La Bohème en Ariège réservait maintes surprises agréables. L’inattendu venait souvent des arts décoratifs, qui dépaysaient par leur enchantement.
Dans la demeure où Castor et Pollux nous recevaient avec tant de générosité, l’ornement était un élément essentiel de l’art de vivre. Le lieu de repos réservé au mousse en était un exemple très éloquent.
Il s’agissait d’un espace égayé par des pétales lascivement incurvés. Leur ordonnancement était savamment réalisé à l’aide de la symétrie axiale. Deux jeux s’y superposaient : celui de la forme et celui de la couleur.
Le jeu géométrique jonglait avec la figure du quadrilatère et celle de l’octogone.
Voici une composition florale utilisant la structure du quadrilatère :
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Quatre pétales prenaient place autour d’un cœur qui avait la forme d’un losange.
Contiguë à cette fleur stylisée, se déployait une autre fleur, qui possédait huit pétales. C’était donc la structure de l’octogone qui était à l’honneur :
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Le cœur de la fleur était aussi un octogone.
La famille des quadrilatères et celle des octogones étaient imbriquées l’une dans l’autre de manière parfaite. C’était l’image de la solidarité.
L’imbrication mutuelle se déployait dans le sens horizontal comme dans le sens vertical : cela signifiait que la solidarité évoquée avait un caractère universel.
Cette imbrication mutuelle donnait l’impression d’avoir la capacité de ne pas avoir de fin. Il y était donc question d’infini.
Et depuis toujours, il existe un infini qui est indissociable de la quête de sens : c’est l’infini temporel, qui s’appelle encore éternité.
Chez Castor et Pollux, l’ornement qui égayait le lieu de repos du mousse était donc une fenêtre sur l’infini et reflétait un rêve d’éternité.
Après le jeu de la forme géométrique, venons-en à présent au jeu de la couleur.
L’ornement utilisait le vert de la chlorophylle et l’ocre de la terre. Les courbures aériennes arboraient la couleur de la végétation tandis que les pointes recourbées vers le bas prenaient la coloration de la terre arable.
Dans ce tableau symbolique, le vert et l’ocre étaient-ils traités à égalité ?
La réponse à cette question se trouvait au niveau des bordures.
En effet, les contingences matérielles imposaient des limites spatiales à la représentation.
Voici ce qui apparaissait à la frontière sommitale :
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Des pétales verts bordaient le haut de l’étoffe. Sur le devant de cette lisière, les filaments tressés, qui formaient une haie d’honneur, étaient aussi en vert.
Avait-on aussi la même chose en bas ? Regardez donc :
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Pour le bas de l’étoffe, la couleur verte gardait la primauté, à travers les pétales redressés et les filaments tressés qui pendaient.
Ce vert qui avait la prééminence dans le contexte de l’infini ne pouvait que renvoyer à la luxuriance originelle, celle de l’Éden.
Le repos que le mousse du Zeph goûtait en ce lieu privilégié était donc nourri par le rêve de l’Éden retrouvé.
L’ornement avait pour support une étoffe que Pollux avait ramenée d’un voyage sur les rives de l’Indus.
Lorsque le mousse profitait du lit de l’hospitalité, l’étoffe de l’Indus se trouvait du côté de ses pieds.
Qu’y avait-il à son chevet ? Ceci :
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Une malle, décorée avec les destinations les plus réputées de l’Extrême-Occident, tenait compagnie au chevet.
Ainsi, pendant ses échappées oniriques, le mousse avait ses pieds qui gambadaient en Orient et sa tête qui cogitait en Occident.
Le changement de méridien était immédiat pendant l’échappée onirique. Avec humour, l’ornement montrait que ce changement possédait encore le charme de l’immédiateté, même quand l’organisme restait éveillé.
En effet, au-dessus de la malle, il y avait un globe :
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La photo montre la péninsule indochinoise, en souvenir des années de jeunesse du mousse.
