• Le défi de la vigilance

    On l’avait prévenu contre leur puissant impact sur les sens, le mental et la volonté. Il s’est montré vigilant, a tenu compte de la mise en garde et pris des dispositions en conséquence.

    Pour lui, il a bloqué la motricité. Pour ses compagnons, il a obstrué la perception auditive. Il s’est méfié des conséquences de la découverte et a préféré que ses compagnons ne dévient pas de leur tâche habituelle.

    Sa vigilance a-t-elle payé ?

    Lui, c’était Ulysse, qui cherchait à rentrer chez lui. Et sa route passait devant l’île des Sirènes, qui pouvaient causer des dommages irréparables à cause de leur chant.

    Cet épisode de l’Odyssée est illustré par un vase à vin datant du Vè siècle avant notre ère, et qui se trouve actuellement au British Museum.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Dans l’Antiquité grecque, les Sirènes étaient des créatures ailées.

    Pour parler des Sirènes, l’Odyssée emploie le mot Σειρῆνες – ΣΕΙΡΗΝΕΣ, qui est un pluriel. Ces créatures ne fonctionnent donc qu’en groupe. Leur action est toujours collective.

    Lié contre le mât, Ulysse est nu. A-t-il oublié de s’habiller ? N’a-t-il pas eu le temps de mettre ses habits ? Ou se montre-t-il ainsi, de façon délibérée ? Sur le bateau du roi d’Ithaque, la question de l’offense à la pudeur ne se pose pas.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Aucune étoffe ne sépare le corps d’Ulysse du milieu ambiant. Le contact entre l’épiderme et les stimuli environnants est direct, sans aucune interposition. Le spectacle de la nudité intégrale exprime à la fois la perméabilité voulue par l’homme et la vulnérabilité perçue par les créatures hybrides, qui se réjouissent que l’être humain se dévoile imprudemment et se livre à elles, apparemment sans méfiance.

    Le vol en piqué est-il une conséquence de l’attrait de la nudité, qui signifie la disponibilité de la proie ? Cette descente verticale est-elle une manœuvre d’approche pour savourer la proximité d’une future victime, qui ose s’exhiber sans camouflage et sans protection, et pour déshabiller des yeux un homme téméraire, qui se montre désirable dans son élan de curiosité ?

    La trajectoire verticale de la Sirène en piqué est parallèle à la silhouette du mât, qui représente la rigidité salvatrice. Dans cette représentation, le quai bienfaiteur est vertical. Les amarres sont les cordes qui enserrent Ulysse. Son corps est comme un bateau amarré « alongside », le long d’un flanc. La proue est vers le sommet du mât. La poupe est vers l’emplantement de celui-ci.

    Le mot Σειρῆνες – ΣΕΙΡΗΝΕΣ, employé par l’Odyssée pour désigner ces monstres marins proviendrait d’une double racine : d’une part de σειρά – ΣΕΙΡΑ, qui signifie « corde », et d’autre part, de εἴρω – ΕΙΡΩ, qui signifie « attacher ».

    Cette étymologie renvoie à la mise en œuvre de deux sortes de liens : les liens funestes consécutifs à l’envoûtement par les créatures hybrides malfaisantes, et les liens préventifs, faits de cordages, pour éviter à Ulysse de succomber totalement à l’ensorcellement.

    Dans l’épreuve des Sirènes, il faut s’enchaîner pour rester libre.

    Les liens qui attachent Ulysse au mât préservent l’indépendance de sa pensée. Ils le protègent de la dislocation du mental et du pourrissement de la volonté.

    En effet, les vers 44 à 46 décrivent ainsi l’environnement immédiat des Sirènes :

    ἀλλά τε Σειρῆνες λιγυρῇ θέλγουσιν ἀοιδῇ

    ἥμεναι ἐν λειμῶνι, πολὺς δ᾽ ἀμφ᾽ ὀστεόφιν θὶς

    ἀνδρῶν πυθομένων, περὶ δὲ ῥινοὶ μινύθουσι.

