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La piété ne s’exprime pas nécessairement par le grandiose ou le grandiloquent. Souvent même, elle préfère l’humilité, accompagnée de la sincérité.

Λίμνος (transcription : Limnos) fourmillait de situations où la piété se nourrissait, non pas de grandeur, mais d’authenticité. Voici, à titre d’exemples, trois de ces situations.

La mob louée nous a permis de découvrir les coins les plus reculés de l’île, qui étaient les plus sauvages, et donc les plus désertiques. Le dépouillement concernait aussi bien le manteau de végétation que l’habitat urbain.

Dès le premier jour de la location de la mob, nous sommes allés jusqu’à la pointe Sud de l’île.

Nous y avons trouvé une configuration de bout du monde :

Ce territoire avait un puissant attrait pour les humains en quête d’unité avec soi-même ou de fusion avec l’infini.

Nous aimions nous mirer dans l’harmonie avec nous-mêmes, et nous aimions aussi nous immerger dans l’immensité sans fin. Alors ce genre de territoire était tout à fait pour nous.

L’on y savourait une chose, à la fois simple et miraculeuse, qui était le souffle vital, dans son dépouillement le plus absolu, donc dans sa plus grande liberté.

Le site ne cachait pas sa coquetterie qui s’amusait à faire avancer une langue de terre dans l’étendue salée, à la manière d’un poulpe qui allongeait un de ses tentacules.

La photo ci-dessus montre l’isthme vu à partir de l’extrémité de la langue de terre.

Le début de l’isthme est gardé par une chapelle qui séduisait par sa grande simplicité. Le volume architectural était un simple parallélépipède rectangle, sans dôme et sans ramification. Les façades étaient de simples rectangles. La décoration extérieure consistait en un simple revêtement à la chaux.

Rien ne devait distraire le visiteur et l’empêcher de se concentrer sur la contemplation de l’essentiel, qui était le don de la vie.

À présent, inversons la perspective en nous plaçant à proximité de la chapelle blanche. Voici le paysage en direction du large :

L’horizon qui se profilait dans notre dos se trouvait au Sud-Ouest. En parcourant cette ligne d’horizon de gauche à droite, on rejoignait Mύρινα (transcription : Myrina), la capitale, là où nous avions loué notre mob.

Voici un ferry qui suivait cette ligne d’horizon pour se rendre à Mύρινα, la capitale :

Les blocs de pierre qui s’intercalaient au niveau du plan intermédiaire appartenaient à la colline où était érigée la chapelle.

Le passage du ferry montrait que le site n’était pas du tout abandonné. Celui-ci était plutôt sanctuarisé pour permettre la profondeur du recueillement et l’aisance de l’élévation de l’âme.

En effet, la mémoire d’une figure de sainteté prenait soin du lieu.

La figure de sainteté était Ευφημία (transcription : Euphimia), une jeune Grecque qui habitait sur la rive orientale du Bosphore, vers la fin du III è de notre ère. Marchant sur les traces du Nazaréen, elle a refusé d’offrir des sacrifices à Ἄρης (en français : Arès), le dieu de la guerre. L’intégrité morale de Ευφημία lui a valu d’être torturée puis jetée dans les arènes, où elle a succombé sous des coups de griffe d’un ours.

Voici, à l’intérieur de la chapelle, un portrait de la jeune Grecque sanctifiée :

L’identification se faisait grâce à l’inscription écrite à l’encre rouge.

À droite de l’auréole, apparaissait le nom propre : Ευφημία

À gauche de l’auréole, étaient écrits deux qualificatifs. La première ligne mentionnait le statut au sein de l’assemblée des fidèles : Ευφημία y était appelée H Αγία (en français : La Sainte)

À la seconde ligne, le mérite était rappelé par le terme Μεγαλομάρτυς (en français : Grande Martyre).

Dans le calendrier liturgique de Byzance, la date du 16 septembre était dédiée à la Sainte.

L’artiste a peint sur l’effigie les traits de la jeunesse. Cependant, l’originalité du portrait n’était pas dans le rendu de la physionomie, mais dans celui de l’auréole, qui n’avait pas les reflets dorés, comme l’aurait voulu l’iconographie officielle.

Certes, la couleur jaune évoquait quelque peu l’or, mais elle n’en avait pas du tout le vif éclat. C’était du jaune tout simple, presque banal.

Le respect dû à la figure de sainteté en était-il dévalué ?

Un élément de réponse se trouvait dans les portraits avoisinants.

Voici le portrait le plus proche, spatialement :

L’inscription de couleur ocre permet d’identifier le personnage peint.

Sur la gauche, la graphie présentait trois traits verticaux, dont la grande épaisseur sautait aux yeux.

Les deux premiers traits verticaux étaient reliés par un Y plus fin : l’ensemble donnait la lettre M.