Mais pour revenir à la question du changement de longitude, celui pouvait s’opérer en une fraction de seconde, simplement en faisant tourner le cercle équatorial. Par exemple, la poussée se ferait de gauche à droite, si l’on voulait passer des rives de l’Indus à l’Extrême-Occident.
Tout comme l’étoffe du cachemire ramenée des rives de l’Indus, la rotation du globe possédait la potentialité de ne pas connaître de fin.
L’idée de l’infini a encore guidé Pollux dans la mise en valeur des espaces verts de la demeure.
Le cadre champêtre, évoqué dans l’article précédent, imposait le recours au bois de chauffage. Celui-ci était stocké en deux endroits. L’un, à l’Ouest, près du chèvrefeuille. Et l’autre, à l’Est, du côté des pâturages.
Voici une vue de l’abri à l’Est :
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Au-dessus du bois stocké, apparaissait une roue suspendue à l’aide de quatre cordes qui suivaient les directions de la première bissectrice et de la seconde bissectrice d’un repère orthonormal.
L’ornement circulaire, insolite et fascinant, donnait lieu à deux remarques. D’abord, il suggérait l’idée d’une rotation qui n’avait pas de fin. Ensuite, il rappelait singulièrement la roue du destin, si familière aux cultures qui s’épanouissaient sur les rives de l’Indus.
Tout comme Pollux, Castor nous a fait découvrir maintes originalités dans les arts décoratifs ariégeois.
La Bohème sous-entendait qu’il y avait beaucoup de libertés dans le déroulement de l’itinéraire. Malgré l’improvisation (ou grâce à cette improvisation), il y avait une abondance de rencontres instructives et fascinantes.
Chronologiquement, le premier territoire qui nous a séduits par sa sensibilité artistique était Foix.
Nous voici dans un passage qui montait vers le château de Foix :
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Le patrimoine architectural a conservé les concepts du Moyen-âge, qui concrétisaient les liens du voisinage par des passerelles, même aériennes. Il y avait dans la construction du lien architectural, l’estime que l’on avait pour le lien social.
Bien sûr, l’intérêt de la photo se situait au niveau du pont aérien. Cependant, ce qui fascinait le regard du photographe, ce n’était pas ni la hauteur de la passerelle, ni son étroitesse, mais son ornement. L’esthétique du colombage, destinée en premier lieu aux façades principales, s’était aussi intéressée à une excroissance tubulaire, souvent condamnée à la discrétion par l’ombre omniprésente.
Le colombage qui ornait la passerelle affichait un idéal de vie.
Cet idéal de vie était magnifiquement proclamé et illustré dès les premières marches de l’escalier coiffé par la passerelle qui intriguait.
En effet, à droite de l’escalier, dans le sens de la montée, apparaissait cette fresque splendide :
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Le tableau, aux couleurs très vives, représentait un jardin. On y voyait des fleurs qui prenaient leur envol comme des papillons, ou des papillons qui s’embellissaient en devenant des fleurs en lévitation. La confusion des apparences disait que la gaîté n’avait aucune frontière par rapport à la morphologie et que la même sève de la vie faisait prospérer toutes sortes de physiologie, chez la flore comme chez la faune.
Dans ce spectacle de l’euphorie, le bal des papillons verts était vraiment sublime !
Cette fête de la générosité contenait un enseignement. Celui-ci était délivré sous forme de trois exhortations, qui étaient rédigées dans la partie supérieure de la fresque :
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De haut en bas, et de gauche à droite, on pouvait lire :
Share U’r Garden
Connect U’r Soul
Open U’r Heart
En français :
Partageons Notre Jardin
Connectons Notre Âme
Ouvrons Notre Cœur
L’idée clé de ce texte vigoureux était celle de la passerelle : les deux expressions verbales « Partageons » et « Connectons » en donnaient une explicitation non équivoque.
Que sommes-nous encouragés à partager ? « Notre Jardin », c’est-à-dire ce que nous avons de plus beau, de plus odorant et de plus nourrissant.