    ΟΔΥΣΣΕΙΑ Μ

     

    « Car les Sirènes l’ensorcellent d’un chant clair

    assises dans un pré, et l’on voit s’entasser près d’elles

    les os des corps décomposés dont les chairs se réduisent. »

    Odyssée, chant 12

     

    Comme le spectacle est à la fois répugnant et angoissant ! Quelle ambiance délétère !

    Le peintre anglais William Etty s’est appliqué à restituer sur la toile le texte homérique.

     

    Le défi de la vigilance

     

    En bas du tableau, sur la partie droite, le sol est jonché de corps sans vie. Leurs masses musculaires disparaissent au fur et à mesure que l’on se rapproche des Sirènes. Dans le même temps, les os deviennent de plus en plus apparents, dans leur assemblage d’origine ou complètement éparpillés. Il y a bien réduction des chairs et décomposition des squelettes, conformément au texte d’Homère.

    C’est donc l’évocation d’un terrible naufrage, où le bateau voit sa charpente se disloquer et sa parure se flétrir. Mais au-delà de cette catastrophe matérielle, la désagrégation menace le retour à Ithaque, et la flétrissure guette le destin de son roi.

    Le mât qui se dresse est manifestement un repère vertical. Lui est parallèle la trajectoire en piqué de la Sirène qui s’approche d’Ulysse. Une verticalité fixe, celle du bois, doublée d’une verticalité en mouvement, celle du vol de la créature ailée.

    La topographie des lieux montre aussi que l’enjeu est dans la verticalité. Au sommet de chacun des deux rochers abrupts qui dominent la mer, se trouve une Sirène, postée là comme une sentinelle.

    Faire le guet pour monter le guet-apens.

    Elles ont vu Ulysse arriver de loin. Au sens propre comme au sens figuré, elles l’attendaient au tournant.

    La symétrie menaçante, juchée en hauteur, était une double surveillance, un encadrement hautement renforcé, une prise en tenaille, qui se voulait implacable.

    La disposition spatiale des marins en transit et des gardiennes du passage exprime un rapport de domination. Celle-ci ne s’établit pas par la force, mais par le truchement de la séduction.

    L’illustre orateur romain Cicéron précise ce qui fait l’efficacité de cette séduction par les Sirènes.

    Dans son ouvrage De Finibus Bonorum et Malorum, il écrit ceci :

    Neque enim vocum suavitate videntur aut novitate quadam et varietate cantandi revocare eos solitae, qui praetervehebantur, sed quia multa se scire profitebantur, ut homines ad earum saxa discendi cupiditate adhaerescerent.

    Marcus Tullius Cicero. De finibus. Liber V. Capitulum XVIII

     

    « Car il ne paraît pas que ce fût par la douceur de leur voix, ou par la nouveauté et la variété de leurs chants qu'elles eussent le pouvoir d'attirer les navigateurs à leur écueil : mais elles se vantaient d'une science merveilleuse, et l'espoir d'y participer poussait les infortunés à leur ruine. »

    Cicéron. Sur les termes extrêmes des Biens et des Maux. Livre 5. Chapitre 18

     

    Le véritable attrait est donc celui de la connaissance.

    D’après Homère, les Sirènes ont accueilli Ulysse avec ce chant :

    δεῦρ᾽ ἄγ᾽ ἰών, πολύαιν᾽ Ὀδυσεῦ, μέγα κῦδος Ἀχαιῶν,

    νῆα κατάστησον, ἵνα νωιτέρην ὄπ ἀκούσῃς.

    οὐ γάρ πώ τις τῇδε παρήλασε νηὶ μελαίνῃ,

    πρίν γ᾽ ἡμέων μελίγηρυν ἀπὸ στομάτων ὄπ᾽ ἀκοῦσαι,

    ἀλλ᾽ ὅ γε τερψάμενος νεῖται καὶ πλείονα εἰδώς.