Les deux derniers traits verticaux étaient joints, à mi-hauteur, par un segment horizontal : on obtenait la lettre H.

Le troisième trait vertical portait, dans sa partie supérieure, une boucle qui avait un tracé très fin : c’était le profil de la consonne grecque P, qui équivalait à un R dans l’alphabet français.

Finalement, la graphie à gauche du visage était la version compactée du mot MHTEPA (en français : MÈRE)

À droite du visage, apparaissaient, toujours à l’encre rouge, les deux lettres θ et υ (en majuscules : Θ et Υ), qui constituent l’abréviation de θεού (en majuscules :ΘΕΟΥ). Or θεού est le génitif de θεός (en français : dieu). En définitive, la graphie de droite équivalait à MHTEPA ΘEOY (en français : MÈRE DE DIEU). Par conséquent, nous avions là un portrait de Marie. Mais pas n’importe quel portrait ! Deux remarques s’imposaient. La première concernait la physionomie. Celle-ci n’avait rien à voire avec les traits habituellement préconisés par l’Antiquité grecque, en particulier, et par l’Occident, en général. Ici, Le visage marial était rond. Cette rondeur, qui étonnait, s’inspirait de l’Orient, qui était à prendre au sens large, puisque il s’étendait de l’Éthiopie de la Reine de Saba à la Mésopotamie de la Shéhérazade des Mille et Une Nuits.

Déjà, le visage de la Sainte Ευφημία était modelé par cette esthétique des rondeurs. Mais c’était celui de Marie qui montrait davantage cette influence de l’Orient.

Nous arrivons maintenant à la seconde remarque, qui concernait l’auréole. Rien, ou presque, n’y rappelait l’or traditionnel de Byzance. Par contre, la teinte dominante était l’ocre, c’est-à-dire la couleur de la terre que le voyageur foulait à ses pieds. Autrement dit, l’auréole, qui symbolisait la sainteté, se remplissait d’une couleur qui évoquait la simplicité pour le registre colorimétrique et l’humilité pour le registre de l’éthique. Comme l’artiste était à la fois créatif et audacieux !

Le dépaysement esthétique se poursuivait avec une autre effigie avoisinante. Reconnaissez-vous le sceau de l’originalité dans le portrait ci-dessous ?

Comme les deux visages féminins précédents, ce visage masculin n’avait rien à voir avec l’esthétique habituellement célébrée en Occident. De manière évidente, la physionomie du Nazaréen montrait des traits sémitiques, ce qui était tout à fait conforme au contexte génétique.

De plus, l’auréole se remplissait encore de la couleur ocre, qui semblait plus foncée que celle utilsée pour Marie, comme si l’ocre du sol, c’est-à-dire de la condition terrestre, avait foncé à cause du sang sacrificiel versé.

Innovatrice et édifiante, la palette du peintre de la chapelle consacrée à la Sainte Ευφημία était un hymne à l’humilité.

Nous nous sentions heureux quand l’univers était habité par l’humilité.

Et grâce à l’humilité, la paix venait facilement.

Pour savourer cette paix, le Capitaine s’est installé sur le balcon occidental, c’est-à-dire face à l’isthme, face au soleil qui se préparait à flirter avec l’horizon.

Nous avons dit au revoir au site quand il a commencé à s’empourprer dans la belle lumière du couchant. La route du retour nous a offert un très joli cadeau. Le voici :

Une immense troupeau d’ovins nous a escortés sur le chemin du contentement.

La scène pastorale nous ramenait aux temps abrahamiques.

Cette belle surprise ne pouvait pas être un pur hasard. Car elle faisait venir à l’esprit le souvenir de l’accueil reçu tout à l’heure, en entrant dans le site. Voici ce service d’accueil :

L’âne est le compagnon des personnes de conditions modestes.

Celui qui nous a si affectueusement accueillis à l’entrée du site consacré à la Sainte Ευφημία aurait pu être un lointain cousin de la monture qui avait porté le Nazaréen pour entrer à Jérusalem, le dimanche des Rameaux.

L’accueil offert par l’âne à l’entrée du site et l’au revoir exprimé par le troupeau d’ovins étaient voulus par la Providence pour donner encore plus de charme au balcon de la piété, qui s’ouvrait sur l’infini.

À Λίμνος, on vivait avec l’infini, dans l’infini, pour l’infini.

« Avec » l’infini : on se divertissait avec, on en faisait un compagnon de jeu

« Dans » l’infini : on se blottissait dans ses bras, on s’abandonnait dans son giron ; on en faisait un confident

« Pour » l’infini : on le recherchait, on languissait après lui ; on en faisait un amant.

La quête d’infini a continué le lendemain, grâce à la mob louée.

Cette fois-ci, nous avons exploré le flanc occidental de l’île. Quand approchait le moment de la pause méridienne, l’œil vigilant du Capitaine passait au peigne fin les paysages situés de part et d’autre de la route de terre pour dénicher le refuge qui nous offrirait le repos de la fraîcheur.

