pape, Innocent VIII, vient de lui accorder.
À l’horizon, s’étend une chaîne de montagne qui se trouve en territoire turc.
La visibilité est remarquable ce jour-là, avec le soleil du début de l’après-midi.
Par rapport à la photo ci-dessus, tournons le regard un peu plus vers la gauche, c’est-à-dire en direction du couchant.
Voici le spectacle qui vient s’offrir à nos yeux :
On voit le port principal, qui bénéficiait de la surveillance et de la protection de la garnison installée dans la forteresse à double enceinte.
Sur la gauche de la photo, se dressent plusieurs palmiers. Juste derrière, se trouve un bâtiment à trois étages, avec un toit à créneaux. Sous la rangée des arcades supérieures, on peut lire :
ΔΗΜΑΡ[ΧΕΙΟ]
(en français : MAIRIE)
Par son aspect pittoresque, son animation et sa liesse, le port est la vitrine de l’équipe municipale. Il est probable que cet attrait soit un héritage du passé.
Prenons de la hauteur et contemplons le nouveau panorama :
Le lien topographique entre le port et la forteresse est manifeste.
La vue aérienne permet aussi de se rendre compte que la deuxième enceinte a considérablement agrandi l’espace sécurisé à l’intérieur de la forteresse.
La création de la deuxième enceinte n’était pas une lubie des Grands Maîtres.
Ce projet de réaménagement et d’extension de l’espace fortifié est suscité par l’offensive sans cesse plus féroce de l’Ottoman.
L’homme qui a fait démarrer le nouveau programme défensif pour Kos était justement le Grand Maître Pierre d’Aubusson, déjà mentionné ci-dessus.
Le Chevalier a vécu en première ligne et dans sa propre chair le péril ottoman quand le Conquérant de Constantinople a décidé, en 1480, d’écraser pour toujours la résistance des Rhodiens et de leurs alliés.
160 navires et 70000 hommes, qui servaient le Sultan Mehmed II, ont été envoyés pour assiéger Rhodes et couper la route des renforts.
Le siège a commencé le 23 mai et s’est terminé le 17 août de la même année, à l’avantage des Chevaliers.
L’artisan de cette victoire éclatante des Chevaliers était le Grand Maître Pierre d’Aubusson, qui s’est jeté corps et âme dans la bataille.
Peu de temps après, l’héroïsme du soldat a été couronné avec un chapeau de cardinal.
Au cours de cet épisode, de quelle manière la bravoure de Kos s’est-elle manifestée ?
Il fallait tenir à distance l’Ottoman et ne pas s’effondrer pour ne pas compliquer la tâche des autres Chevaliers.
Mais avant ce terrible blocus, Kos a déjà montré sa bravoure face à l’Ottoman.
En 1457, Kos a été l’objet d’un siège mené avec 156 navires et 16000 soldats.
La bravoure de 15 Chevaliers et de 200 habitants a suffi pour faire le siège au bout du vingt-troisième jour.
Kos a eu à montrer sa bravoure d’une autre manière encore.
C’était sans doute la manière la plus tragique et la plus émouvante. L’occasion s’est présentée en 1522, quand le Sultan voulait à nouveau réduire à néant l’obstacle rhodien.
Cette fois-ci, le Sultan s’appelait سليمان اول (en français : Soliman 1er).
En Orient, on ajoute au nom ce qualificatif : القانوني (en français : Le Législateur)
En Occident, on préfère parler de « Soliman le Magnifique ».
Donc Soliman 1er commande en personne une flotte de 400 navires et une armée de 100 000 hommes pour mettre définitivement un terme à la résistance rhodienne.
Le siège a débuté le 26 juin 1522 et a pris fin le 22 décembre de la même année. Cette fois-ci à l’avantage de l’Ottoman.
Le Sultan a promis aux Rhodiens encore en vie la liberté, avec la possibilité d’emporter en exil tous leurs trésors. À une seule condition : que Rhodes renonce à ses possessions territoriales.
Ainsi, selon les termes de la reddition, Rhodes consent à abandonner Kos entre les mains de l’Ottoman.
Bien sûr, pour Kos, il y a eu la bravoure pour tenir bon pendant les six longs mois de siège. Mais il y a eu aussi l’autre bravoure, faite d’amertume et de résignation, quand nos anciens compagnons d’armes décident de notre sort, sans demander notre avis.
Le 6 janvier 1523, Kos est livrée à l’Ottoman.
Cette tragédie ne manque pas de faire venir à l’esprit cette déclaration que l’on peut lire dans le roman “Animal Farm. A Fairy Story”, écrit par George Orwell :
Bravery is not enough. Loyalty and obedience are more important.
La bravoure ne suffit pas. La loyauté et l'obéissance sont plus importantes.
En ce 6 janvier 1523, il est indubitable que les Chevaliers restés à Kos se soient posé ces questions : « Notre bravoure depuis toutes ces années de lutte n’aurait-elle pas suffi ? Envers qui, envers quoi faut-il que nous soyons encore loyaux et obéissants ? »