Le balcon posé sur la mer à Λήμνος (transcription : Limnos) était au fait de ce tout ce qui avait de l'importance, temporairement ou de manière permanente, par rapport à la culture. Ainsi, des pancartes nous encourageaient vivement à découvrir les curiosités géologiques du site de Φαρακλό (transcription : Faraklo), qui se trouvait à une quinzaine de kilomètres au Nord de là où le Zeph était amarré.
Le parc géologique se visitait au bord de l’eau, à ciel découvert, à toute heure de la journée et tous les jours du calendrier. Il n’était gardé par aucune guérite et n’était entouré par aucune barrière.
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C’était un territoire de liberté, qui était entièrement confié au savoir-vivre des visiteurs.
Par rapport à la sociologie, cette confiance témoignait de la grande générosité de la Grèce.
Par rapport à la philosophie, la totale liberté permettait au visiteur, d’où qu’il vienne, d’avoir une immersion, immédiate et sans entrave, dans la féerie du cosmos grec.
Le premier coup d’œil révélait un sol qui semblait en ébullition. En effet, des formes sphériques s’élevaient de-ci de-là, à la manière des bulles qui montaient d’un liquide en train de bouillir :
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La physique prévoit que les bulles qui remontent à la surface finissent par éclater.
À Φαρακλό, les sphères de l’étrange éclataient aussi, mais de diverses manières.
Il y avait d’abord le déchirement de la membrane extérieure :
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Et il y avait aussi l’apparition d’une forme résiduelle qui prenait l’apparence d’un anneau :
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Par rapport à la géométrie pure, la métamorphose de la sphère d’origine était très intéressante à observer. Mais le mousse, dont les lecteurs commencent à bien connaître les penchants hédonistes, avait plutôt les yeux fixés sur la frange qui bordait au sol ce qui restait du sphéroïde, dont la configuration n’était pas sans rappeler un œuf au plat !
Dans cette évocation du plaisir culinaire, la position centrale correspondrait au jaune de l’œuf tandis que la périphérie serait constituée par le blanc de l’œuf. Et quand le feu est trop fort, la face inférieure du blanc commence à croustiller en ondulant. Voyez-vous ces ondulations gourmandes qui ornent la base de l’œuf au plat ?
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Les gourmets se pourlèchent alors les babines en disant : « Ça y est ! On peut décoller l’œuf avec la spatule sans qu’il se casse ! »
La métaphore culinaire inspirée par des papilles en éveil se poursuivait volontiers dans la contemplation des formes apparentées ou différentes.
Toujours dans le sillage de l’éclatement de la bulle sphérique, voici une scission qui produisait des lamelles transversales :
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On pourrait y voir l’œuf coupé en rondelles. Mais les échancrures du contour et le corps ondulant des lamelles feraient penser plutôt à un champignon à étages.
Une omelette aux champignons, voilà que suggérerait la cueillette effectuée au parc géologique.
Le bruit court que l’appétit français se nourrit d’abord de pain. Qu’à cela ne tienne ! Voici du froment en brioche, laquelle est, de surcroît, pré-découpée :
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Géométriquement, la sphère qu’avait fait émerger l’ébullition s’est muée en un ovoïde allongé, qui s’étendait mollement dans le sens de la longueur.
Pour les arts de la table, la figure du pain tranché accompagnait merveilleusement l’idée d’une omelette aux champignons.
La possibilité d’avoir une lecture hédoniste témoignait de deux choses. D’une part, la créativité de la nature était ainsi mise en évidence. D’autre part, l’humour était indissociable de son mode d’expression.
L’humour était dans l’introduction des notes de gaieté au sein de ce qui a été violent, comme cela a dû être le cas avec les convulsions de la croûte terrestre.
L’humour était dans la légère courbure qui apportait de la vie au contour.
L’humour était dans le sourire du détail.
L’humour était dans le raffinement.
C’est pourquoi le mousse a pris le temps pour ne pas passer à côté de cet humour.
Il a pris le temps pour se délecter de ce raffinement.
Au même moment, d’autres ont cherché le spectaculaire, comme cette silhouette féminine qui se prenait pour la suzeraine des lieux :
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Un drone était chargé d’immortaliser les simulations d’envol de la suzeraine, en greffant sur les zooms et les balayages les curiosités géologiques du parc.