Le spectacle suivant a accroché son regard :

De la route, nous n’avons aperçu que l’arrondi de l’abside. La couleur blanche de la chaux nous a alertés. Nous n’avons pas fait attention aux champs de ronces et d’épines. Nous étions persuadés que piété allait de pair avec hospitalité. Et nous avions raison. Regardez :

La photo montre la sieste après le pique-nique.

Deux oliviers étaient plantés de part et d’autre de la porte bleue qui donnait accès à l’espace de prière. De celui-ci, nous avions sorti trois sièges pour pouvoir manger assis, et deux bancs pour faire la sieste

L’agréable fraîcheur était apportée par l’ombre des arbres et la source d’eau, qui était visible au premier plan.

Dans cette scène, où était l’enjeu de l’infini ?

L’infini intervenait dans le fait que le repos réparateur n’était restreint par aucune limite. La sérénité que nous savourions n’était menacée par aucune chose oppressante. IL était là, le bonheur offert par la Grèce : dans l’exquise jouissance de l’infini.

Ce lieu de piété qui nous a considérablement choyés en dépit de sa simplicité (ou grâce à sa simplicité) était consacré à deux figures de sainteté : il s’agissait de l’empereur Constantin et de sa mère Hélène.

Derrière le grand olivier qui apparaissait à gauche de la porte bleue, un pancarte indiquait que la chapelle a été construite en 1867.

Nous étions sur le territoire que les Grecs appelaient Σαρδές (transcription : Sardès).

Avant de repartir, nous avons remis le mobilier de la piété dans son lieu d’origine.

Il y a des infinis qui angoissent, voire terrifient. L’infini grec nous apaise, nous restaure, nous enchante.

La veille de la restitution de la mob, nous avons découvert, sur la côte Est de l’île, un lieu de piété très original. Voici ce lieu de piété, si singulier :

Un arbre sortait du toit de la chapelle. Plus exactement, de la partie antérieure du toit.

À l’arrière-plan, s’étirait une bande blanchâtre. Il s’agissait du lac de sel, que les Grecs appelaient Λίμνη Αλυκή (transcription : Limni Alyki).

Voici l’étendue de sel, où aucune végétation ne poussait :

Par curiosité, le Capitaine y promenait ses pas. Sur la photo, il apparaissait tel une fourmi, au-dessus de la mob. Mais quelle sensation pouvait bien produire un espace aussi hostile et mortifère ?

L’intérêt de cette question était qu’elle nous ramenait au jaillissement de l’arbre au-dessus du toit de la chapelle.

Voici l’arbre vu de dessous le toit :

De jeunes pousses sortaient de la partie inférieure du tronc.

L’espace de la piété était donc intimement lié à la manifestation de la vie.

L’arbre était sanctifié par la chaux qui était apposée en bas du tronc. Ce marquage par la couleur de la sanctification confirmait ce que l’œil avait déjà perçu dès le premier regard : que la chapelle et l’arbre formaient un tout inséparable.

Devant cette magnifique symbiose, un esprit légitimement curieux ne pouvait pas s’empêcher d’aborder l’enjeu de l’antériorité : qui, dans cette association, a existé avant l’autre ? Autrement dit, qui a tendu les bras à l’autre ?

Une plaque de marbre indiquait que l’édifice, consacré au prophète Élie, a été érigé en 1866. Or il est peu probable que l’arbre ait vécu plus d’un siècle. Autrement dit, c’était la chapelle qui a adopté l’arbre.

Un jour, un jeune tronc a surgi du parvis. Il portait la promesse de la vie. À lui seul, il rappelait l’Éden de jadis. Alors il a été choyé par l’espace de piété qui était tout proche.

La photo ci-dessus montre aussi un balai, juste derrière l’arcade centrale. La particularité de ce balai était qu’il avait des poils tout neufs.

L’état tout neuf du balai faisait écho à l’apparence toute neuve de la bouteille d’huile d’olive posée devant le mur de l’iconostase et destinée à l’éclairage :

Manifestement, la chapelle était en cours de rénovation.

Aurait-elle bénéficié de tels soins si l’arbre n’était pas là ?

Sans l’appariement insolite entre la botanique et la piété, la chapelle aurait été livrée à elle-même, pour continuer à se dégrader avec le temps.

Jadis, c’était la chapelle qui a préservé l’arbre. Maintenant, c’est l’arbre qui sauve la chapelle.

Le balcon posé sur la mer à Λήμνος était un balcon dont la piété était synonyme d’accueil, de paix et de sollicitude.

Tags : balcon posé sur la mer, Λίμνος, piété, humilité, infini, immensité, Αγία Ευφημία, Mύρινα, MHTEPA ΘEOY,

 

Tag(s) : #2024 La GRECE, #sporades du nord
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