    ἴδμεν γάρ τοι πάνθ᾽ ὅσ᾽ ἐνὶ Τροίῃ εὐρείῃ

    Ἀργεῖοι Τρῶές τε θεῶν ἰότητι μόγησαν,

    ἴδμεν δ᾽, ὅσσα γένηται ἐπὶ χθονὶ πουλυβοτείρῃ.

    ΟΔΥΣΣΕΙΑ Μ

     

    « Viens, Ulysse, viens, héros fameux, toi la gloire des Grecs ;

    arrête ici ton navire et prête l'oreille à nos accents.

    Jamais aucun mortel n'a paru devant ce rivage

    sans avoir écouté les harmonieux concerts qui s'échappent de nos lèvres.

    Toujours celui qui a quitté notre plage s'en retourne charmé dans sa patrie et riche de nouvelles connaissances.

    Nous savons tout ce que, dans les vastes plaines de Troie,

    les Grecs et les Troyens ont souffert par la volonté des dieux.

    Nous savons aussi tout ce qui arrive sur la terre féconde. »

    Odyssée, chant 12, vers 184 à 191

     

    Les Sirènes proclamaient hardiment qu’elles connaissaient tout de l’antagonisme entre Grecs et Troyens. En affirmant qu’elles savaient parfaitement tout ce qui s’était passé dans les deux camps, elles prétendaient posséder une connaissance qui n’était ni partielle, ni partiale.

    Elles n’ont pas oublié de chanter qu’elles savaient tout à fait de quelle manière les faits d’armes à Troie étaient permis par l’Olympe. En se vantant de pouvoir cerner le mobile caché de tout geste ici bas, elles étaient toutes fières de déclarer qu’elles connaissaient à fond l’articulation entre le ciel et la terre.

    Et finalement, à celui qui avait hâte de revoir le rivage qui l’avait vu naître, elles proclamaient avec clarté et subtilité qu’elles connaissaient les tenants et les aboutissants de tout ce qui avait lieu sur la terre nourricière.

    Tout le chant des sirènes était donc un hymne à leur omniscience.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Si donc la séduction s’opère par le biais de la connaissance, alors la domination s’exerce en usant de l’appât du savoir.

    Que prétendaient les Sirènes ? Elles prétendaient tout savoir.

    Que prétendaient les experts en mécanique, à qui le capitaine avait fait appel ? Ils prétendaient tout savoir du fonctionnement du moteur, avant la mise à l’eau et après la mise à l’eau. Hélas, leur connaissance s’est avérée bien lacunaire une fois que le Zeph était confronté à l’épreuve des flots !

    En effet, la chronique du Zeph a fait état de deux mésaventures consécutives à un abus de pouvoir, impulsé par la détention d’un prétendu savoir. En vérité, il s’agissait d’un savoir entaché de négligence et de cupidité.

    La première mésaventure a eu lieu quand le Zeph était encore tout novice, et tout confiant dans le savoir d’un professionnel qui était censé garantir la bonne marche du moteur au milieu des flots. Hélas, l’engin entrait dans des tremblements extrêmement bruyants dès qu’on lui réclamait un tout petit peu de vitesse. Désarçonné, le capitaine a demandé conseil au prestataire. Vite, celui-ci a déployé l’autorité qu’il pensait détenir grâce à la supériorité de sa connaissance : sans aucune explication technique, et bien sûr, sans aucun mot d’excuse, il nous a envoyé un courrier pour nous ordonner de cesser notre navigation. La relation de domination est là !

    Le ton de ce courrier était extrêmement discourtois. L’homme pensait qu’on allait lui obéir au doigt et à l’œil. Il ne s’est pas gêné de le penser parce qu’il était convaincu qu’on était absolument tributaire de lui, de sa connaissance théorique et technique, pour réaliser notre rêve sur l’eau.

