Il disait de lui-même :
Ἐγώ εἰμι τὸ φῶς τοῦ κόσμου· ὁ ἀκολουθῶν ἐμοὶ οὐ μὴ περιπατήσει ἐν τῇ σκοτίᾳ ἀλλ᾽ ἕξει τὸ φῶς τῆς ζωῆς
Το κατά Ιωάννη Ευαγγέλιο. Κεφάλαιο η’. Στίχος ιβ’
En français :
Je suis la lumière du monde. Celui qui vient à ma suite ne marchera pas dans les ténèbres ; il aura la lumière qui conduit à la vie.
La Bonne Nouvelle selon Jean. Chapitre 8. Verset 12
Peut-on prétendre être la lumière du monde quand on a un visage comme celui-ci :
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Pourtant c’était ainsi que l’auteur de la parole précédente était vu par les fidèles qui entraient dans l’Abbatiale de Foix.
La peau du prédicateur était sombre. Son regard, sombre également, guettait, avec anxiété, un péril.
La contradiction flagrante entre le texte et l’image constituait un passionnant sujet d’investigation.
Une première piste de réflexion est donnée par les Écritures qui ont prophétisé sur la venue de ce prédicateur. Voici l’une de ces prophéties :
וַיַּעַל כַּיּוֹנֵק לְפָנָיו וְכַשֹּׁרֶשׁ מֵאֶרֶץ צִיָּה לֹא־תֹאַר לוֹ וְלֹא הָדָר וְנִרְאֵהוּ וְלֹא־מַרְאֶה וְנֶחְמְדֵהוּ׃
יְשַׁעְיָהוּ נג : ב
En français :
Il s'est élevé devant lui comme une faible plante, Comme un rejeton qui sort d'une terre desséchée ; Il n'avait ni beauté, ni éclat pour attirer nos regards, Et son aspect n'avait rien pour nous plaire.
Isaïe 53:2
La prophétie fait clairement état de l’absence de beauté. Il va de soi que la beauté évoquée est la beauté physique et non morale.
Physiquement donc, le visage peint n’a rien de beau. Les traits émaciés et le menton pointu créent même une certaine laideur.
Selon la prophétie, non seulement la beauté est absente, mais l’éclat est aussi introuvable. En effet, la palette de couleurs était terne, affreusement terne.
L’éclat aurait signalé une dimension supra-humaine. L’omission de l’éclat indique une condition terrestre commune à tout le monde. L’homme qui avait le visage ci-dessus pourrait passer inaperçu dans les rues de Jérusalem ou de Nazareth parce son apparence physique « n’attirait pas les regards ». La fin du verset développe la description de la silhouette en disant que « son aspect n'avait rien pour nous plaire ». Le ton de l’ajout serait celui d’une litote, qui dissimulerait une répulsion. En effet, non seulement le visage peint ci-dessus n’avait aucun pouvoir d’attraction, mais en plus, il ferait même fuir certains, à cause de son dépouillement et de sa véracité.
Ainsi le visage peint était exactement conforme au texte hébraïque.
Et l’artiste va plus loin que cela : il montre que le corps, dans son intégralité, est habité par la prophétie, qui nie l’existence de toute beauté et de tout éclat :
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Le Christ aux couleurs sombres, pour ne pas dire le Christ noir, était une nouveauté pour le mousse. Il avait déjà vu Marie avec la teinte de l’ébène. Quelquefois, l’Enfant avait adopté l’ébène maternelle. À l’Abbatiale de Foix, c’était la toute première fois que le mousse voyait l’ébène recouvrir intégralement le corps adulte du Sauveur.
Cette belle découverte stimulait fortement l’esprit.
La Bohème, qui accueillait avec confiance toutes les initiatives de Castor et Pollux, nous apportait une moisson d’imprévus, tous plus exquis les uns que les autres.
Pour montrer l’unité au sein du groupe qui se forme autour du Nazaréen, le peintre a appliqué la même palette de couleurs aux autres personnages.
Sur l’une des rives du Jourdain, se tient le cousin, qui est Jean-Baptiste :
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L’homme a les paumes inversées l’une par rapport à l’autre.
La paume de la main droite est tournée vers le bas, en direction du Nazaréen. Elle exprime un geste donateur, qui est une bénédiction. L’autre paume se tourne vers le ciel, pour recevoir l’Esprit Saint. Le Baptiste sert ainsi d’intermédiaire entre la force agissante qui vient d’en haut et le corps sacrificiel qui entre en fonction par le baptême.
L’Esprit Saint est bien descendu du ciel. Seul le flux qui descend sur la tête du Nazaréen est représenté. La matérialisation se fait par l’intermédiaire d’une colombe.
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Le corps de la colombe, qui est blanc, apparaît dans une auréole dorée.
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Le blanc, qui évoque la pureté ou l’incandescence, désigne une constitution en lien direct avec le divin.
L’or, quant à lui, illustre le rapport entre le sacré et la condition humaine. Il n’y a aucune trace d’ébène dans la représentation de la descente de la colombe.
Sur l’autre rive du Jourdain, se tient un groupe de quatre personnages, chacun avec sa paire d’ailes.
