La ville haute de Άγιος Eυστράτιoς (transcription : Ayios Evstratios) a été évoquée dans l’article précédent à l’occasion de la vue intégrale sur la fresque puis au sujet de l’inclinaison du rameau d’olivier.
Le mousse est monté à la ville haute le lendemain de notre arrivée sur l’île. Il a choisi de faire cette ascension en fin d’après-midi pour profiter du coucher de soleil. Les nuages se sont mêlés de la partie. Il y a eu moins d’éclat, mais plus de poésie. Voici la vue obtenue à partir de la ville haute :
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Au premier plan, le triangle se plaçait dans la lignée des frontons triangulaires des temples de l’Antiquité. Mais la base du schéma antique a été rétrécie pour donner une allure presque équilatérale. La finalité de cette transformation était de célébrer le dogme de la Trinité. La croix érigée à l’intérieur confirme le contexte spirituel de la forme triangulaire.
À l’arrière-plan, en contrebas, se trouvait le port.
À gauche du triangle, vers le sommet supérieur, se profilait le ferry qui assurait la liaison avec Mytilène. Le quai auquel il était adossé ressemblait à un L. Au niveau du coude, sur la face extérieure, était stationné le Zeph.
Après que la grande aiguille a fait le tour de la montre, voici le nouveau spectacle :
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Les lampadaires désormais allumés mettaient en relief la topographie. La poupe du ferry de Mytilène était éclairée par une double ampoule qui diffusait une lumière puissante. Au niveau du coude, un lampadaire inondait avec sa lumière orangée le Zeph. Au bout du quai, brillait la lumière rouge du phare. Et de l’autre côté, le phare vert était aussi allumé.
Mais revenons à l’heure précédente, quand la clarté diurne éclairait encore la ville haute.
Voici la vue en direction du Sud :
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Au premier plan, apparaissait le mur d’enceinte qui partait du porche décoré avec le triangle de la Trinité. La croix blanche appartenait à un monument funéraire.
Au niveau du plan intermédiaire, on voit encore le ferry de Mytilène, le quai en L du phare rouge, le Zeph, mais cette fois-ci avec l’intégralité du bassin intérieur, qui était destiné aux barques de pêche.
Que nous réserve maintenant la vue en direction du Nord ? Le magnifique paysage empli de douceur et de sérénité que voici :
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Le soleil couchant répandait son or sur les collines, sur l’arbre de Sicile, sur le mur d’enceinte, sur la terrasse et sur le marbre funéraire. À la paix qui régnait depuis l’onde bleue jusqu’au sommet de la ville haute, s’ajoutait une solennité qui n’était pas tapageuse, mais noble et distinguée.
Les sépultures à l’arrière-plan révélaient que l’acro-pole (littéralement : ville haute) était en fait une nécro-pole (littéralement : ville des morts) ;
Ainsi, Άγιος Eυστράτιoς a fait le choix que la dernière demeure soit celle qui offrait le panorama le plus vaste et le plus sublime.
C’était le signe d’une très grande piété.
L’affection à l’égard des êtres disparus se voyait dans la confection d’un jardin odorant, qui embaumait leur mémoire à toute heure de la journée :
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La fraîcheur du basilic faisait le lien entre ceux qui étaient partis et ceux qui espéraient que ce voyage aurait un retour.
La lampe à huile relayait l’astre du jour pour que le souvenir du disparu ne sombre pas dans la nuit de l’oubli.
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Comme on peut le voir dans la photo suivante, la lumière du soleil couchant éclairait le dos des stèles qui étaient érigées au chevet des sépultures :
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Autrement dit, le défunt regardait vers l’Est, c’est-à-dire vers Jérusalem, en attendant d’être relevé à la Résurrection. Mais quel était donc ce bâtiment qui se dressait à gauche de la photo, avec des acrotères aux quatre coins de la toiture, le flanc occidental généreusement éclairé par le soleil couchant et la porte s’ouvrant vers le Sud ?
C’était la Maison Commune pour toutes celles et tous ceux qui étaient de conditions modestes.
Dans cet abri mis à la disposition des personnes de faibles ressources, le souvenir se conservait dans des boîtes rectangulaires :
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Sur la boîte, on pouvait lire d’abord le prénom : ΣΤΑΥΡΟΣ (transcription : STAVROS), puis le nom de famille : ΚΑKΑΛΗΣ (transcription : KAKALIS). La ligne suivante : ΑΠΕΒΙΩΣΕ 5-4-2007 signifiait : EST DÉCÉDÉ [LE] 5-4-2007. La dernière ligne : ETΩN 50 pourrait être rendue par : À L’ÂGE DE 50 ANS.