    Il n’a pas daigné proposer un diagnostic à distance, encore moins une solution de secours. À aucun moment, il ne s’est remis en cause. Pour lui, c’était inconcevable qu’il ait commis une erreur ou une étourderie.

    Savait-il que son adjoint avait essayé de déloger l’axe de l’hélice du Zeph en assenant sur la pièce rebelle de violents coups de marteau, sans se poser la question si elle allait se tordre ou se rompre ?

     

    Le défi de la vigilance

     

    Le capitaine était absent au moment de cette violence gestuelle, et n’est arrivé qu’une fois le méfait accompli.

    Même violence aussi dans la réponse au mail où le capitaine sollicitait des éclaircissements et du secours.

    Le moteur allait-il s’étouffer ? Ou allait-il exploser ?

     

    Le défi de la vigilance

     

    La réponse de celui qui prétendait, comme les Sirènes, détenir l’excellence du savoir, était un chapelet d’injonctions : « Je vous demande de vous arrêter...Je vous demande de vous arrêter... ». Comme les Sirènes, l’homme a vanté l’excellence de son savoir de mécanicien. Comme aux temps homériques, la publicité de cette excellence était un piège, qui menait immanquablement au naufrage.

    La deuxième mésaventure liée à un abus de pouvoir, impulsé par la proclamation de la perfection d’un savoir, a eu lieu au début du voyage initiatique.

    À cause du grand périple qu’il allait entreprendre, le capitaine voulait pour le moteur du Zeph une révision détaillée et irréprochable. Hélas, le nouveau prestataire se faisait désirer. Bien que le jour de la mise à l’eau approche à grand pas, l’expert en mécanique était occupé à chasser du gibier outre-Manche, en bon sujet de Sa Majesté. Le capitaine, lui, patientait, se tourmentait, se résignait, se tourmentait à nouveau, parce que les jours et les semaines défilaient sans que la mécanique ne soit auscultée par l’expert. L’hypothèse d’un départ décalé a même été envisagée.

    Cette attente pénible, qui finissait par tourner à l’angoisse, traduisait une position d’infériorité, dont les Sirènes du XXIè siècle n’ont manqué de tirer profit, senza vergogna !

    Puis le professionnel tant désiré a fini par faire apparition, juste à temps. Il était accompagné de son adjoint.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Le capitaine était aux anges. Le mousse, aussi.

    Cette allégresse, presque excessive, qui témoignait spontanément et sans fard de notre gratitude envers la providence, montrait encore notre position d’infériorité, que le professionnel et son adjoint n’ont pas hésité à considérer comme de la dépendance et de l’asservissement.

    La vision de la vulnérabilité de la proie excite la férocité du prédateur ;

    Le chef de l’inspection s’occupait du bon état des connexions et des raccords pendant que l’adjoint, qui, en l’occurrence, était la figure paternelle, s’occupait de la vidange.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Le déploiement de tant de compétences spécialisées était comme un chant qui célébrait par anticipation l’harmonie sur les flots. Mais cette vision candide était un piège.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Premier dévoilement du piège : la facture archi-salée, qui voudrait trouver sa justification dans la réputation de la supériorité d’un savoir.

    La férocité d’un tel instinct prédateur fait immédiatement venir à l’esprit un tableau du peintre niçois Gustav-Adolf Mossa. Il s’agit de la « Sirène repue », réalisée en 1905.

     

    Le défi de la vigilance

     

    La voracité du monstre marin se voit dans le sang qui dégouline de sa bouche. Son regard fixe évoque l’ensorcellement. Et sa présence maléfique se traduit par un naufrage généralisé.

    Deuxième dévoilement du piège : la panne survenue dans la baie cannoise, une semaine après que le Zeph a commencé ce qui deviendrait son voyage initiatique.