Hélas, le drone destiné à l’exaltation manquait d’inspiration : il s’est donc rabattu sur le mousse pour s’emparer des cadrages de celui-ci. Voici le pillard en flagrant délit de piraterie :
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Cette double savate, à compartiments disposés radialement, n’était pas l’effigie d’un insecte, mais la trace d’un espion qui attendait pour piller ce que le mousse allait dénicher.
Comme c’était navrant !
Mais laissons le non-sens retourner à la stérilité. Et laissons aussi le grotesque retrouver la frustration.
Nous avons commencé cet article en allant directement au phénomène de l’ébullition, c’est-à-dire à la formation des bulles, jusqu’au moment où elles éclatent.
Le site de Φαρακλό montrait aussi ce qu’il y avait en amont et en aval.
Avant l’ébullition, il y a le frémissement du liquide. Voici la surface du liquide qui se froisse à cause de l’agitation thermique :
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Passons maintenant à l’aval. La physique dit que l’éclatement de la bulle donne naissance à une multitude de bulles plus petites, qui sont alors disposées selon un anneau. À Φαρακλό, la Nature ré-interprète ce morcellement et le dispose de façon linéaire :
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Sur la droite de la photo, vers le haut, apparaissait une rangée de blocs parallélépipédiques. Ceux-ci seraient les formes rénovées des gouttelettes qui résulteraient de l’éclatement de la bulle initiale.
Mais l’intérêt de la photo précédente n’était pas dans cette grande rangée, mais dans la minuscule rigole, qui abritait seulement trois compartiments, vers le centre de la photo. La parfaite adéquation de ces trois minuscules compartiments avec leur environnement immédiat confirmait qu’ils étaient bien à leur place. Et ce caractère naturel de l’insertion, alliée à la petite taille, fonctionnait comme une pointe d’humour au milieu de la fresque réalisée avec des pavés plus grands.
L’érosion a sculpté des formes qui flattaient les sens. Voici un autre exemple où la Nature, au parc géologique de Φαρακλό éveillait le désir :
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Le mouvement ondulatoire faisait penser aux plis d’une fine étoffe. Lascives, les ondulations parlaient de désir. Elles semblaient émerger d’un nœud, à moins qu’elles y convergent.
Quelle parenté avec l’univers des formes, qui est exhibé dans la sculpture égyptienne !
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Le vêtement égyptien servait à valoriser le corps.
Dans l’exemple précédent, c’était le haut du corps féminin qui était mis en valeur.
Qu’en est-il de la sculpture suivante ?
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La tunique reste élégante. La courbure des plis est très faible, sans doute parce qu’il s’agit d’une tunique masculine. Le tracé presque rectiligne des plis offre un contraste saisissant avec la cavité circulaire du nombril
À Φαρακλό, la Nature n’a pas évoqué la tunique égyptienne sans montrer le nombril égyptien. Voici le nombril égyptien qui surgissait au milieu du spectacle de l’ébullition :
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Il se peut que nos chers lecteurs décèlent un autre message et trouvent une autre signification.
La polysémie du spectacle est effectivement l’un de ses principaux attraits.
Dans tous les cas, la finesse de l’organisation du substrat reste fascinante.
Le balcon posé sur la mer à Λήμνος était le balcon du raffinement.
Bonne et heureuse année 2025 aux amis du Zeph !
Καλό και ευτυχισμένο το νέο έτος 2025 στους φίλους
του Ζέφυρου !
Buono e felice anno 2025 agli amici del Zèfiro !
Tags : balcon posé sur la mer, Λήμνος, Μούδρος, Φαλακρό, ébullition, tunique égyptienne
RÉPONSE À ANNE
Jeudi 09 janvier 2025, à 23:17
Chère lectrice,
Nombreux sont les Grecs qui utilisent la même métaphore que toi pour exprimer leur émerveillement devant ces curiosités géologiques. Mais la flore qui revendique sa place au milieu de l’ocre minéral rappelle au visiteur qu’il se trouve encore sur notre planète bien-aimée. Voici l’une de ces floraisons qui précisent la réalité tout en favorisant le rêve :
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La science oscille entre deux thèses pour expliquer l’insolite qui fait la célébrité du site de Φαρακλό (transcription : Faraklo). L’une de ces deux thèses bénéficie du soutien de la municipalité locale. C’est la thèse qui a inspiré la pancarte officielle dressée à l’entrée du site :
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La flèche qui va en direction de la droite de la photo donne le chemin des « Roches sédimentaires » tandis que la flèche qui est pointée vers la gauche montre la route pour rejoindre le centre administratif dont relève le parc géologique.