La deuxième exhortation précisait que le mot « Jardin » était à prendre au sens propre comme au sens figuré. La fresque colorée montrait le « Jardin » au sens propre. Au sens figuré, notre « Jardin » s’identifiait à notre « Âme ».
Une passerelle s’appuie sur deux têtes de pont, dans le contexte de la mécanique comme dans celui de l’affectivité.
Le texte qui accompagnait la fresque des papillons verts nous encourageait à ne pas tarder à rendre fonctionnelle la tête de pont qui se situait de notre côté, et ce en « ouvrant notre cœur ».
Comme l’exhortation finale était éblouissante !
En effet, la vraie vie s’édifie avec des initiatives.
L’improvisation du circuit de découverte nous a menés un peu plus tard dans une autre rue médiévale :
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À l’arrière-plan, se profilait le château de Foix. À ce patrimoine prestigieux, qui datait de plusieurs siècles, s’ajoutait un autre patrimoine culturel tout aussi précieux, même si celui-ci ne datait que depuis quelques mois, voire depuis quelques jours seulement.
Cette contribution de la modernité apparaissait en bas de la photo, sur le côté droit.
Des graffitis rouges y montraient l’humeur populaire. Et juste au-dessous de l’ocre thymique, nous avons découvert ceci :
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C’était la première fois que le mousse du Zeph voyait un cœur vert. Quelle surprise ! Et quel enchantement !
Castor a été bien inspiré d’avoir mené nos pas jusqu’à ce croisement !
Le cœur dessiné sur la porte en bois n’était ni rouge, ni rose, ni bleu, ni noir, comme c’était le cas ailleurs.
Le cœur ariégeois était vert, d’un beau vert tendre.
Il n’exprimait ni l’ardeur, ni le chagrin, mais la douceur et la tendresse.
La couleur de la chlorophylle était aussi celle de la durabilité. L’amour ainsi représenté proclamait sa pureté et sa pérennité.
Les surprises les plus exquises étaient celles qui avaient un rapport avec l’éthique.
Voici un autre sujet d’émerveillement, offert par les arts décoratifs à Foix :
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Le portail ouvragé se trouvait sur un chemin qui montait vers le Musée.
Une salamandre y déployait son profil caractéristique.
Or la salamandre est un symbole de vertu.
Sa découverte sur le portail ouvragé était en parfaite cohérence avec le cœur vert et les papillons, verts eux aussi. Ensemble, ces trois apparitions évoquaient un cosmos vertueux, dédié à la pureté et à l’altruisme.
Les chemins improvisés à Foix étaient riches et féconds.
La Bohème nous a aussi enchantés à Ax-les-Thermes, où Castor nous a encore servi de guide.
À Ax-les-Thermes, nous avons retrouvé les deux thèmes qui inspiraient les arts décoratifs en Ariège : il s’agissait de la prédominance de la couleur verte et du jeu avec l’infini.
En voici un exemple :
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La photo montre le Casino à Ax-les-Thermes, où chacun peut tenter sa chance.
L’établissement de jeu était coiffé par deux tours au profil orientalisant. Les toits pyramidaux de ces deux tours n’étaient ni rouges, ni gris, mais verts.
Au milieu de l’escalier central, on pouvait voir Pollux de dos, avec sa veste rouge et bleue.
Tout en haut des marches, c’était le Capitaine du Zeph, de dos aussi, avec sa veste marron.
Dans le vestibule précédant la salle des machines à sous, se trouvait un jeu destiné à donner de l’eau à la bouche :
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La chance s’étalait sur les dix-huit panneaux qui composaient la paroi d’un cône. Le roulement de la boule porteuse d’espoir s’achèverait, fatalement. Mais l’ivresse du jeu n’était pas près d’avoir une fin. L’infini s’introduisait immanquablement dans la jouissance du plaisir, comme le rappelait la ronde des dix-huit cavaliers, qui semblait ne jamais s’arrêter.
Divinement inspirés, Castor et Pollux ont rendu la Bohème en Ariège plaisante et instructive en nous faisant découvrir la spécificité et la richesse des arts décoratifs.
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