    Le capitaine en a fait le récit dans l’article « Vendredi 13 », publié le 13 Novembre 2015 à 18:46. On peut y lire ces lignes :

    « Donc après avoir assisté à un superbe lever de soleil,

    tandis que le village tropézien s'évanouit dans la brume,

    après avoir attendu jusqu'à 9h00 que le vent s'établisse (il est passé au Nord, amenant avec lui la morsure du froid), permettant ainsi au ZEF de s'ébrouer dans les courtes vagues,

    j'ai voulu remettre le moteur en route, et... ? Que couic !... Rien. Vendredi 13 quoi.

    À ce moment-là, le vent était tombé. Je me trouvais alors à une douzaine de miles du port de Cannes. Avançant à 0,8 nœuds, le calcul est vite fait. Bon, je vous laisse faire le calcul. En tout cas, ça allait prendre un peu plus qu'une bonne paire d'heures !

    Bref, à Cannes, une fois amarré avec l'aide d'un petit remorqueur (et oui, le ZEF n°2 n'a plus rien à voir avec son petit frère), il a fallu trouver un dépanneur, l'attendre, lui donner 2 beaux billets verts tout droit sortis de la banque, et tout ça pour s'entendre dire que le problème était lié à des cosses corrodées !... »

     

    Le défi de la vigilance

     

    L’article a suscité deux commentaires.

    Le premier commentaire, publié le samedi 14 Novembre 2015 à 12:17, disait ceci :

    « Le sel ronge ! La déclaration est plate. Mais la réalité, ô combien implacable !

    Comme à Troie, la mauvaise surprise surgit des entrailles.

    Il y a eu faute par omission, par négligence, par amateurisme.

    Avant la corrosion des cosses, il y a eu forcément la corrosion de la conscience professionnelle présumée. Après la corrosion des cosses, il y aura naturellement la corrosion de la confiance accordée dans l'urgence et la précipitation.

    On n'affronte pas la mer sans la fiabilité des relais.

    L'aventure en eau salée est une épreuve de vigilance. »

    L’amateurisme qui était désigné ci-dessus n’était pas celui du capitaine, mais celui du soi-disant professionnel à qui il avait fait appel, et qui était sensé posséder le savoir, beaucoup plus de savoir.

    La vigilance dont il était question dans le commentaire n’était pas la vigilance par rapport à l’état d’usure ou au degré de conformité des pièces et des rouages, mais la vigilance par rapport au pouvoir du savoir et par rapport au manque de probité de celui qui prétendait détenir ce savoir.

    Le deuxième commentaire, publié le lundi 16 Novembre 2015 à 08:01, disait ceci :

    « La rupture du circuit électrique n'est pas une défaillance technique, mais humaine.

    La ‘fiabilité des relais’ s'entend au sens propre comme au sens figuré. Bien sûr, la pureté et la solidité doivent caractériser les matériaux et les montages techniques, tout comme le sérieux et l'exhaustivité doivent caractériser un travail de révision de moteur. Hélas, tel n'a pas été le cas. Le lien de confiance n'a pas été honoré, parce que la conscience professionnelle n'était pas au rendez-vous. Faute morale d'autant plus grave que la compétence attendue gérait la sécurité en mer.

    Certes, il y a eu abus de confiance. Mais il y a eu aussi abus d'autorité. Autorité, toute passagère mais tout de même suffisamment prégnante et efficace, qui fait de l'un un prédateur et de l'autre sa proie, quand une situation d'urgence place celui-ci à la merci de celui-là. »

    Les Sirènes des temps homériques et du XXIè siècle mettent en avant l’excellence de leur connaissance. En vérité, le chant de leur excellence est le chant de la duperie.

    Incontestablement, la nef d’Ulysse disposait d’un avantage considérable par rapport au Zeph : elle bénéficiait de la mise en garde de Circé, qui fournissait une description détaillée du danger, et des conseils judicieux pour en sortir indemne.

    Le Zeph, lui, n’était prévenu par personne. Alors il a appris à ses dépens.