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Il s’agit donc de quatre anges. Les ailes sont blanches comme le corps de la colombe est blanc. Ainsi la paire d’ailes est représentée par rapport à la connexion directe avec la présence divine. Quant à l’or de chaque auréole, il illustre le caractère sacré de la mission que l’ange accomplit auprès des humains.
Voici les deux anges de la rangée inférieure :
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Le teint sombre du Nazaréen apparaît également chez les messagers angéliques, parce que ceux-ci manifestent une profonde empathie à l’égard de la condition terrestre de l’Élu.
Cette unité chromatique montre chez l’artiste un grand respect du texte hébraïque. En plus de cette sublime cohérence entre la condition terrestre de l’Élu et l’adhésion des anges au projet divin, il y a une autre audace picturale de la part de l’artiste. Regardez bien la coiffure et les traits du visage de chaque ange.
Voici celui qui se tient près de l’eau :
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Ne voyez-vous pas que la féminité effleure sous les coups de pinceau du peintre ?
Et que dire de l’autre ange, qui se tient à l’arrière, du côté de la terre ?
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Il n’est pas difficile non plus de voir la féminité transparaître dans les boucles de cheveux et les courbures délicates du visage.
Juste au-dessus des deux anges aux traits féminins indéniables, une autre créature céleste apporte sa contribution de messager :
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Cette fois, les traits sont androgynes. Mais le teint sombre demeure, ce qui signifie que la même empathie avec la condition terrestre de L’Élu irrigue le corps de l’ange.
Finalement, au sommet, apparaît une tête plus jeune et plus joufflue, avec le même teint sombre que les précédentes :
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Et nous quittons l’androgynie pour retrouver la féminité.
La prédominance de la féminité dans le groupe des anges rappelle que le projet divin est d’abord un projet de miséricorde.
Les Écritures rapportent que le baptême du Nazaréen se déroule au milieu d’autres baptêmes, également réalisés par Jean-Baptiste. Or, l’artiste de l’Abbatiale de Foix semble faire abstraction de la foule des badauds qui assistent au baptême du Nazaréen. Ce choix du peintre est-il une maladresse, voire même une faute ?
Un élément de réponse se trouve dans le verset qui vient après le texte d’Isaïe cité ci-dessus. En effet, on peut lire ceci au verset 3 du même chapitre 53 :
נִבְזֶה וַחֲדַל אִישִׁים אִישׁ מַכְאֹבוֹת וִידוּעַ חֹלִי וּכְמַסְתֵּר פָּנִים מִמֶּנּוּ נִבְזֶה וְלֹא חֲשַׁבְנֻהוּ׃
יְשַׁעְיָהוּ נג : ג
En français :
Méprisé et abandonné des hommes, Homme de douleur et habitué à la souffrance, Semblable à celui dont on détourne le visage, Nous l'avons dédaigné, nous n'avons fait de lui aucun cas.
Isaïe 53 : 3
Isaïe parle donc d’un rejet massif qui attend l’Élu.
Le rejet est massif parce que le peuple d’Israël refuse de voir dans le Nazaréen l’Envoyé du Très-Haut. L’opposition venant de la part du peuple d’Israël lui vaut une disgrâce, que le Nazaréen décrit dans l’une des paraboles que contient son enseignement. Dans cette parabole, le peuple d’Israël est comparé à un arbre desséché, qui est juste bon pour être coupé et jeté au feu.
Sous la silhouette de Jean-Baptiste, l’artiste a peint un arbre desséché. Et contre le tronc de l’arbre, est posée une hache.
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On retrouve donc tous les éléments de la parabole.
L’arbre desséché et la hache se trouvent sur la rive où se tient Jean-Baptiste, c’est-à-dire la rive de l’alliance mosaïque, alliance rendue caduque par l’onction du Nazaréen au moment de son baptême.
À travers l’absence de badauds qui sont des représentants du peuple d’Israël, le peintre signifie le mépris de ceux-ci par rapport au ministère terrestre du Christ.
Et pourquoi n’y a-t-il même pas ceux qui sympathisent avec l’enseignement du Nazaréen ?
Le texte en hébreu dit que le Messie sera abandonné de tous. Tous, c’est-à-dire y compris ses propres disciples.
En effet, Pierre, qui a juré fidélité à son Maître, renie celui-ci dès le premier chant du coq.
Puis, peu de temps après, pendant que le Nazaréen agonise dans le jardin de Gethsémané, tous les apôtres se sont endormis : aucun n’a su rester éveillé pour réconforter le Maître. Autrement dit, aucun apôtre, aucun disciple n’est présent à un moment si important.
Par anticipation, l’artiste de l’Abbatiale de Foix a inséré la nuit de l’arrestation dans le décor du baptême.
Cette composition en filigrane est une très grande subtilité.
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En définitive, l’ébène qui surprenait au début, n’est pas d’ordre ethnique, mais symbolique. On peut même dire qu’elle est de nature messianique.
Voici les murs qui abritaient le chef-d’œuvre impliquant l’ébène :
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La Bohème en Ariège engendrait des aventures mystiques, qui émerveillaient l’esprit de façon durable.
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