L’appellation de ce parc met en évidence le phénomène géologique invoqué, qui est la sédimentation.
Par temps calme, le dépôt des sédiments est un dépôt horizontal.
Les couches de sédiments sont des strates horizontales.
Les bords de ces couches sont des lignes parallèles.
Si la Terre s’ébroue ou entre en convulsion à cet endroit, l’horizontalité peut être brisée, mais le parallélisme des lignes de séparation demeure. En voisin un exemple à Φαρακλό :
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Si le plissement est plus fort, la courbure est plus accentuée mais le parallélisme initial est préservé :
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Mais la sédimentation aurait beaucoup de mal à expliquer les formes sphériques qui donnent l’impression de courir vers la mer :
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Les sphéroïdes qui font penser aux bulles d’un liquide en ébullition proviendraient, selon les scientifiques qui se basent sur le caractère volcanique de l’île, de la lave qui descend vers la mer.
Dans tous les cas, les formes sculptées sont l’œuvre de la persévérance de l’érosion, qui force aussi notre admiration par sa créativité et son humour.
Dans un premier temps, revenons à deux configurations déjà signalées dans l’article. Voici la première de ces deux configurations, qui sont mises en opposition :
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Des brioches, au profil trapézoïdal, sont rangées en ligne droite. Le hasard est incapable de mettre sur pied un tel défilé, qui exprime une volonté esthétique. Le même discours se retrouve dans la seconde configuration que voici :
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Les trois compartiments qui remplissent le triangle central sont parfaitement ajustés. La vision de l’adéquation dit qu’il n’y a aucune retouche à faire, ni dans cette configuration, ni dans la configuration précédente. Il s’agit donc de deux illustrations d’un même concept, celui de la plénitude. Sans aucun doute, c’est la sensation de la plénitude qui contribue à l’envoûtement exercé par le site.
Cette plénitude dans l’ordonnancement des choses est encore tangible même si celui-ci fait intervenir des éléments qui se montrent creux, en raison de leur concavité :
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Les coupelles à contours polygonaux s’ajustent à la perfection les unes aux autres pour former un puzzle ravissant. La coquetterie est dans les légères ondulations des contours.
L’article nomme aussi un signe de vivacité qui est l’humour, niché dans le détail. En voici un autre exemple, toujours dans le contexte de l’œuf au plat :
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Voyez-vous le jaune d’œuf qui s’ébrèche et commence à se répandre sur le blanc de l’albumine ?
Dans le contexte des relations humaines, on y verrait une fuite d’informations, causée par l’incapacité à garder un secret.
Et que dites-vous de cette apparence hirsute, qui se désolidarise de ses voisines toutes lisses :
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La multitude de mèches qui s’échappe de la base témoigne sans doute de la forte réticence à se laisser modeler par le travail de polissage ambiant. On peut y voir l’image de l’anti-conformisme, à moins que ce ne soit là l’évocation d’un écorché vif.
C’est captivant de voir la roche devenir le miroir de la condition humaine, dans le champ de la psychologie ou dans celui de la biologie.
En voici un autre exemple, où l’on peut lire la gémellarité :
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L’aspect de la roche convient tout à fait pour représenter un œuf de poule qui possède deux jaunes ou la formation de jumeaux chez les humains.
Tout en stimulant l’imagination, le parc géologique de Φαρακλό contient de nombreuses connexions avec notre condition terrestre.
Il va de soi que toutes ces subtilités de la forme restent désespérément inaccessibles à la perception du drone qui ne sait que parader avec son vol bruyant et ses approches discourtoises.
Merci à toi, chère lectrice, d’avoir fait de l’insolite une occasion supplémentaire pour méditer.
RP