Stavros le Grec attendait, seul, l’heure du relèvement. Pardon, il n’était pas tout à fait seul, car une main aimante avait déposé au-dessus de la boîte du souvenir des roses dont la teinte pourpre foncé témoignait d’une ardente affection.
Voici un autre départ, au singulier :
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Il s’agissait d’une passagère qui se prénommait EΛIΣΣABET (transcription : ELISSABET) et qui appartenait à la famille MANIKAKH (transcription : MANIKAKI). La dernière ligne disait que la Grecque était partie quand elle avait ses soixante-quatorze printemps.
Mais par rapport au calendrier administratif quand était-elle partie ? Qu’importe ! La date précise ne concernait que les intimes. Et encore ! Ce qu’il y a de plus important à retenir de ELISSABET, c’est qu’elle a bien profité de ses soixante quatorze ans.
La simplicité de la boîte de souvenir devenait un écrin pour la libre expression d’un discours de sagesse. Car sagesse il y avait, dans le fait que par rapport à la ressource temporelle, le contenu, qui était la durée, prévalait sur le contenant, qui se matérialisait par des repères figés.
L’au revoir à ELISSABET était fleuri par un bouquet bien fourni, qui faisait penser à des immortelles et qui charmait par des reflets couleur lavande.
Stavros avait ses roses au plafond. Elissabet, ses immortelles sur le côté. Il existait une autre disposition spatiale pour le jardin en miniature. La voici :
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La boîte de souvenir était au nom de ΛIBEPIOΣ ΛOYPOΣ (transcription : LIVERIOS LOUROS). Après le prénom et le nom de famille, figuraient l’âge du défunt : ETΩN 74 (transcription : À L’ÂGE DE 74 ANS) et la date du décès : 18-03-96, qui se dispensait d’être introduite par la forme verbale consacrée : ΑΠΕΒΙΩΣΕ (transcription : EST DÉCÉDÉ [LE]), comme cela a été le cas pour Stavros.
La très grande liberté pour confectionner le souvenir ne pouvait que mettre en valeur le climat d’authenticité.
Devant l’épreuve la plus cruelle de l’existence, les Grecs de Άγιος Eυστράτιoς ont eu la sagesse de s’affranchir de la rigidité d’un protocole contraignant.
Dans le cas actuel, Liverios le Grec avait un bouquet avec des teintes mauves et pourpres, non pas sur le pourtour du rectangle de présentation, mais sur le dispositif qui fermait, temporairement, la boîte. Temporairement, car viendra le jour où toutes les sépultures s’ouvriront et où le bouquet pendu au cadenas deviendra l’Éden retrouvé.
Les prémices de l’Éden retrouvé occupaient le devant de la scène dans la présentation suivante :
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La boîte contenait un double souvenir : celui de IΩANNHΣ (transcription : IOANNIS) et celui de MAPIA (transcription : MARIA). La face de présentation n’affichait que les prénoms à la ligne du dessus et le nom du couple : KAPAMAΛAKH (transcription : KARAMALAKI) à la seconde ligne. Rien du tout sur l’âge de chacun ou sur la date de leurs départs respectifs. Parce que tout cela n’a aucune importance. Ce qui importe vraiment, c’est qu’ils soient ensemble, Ioannis et Maria. Ensemble à attendre que le joli bouquet pendu au dispositif qui ferme la boîte redevienne l’Éden quand celle-ci s’ouvrira à l’heure du Grand Relèvement.
La simplicité rehaussait la puissance du message.
La simplicité donnait aussi à l’espérance une portée universelle. Regardez donc :
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Une multitude de boutons floraux était répandue sur du papier journal, comme dans un geste de libation. On se serait cru dans une cabane de jardin, chez un maraîcher. Le rappel des conditions modestes servait à préciser que le message véhiculé ne s’adressait pas seulement à une élite.
Quel était donc ce message ?
Le message disait que par-dessus le deuil, évoqué par l’encre noire et le papier grisâtre, fleurirait, en abondance, l’espérance portée par les boutons floraux, dont le rose vif était un avant-goût de la vie indestructible.
Des anges offraient leur présence réconfortante en attendant l’accomplissement de la promesse :
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D’autres montaient la garde en scrutant l’horizon, prêts à sonner la trompette quand viendrait l’heure du Grand Relèvement :
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La visite de l’acropole de Άγιος Eυστράτιoς était un émouvant voyage au sein de l’âme grecque, sans fioriture et sans artifice, sans dissimulation et sans subterfuge.
Bouleversé jusque dans ses entrailles, le mousse a dit au revoir à la ville haute pendant qu’elle s’illuminait avec les dernières lueurs du couchant :
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Le balcon posé sur la mer à Άγιος Eυστράτιoς était le balcon de la mémoire vivifiante et régénératrice, qui donnait sens à vie
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