    Comme le savoir est périlleux quand il est un hameçon qui mène à l’assujettissement !

    Comme la connaissance est redoutable quand elle sert de harpon pour l’asservissement !

     

    Le défi de la vigilance

     

    Finalement, la vigilance d’Ulysse a-t-elle porté ses fruits ?

    L’équipage, dont les oreilles ont été fermées par des bouchons de cire, est resté indifférent au chant des Sirènes.

    Quant à Ulysse, qui s’est autorisé la découverte de la nouveauté, la résonance créée par les vibrations sonores était loin d’être négligeable. Les cordes qui l’ont lié au mât ne l’ont pas empêché de se pencher vers le discours chanté des Sirènes. D’abord, les oreilles se sont inclinées vers la source du chant. Puis le cœur s’est délecté de l’écoute. Et enfin les sourcils ont transmis l’ordre de défaire les liens !

    Par bonheur, deux membres de l’équipage se sont souvenus des instructions initiales et sont venus au mât pour serrer encore plus fort les cordes et renforcer les liens.

    La curiosité d’Ulysse n’a pas mis en péril la nef parce que des dispositions ont été prises en amont. La vigilance est sœur de la prévoyance.

    Dans le cas du Zeph, c’est aussi l’équipage qui a fortement incité le capitaine à s’adosser davantage au mât de l’indépendance, pour se soustraire à la domination exercée par les Sirènes de la mécanique.

    Voici les consignes qu’Ulysse a donné à l’équipage avant de passer devant les Sirènes :

    οἶον ἔμ᾽ ἠνώγει ὄπ᾽ ἀκουέμεν: ἀλλά με δεσμῷ

    δήσατ᾽ ἐν ἀργαλέῳ, ὄφρ᾽ ἔμπεδον αὐτόθι μίμνω,

    ὀρθὸν ἐν ἱστοπέδῃ, ἐκ δ᾽ αὐτοῦ πείρατ᾽ ἀνήφθω.

    εἰ δέ κε λίσσωμαι ὑμέας λῦσαί τε κελεύω,

    ὑμεῖς δὲ πλεόνεσσι τότ᾽ ἐν δεσμοῖσι πιέζειν.

    ΟΔΥΣΣΕΙΑ Μ

     

    moi seul puis entendre leur voix ; mais liez-moi

    par des liens douloureux, que je demeure immobile,

    debout sur l’emplanture, serré contre le mât,

    et si je vous prie, si je vous presse de me détacher,

    il faudra redoubler l’emprise de mes liens !

    Odyssée, chant 12, vers 160 à 164

     

    Les liens à endurer pour préserver l’indépendance sont douloureux. Mais l’effort en vaut la peine.

    Comme Ulysse, le capitaine du Zeph est resté adossé au mât de l’indépendance en accomplissant lui-même plusieurs tâches importantes en mécanique. C’étaient des moments compliqués et difficiles à vivre. Mais au bout du compte, la victoire était là !

    Symboliquement, le capitaine a dépassé l’île des Sirènes le 16 juillet 2018, en fin d’après-midi. Ce jour-là, il pleuvait à torrent à Cannes.

     

    Le défi de la vigilance

     

    À la sortie du passage périlleux, il avait la même tête qu’Ulysse : une tête où brillaient la satisfaction et la fierté.

     

    Le défi de la vigilance

     

    Satisfaction d’être resté vigilant. Fierté d’avoir triomphé de la malédiction de l’assujettissement.

    Aux temps homériques comme de nos jours, la vigilance ulysséenne cause la défaite des Sirènes. Elles ont de la joie quand le marin se laisse ensorceler par leur chant. À l’inverse, elles sont rongées par le chagrin quand le profil ulysséen s’éloigne victorieux.

     

    Le défi de la vigilance

     

    La vigilance est par rapport à l’abus de confiance et à la manipulation.

    Il y a un défi, car il faut oser résister et ne pas craindre les représailles.

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